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Elīna Garanča ou le chant sans frontières

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Aussi loin que je cherche à remonter dans ma mémoire les artistes qui m’ont laissé une empreinte indélébile -et ils sont nombreux dont de tout grands chanteurs- je crois que je dois revenir à l’incomparable Dietrich Fischer Dieskau pour trouver une émotion comparable à celle que laisse Elīna Garanča sur le vif. Et je garde le souvenir de Dietrich Fischer-Dieskau chantant, dans sa langue maternelle, ses compositeurs fétiche : Schubert, Schumann ou Brahms, alors que le récital de la mezzo-soprano lettonne inclura cinq langues étrangères. Ce sont des artistes capables de tisser avec l’auditeur un lien d’une telle intensité qu’on les perçoit comme s’ils chantaient exclusivement pour chacun d’entre nous. La communication du Liceu parlait de « la plus grande mezzo-soprano au monde » et ce vieux routier des salles de concert froncera légèrement le sourcil trouvant, a priori, pareil énoncé quelque peu réducteur. Et pourtant…

Le programme inclut quatre blocs de langues : une sélection de sept lieder de Brahms, piochés dans ses différents opus, dans lesquels son instrument rayonne avec des couleurs moirées, tendres à foison, qui feraient pâlir de jalousie le plus beau des violoncelles. Le penchant du Hambourgeois pour les voix graves est bien connu : il a écrit différents opus de « lieder » pour ces voix et son admiration pour Pauline Viardot fera jaillir la merveilleuse Rapsodie pour alto op 53. Garanča est tout simplement splendide : son phrasé est souple, la diction transparente et sincèrement vécue à chaque inflexion des paroles ; l’émission parfaite : le son semble projeté à travers le chas d’une aiguille pour s’épanouir, au besoin, de toutes ses résonnances les plus chaleureuses.

A la Scala, un austère Don Carlo

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Pour ouvrir sa saison 2023-2024, la Scala de Milan opte pour une nouvelle production de Don Carlos en utilisant la version traditionnelle en quatre actes dite ‘version de Milan’, car elle fut créée à la Scala le 10 janvier 1884. En premier lieu s’impose une constatation : alors que, le 7 décembre 1977, Claudio Abbado et le metteur en scène Luca Ronconi proposaient la mouture de Modène  en cinq actes datant de 1886 et intégrant la plupart des scènes de l’original parisien de 1867, pourquoi revenir à cette version écourtée quand, récemment, Liège et Genève ont réussi à exhumer  la version française de la création ? Déjà évoqué en février dernier pour I Vespri Siciliani, ce problème demeure sans réponse.

Il y a quelques jours, la presse italienne s’en est prise à la mise en scène de Lluis Pasqual en la jugeant aussi monochrome que monotone. Je ne partage pas ce point de vue, car le noir qui caractérise l’ensemble de la production traduit le sombre antagonisme qui oppose la monarchie espagnole à la toute-puissance de l’Inquisition. Le décor de Daniel Bianco consiste en une superposition de grilles de plomb enserrant en un monde clos une tour en albâtre pivotante où se déroule l’action. Les superbes costumes de Franca Squarciapino choisissent aussi les coloris sombres, car le velours de soie foncé était signe d’opulence et de luxe à la Cour d’Espagne. Seul, Philippe II revêt cuirasse et manteau d’or, tandis que le Grand Inquisiteur arbore surplis blanc sous cape violette comme le Portrait d’Innocent X de Velazquez. La scène de l’autodafé fait exception en livrant un gigantesque retable flamboyant à niches incrustées, devant lequel  apparaîtra le couple royal dans toute sa magnificence. Toutefois, sombrent dans le ridicule ces pauvres bougres d’hérétiques que la soldatesque jette dans un feu de cheminée bien chiche, tout comme ces ménines et nains dansant la mauresque lors de la chanson du voile. Néanmoins, l’ensemble de l’action est décrypté aisément jusqu’à un dénouement saisissant où l’Infant,  s’agrippant à la statue funéraire de Charles-Quint, est précipité dans les bas-fonds du cloître, tandis que, sous une lumière aveuglante, surgit le spectre de l’empereur défunt.