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Pascal Dusapin : « Antigone » 

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Assister à la création d’un opéra n’est pas anodin, avant même les premières notes, on se prépare à vivre une épopée. Les émotions purement musicales vont cohabiter avec une narration, des ressentis liés à des personnages et leurs sentiments, un message, moral ou politique. Le livret de Pascal Dusapin est adapté de la traduction allemande de Sophocle par Friedrich Hölderlin. Je me suis étonné du choix de cette langue pour une tragédie grecque. Il sera justifié dans la note d’intention par l’admiration du compositeur pour le parti pris de Hölderlin et sa volonté d’en proposer une lecture plus politique qu’idéologique ou religieuse.  

La configuration qui nous est proposée, dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie, est ce qu’on appelle désormais un opératorio. Comprenez un concert avec scénographie, mise en scène, costumes (Netia Jones), lumières (Eric Soyer).

L’orchestre de Paris, dirigé par Klaus Mäkelä, est à découvert et au premier plan puisqu’il n’y a pas de fosse, mais reste dans la pénombre, afin de laisser place à l’action qui se déroule sur un plan surélevé. Nous avions eu cela sur la même scène avec le bouleversant  Die soldaten de Bernd Alois Zimmermann en janvier 2024.

Ici, l’opéra est pensé et composé pour cette configuration. Elle possède de nombreuses ressources qui nous préservent de la lourdeur (et du coût !) des machineries de l’opéra. On est bel et bien dans un concert et dans une salle de concert, la présence visible de l’orchestre permet au spectateur de profiter d’une mise en scène succincte et efficace, tout en conservant la distance d’un spectateur symphonique. 

Après un laps de temps non négligeable pour entrer dans l’âpreté de l’œuvre, Antigone se révèle être d’une formidable cohérence esthétique qui nous emporte, C’est ce qui m’a toujours fait préférer les ouvrages lyriques de Dusapin à son œuvre de musique pure dans laquelle j’ai tendance à me perdre. Depuis Roméo et Juliette, son premier opéra de 1989 sur un livret d’Olivier Cadiot, que j’avais dévoré en cours d’analyse, je sais que chez ce compositeur, le sujet est traité rigoureusement, avec une démarche et une approche de langage à chaque fois différentes, car adaptées à sa dramaturgie. Antigone obéit à cette règle avec bonheur, puisque le compositeur a choisi de doter cette tragédie grecque d’une approche très classique et d’une unité de langage sobre. La langue allemande se justifie donc très facilement ici par une référence aux opéras expressionnistes viennois. 

Au Grand-Théâtre de Genève, un sublime Atys

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Prodigieux spectacle que cet Atys de Jean-Baptiste Lully présenté par le Grand-Théâtre de Genève ! Son directeur, Aviel Cahn, a eu l’idée géniale de susciter une collaboration entre Leonardo Garcia Alarcon et le chorégraphe Angelin Preljocaj qui, pour la première fois dans sa carrière, assume la mise en scène d’un opéra. De cette tragédie lyrique sur un livret de Philippe Quinault, adorée par Louis XIV qui assista à la création à Saint-Germain-en-Laye le 10 janvier 1676, l’on a gardé en mémoire la production de 1987 de Jean-Marie Villégier dirigée par William Christie et reprise en 2011, production historicisante qui, dans son statisme empesé, suggérait l’esthétique théâtrale à la Cour du Roi Soleil.

Ici, tout est mouvement continuel comme dans un opéra-ballet dont la danse est l’élément vital. D’entente avec le directeur musical qui a opéré des coupes drastiques dans cette interminable partition, Angelin Preljocaj modifie le Prologue, hommage délibéré au tout puissant monarque, pour en faire une introduction à la tragédie elle-même. Mais le soir de la première du 27 février, comme dans les représentations ultérieures, Leonardo Garcia Alarcon s’adresse au public en évoquant les terribles événements actuels ; puis il présente l’hymne ukrainien dans un arrangement pour formation baroque qu’il a conçu à l’intention de sa Cappella Mediterranea.