Trombones et percussions dans l’univers de Christian Lindberg

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Christian Lindberg (1958) : The Waves of Wollongong, pour neuf trombones et orchestre ; Liverpool Lullabies, pour trombone, percussions et orchestre ; 2017, pour orchestre. Evelynn Glennie, percussions ; The New Trombone Collective, Antwerp Symphony Orchestra, trombone et direction Christian Lindberg. 2018. Notice en anglais, en allemand et en français. 72.00. SACD BIS-2418.

Artiste de l'année des ICMA 2016, le Suédois multitâche Christian Lindberg est ici dans son rôle de compositeur et de chef d'orchestre, mais il se produit aussi comme tromboniste. Dans le texte de présentation, on relève une remarque de Lindberg, qu’il considère comme sa philosophie en tant que créateur : Je n’écris pas dans quelque style que ce soit ! Je ne fais qu’écouter ce que mon cerveau et mon âme me disent et je mets simplement sur papier ce que j’entends. Dire quoi que ce soit d’autre sur mon travail serait une absurdité prétentieuse. Dont acte. Ne voulant pas être taxé de « prétention absurde » face au contenu de ce disque, nous adopterons la même posture intellectuelle : nous ne nous ferons l’écho que des impressions éprouvées au cours d’un programme très séduisant. 

The Waves of Wollongong est une partition dont la gestation s’est étalée de 2006 à 2009. Ecrite pour neuf trombones (trois altos, trois ténors et trois basses) et orchestre, cette page spectaculaire, inspirée par les vagues de l’océan représentées par les instruments, est dédiée au directeur général de BIS Records, Robert von Bahr, alors malade. Lindberg explique qu’il a imaginé que ces mêmes vagues combattraient la maladie et la détruiraient. Il s’agit d’une commande du Philharmonique de Rotterdam, destinée en même temps au New Trombone Collective, ensemble hollandais créé il y a vingt ans et composé de membres de diverses phalanges des Pays-Bas. Elle offre une série de combinaisons instrumentales autour d’une expérience de Lindberg : un séjour sur la côte en Nouvelle-Galles du Sud australienne, à Wollongong, cité où les vents peuvent être redoutables. Le compositeur y avait été impressionné par les vagues, dont le déferlement s’était imposé à son esprit. C’est cette évocation d’une nature déchaînée qu’il propose dans une page d’une vingtaine de minutes, au cours desquelles les trombones rivalisent en termes de styles de jeu et de technique. La démonstration est imagée, fastueusement descriptive et percussive, avec des sonorités décapantes, des climax, des passages proches du jazz, très emballants, mais aussi des moments poétiques. Les solistes du New Trombone Collective et l’Antwerp Symphony Orchestra, sous la direction du compositeur, s’en donnent à cœur joie.

Christian Lindberg se met lui-même en scène dans son Concerto pour trombone, percussion et orchestre de 2015/16, une commande du chef d’orchestre John Lubbock, habitué des Proms où il a dirigé à plusieurs reprises. C’est l’occasion pour Lindberg de rendre hommage à Liverpool dont il a souvent conduit l’Orchestre Philharmonique, et aux berceuses de son enfance, parfois sombres, que lui chantait sa mère (d’où le titre : Lullabies). C’est aussi une collaboration avec l’extraordinaire percussionniste écossaise Evelyn Glennie (°1965), qui est sourde profonde depuis l’âge de douze ans mais a compensé ce handicap en se servant des capacités de toutes les parties de son corps, allant jusqu’à jouer pieds nus pour mieux ressentir les sensations et les vibrations. Mondialement reconnue, Glennie a suscité plus de deux cents pièces pour percussion solo de maints compositeurs ; lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, elle menait un ensemble de mille batteurs lors de la cérémonie d’ouverture. Le dialogue entre elle et le tromboniste/compositeur crée un univers féerique, très virtuose pour les deux instrumentistes, au sein d’un orchestre qui scintille de mille feux. L’ambiance est à la fois fantastiquement mystérieuse, allusive et débridée, parfois nostalgique. Pour la percussionniste, c’est un feu d’artifice : elle fait étalage de toute sa fabuleuse dextérité et de son total investissement dans un jeu subtil avec les interventions ouvragées du trombone, qui se révèle malicieux, ensorcelant ou dramatique. Une passionnante découverte, avec une prestation impeccable de la phalange anversoise qui suit comme un seul homme le compositeur/chef d’orchestre/tromboniste dont la prestation à l’instrument est étincelante.

Le programme s’achève par une partition intitulée 2017, sorte de journal musical suscité par les élections américaines de novembre 2016. Christian Lindberg s’est laissé porter par les événements relatés par les médias au cours de toute l’année qui a suivi l’avènement de Donald Trump à la présidence. Sensible au courage de la presse qui combat les « fake news », le compositeur a dédié cette page d’un peu plus de trente minutes à la journaliste Rachel Maddow (°1973), qui officie sur MSNBC et n’hésite pas à dénoncer les dérives. Les titres des sept parties sont évocateurs d’un monde dans lequel l’apparition de Donald Trump (qui n’est toutefois pas cité) entraîne la confusion : Monde à l’envers/Créatures solitaires/Fake news/Ame intérieure/Le fanfaron/Réflexion/Train de l’enfer. Lindberg utilise avec efficacité toutes les ressources de l’orchestre, notamment percussives, dans cette partition colorée que l’on peut considérer comme un message de mise en garde face aux manipulations politiques. L’Antwerp Symphony Orchestra se laisse guider par le créateur dans ces méandres instrumentaux mélodieux, véhéments, provocateurs ou insidieux, enregistrés en septembre 2018 à l’Elisabethzaal. La remarquable qualité du son de cet enregistrement ajoute du plaisir à une affiche qui sort de l’ordinaire.

Son : 10    Livret : 9    Répertoire : 9    Interprétation : 10

Jean Lacroix        

 

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