Un chef et un ténor pour ‘La Clemenza di Tito’

par

Y. Mynenko, P. Fanale © Alan-Humerose

Un ouvrage tel que ‘La Clemenza di Tito’ pâtit souvent du fait que l’on ne réussit pas à conférer une véritable dynamique au carcan de l’opera seria. A Lausanne se produit l’effet contraire grâce à la direction de Diego Fasolis. Bien connu à Lausanne pour avoir présenté nombre d’opéras baroques et donné une lecture fort originale de ‘Die Zauberflöte’ en juin 2015, il réussit ici, dès les premières mesures de l’ouverture, à créer une tension dramatique qui ne se relâche à aucun moment, quitte à recourir à des tempi plutôt rapides que restituent remarquablement tant l’Orchestre de Chambre de Lausanne que le Chœur du Théâtre, minutieusement préparé par Pascal Mayer.

Sur scène, s’impose d’abord le ténor palermitain Paolo Fanale qui aborde son premier Tito après avoir campé sur nombre de scènes Don Ottavio ou Ferrando de ‘Così fan tutte’. Le timbre est clair, la musicalité, sans faille, le phrasé, intelligent, ce qui lui permet de masquer les tensions de l’aigu dans le redoutable « Se all’impero » ; et son incarnation dégage une magnanime humanité qui oblige tout antagoniste à déposer les armes. Tout aussi excellent est l’Annio de la jeune Suissesse Laura Beuque, style garçon manqué exhibant un timbre charnu qui fait corps avec ce personnage de confident au grand cœur. Salome Jicia, que j’avais découverte à Pesaro sous les traits d’Elena de ‘La Donna del Lago’, s’empare du rôle écrasant de Vitellia dont elle a la noblesse vindicative grâce à une couleur de voix corsée qui ne peut éviter quelques stridences dans le Finale du premier acte, mais qui retrouve ses moirures dans le ‘spianato’ de « Non più di fiori ». Le fait de confier le personnage de Sesto à un contre-ténor laisse perplexe : conçue à la base pour un ténor puis créée par le castrat Domenico Bedini, cette partie est dévolue d’habitude à un mezzo-contralto féminin qui s’accommode facilement de sa tessiture ; ici le jeune Ukrainien Yuriy Minenko se montre à l’aise dans le medium, à condition que le tempo soit lent ; mais dans chaque allegro, l’aigu se resserre, mettant à mal tout passage vocalisé. Remplaçant au pied levé Estelle Poscio malade, Sylvia Schwartz joue la carte de la fraîcheur de coloris pour donner crédibilité au second plan souvent sacrifié de Servilia ; par contre, la basse Daniel Golossov réduit à une utilité le personnage de Publio qui tombe à plat.
Quant à la mise en scène de Fabio Ceresa, elle veut illustrer le danger du pouvoir qui finit par corroder la noblesse d’âme de celui qui s’en empare. Sous une palette de lumières conçues par Ben Cracknell, fascinante notamment dans la scène finale, l’on voit d’abord deux ou trois artisans coulant du bronze en de gigantesques effigies impériales que la nocivité du temps a rongées inexorablement. Le décor de Gary McCann nous entraîne dans la construction mussolinienne de l’EUR à Rome, dont l’intérieur n’est que marbres verdâtres rehaussés d’appliques dorées entourant un large bassin qui évoque les thermes antiques, prêtant à sourire avec ces quelques éphèbes drapés d’or, cachant leur gêne sous des pendeloques-bijoux bien peu masculines ; mais par chance, cette vasque sera souvent recouverte par une maquette mastodonte de la Ville éternelle qu’enjambera un Titus déchiré par le doute. Quant aux costumes dessinés par le même Gary McCann, ils sont modernes pour les gens du peuple et pour la plupart des protagonistes, même si Annio et Publio endossent cuirasse et que Vitellia et l’Empereur finiront par porter les ors éclatants de leur charge. Mais, finalement, qu’importe, quand l’on peut proclamer : « Prima la musica ! ».
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, première du 18 mars 2018 

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