Un excellent DSCH - Ensemble Chostakovitch dans les trios avec clarinette de Beethoven

par

Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Trios pour piano, clarinette et violoncelle Op. 11 « Gassenhauer » et Op. 38, d’après le Septuor Op. 20. DSCH – Ensemble Chostakovitch: Filipe Pinto-Ribeiro, piano ; Pascal Moraguès, clarinette ; Adrian Brendel, violoncelle. 2020. 62’56. Livret en anglais et en français. 1 CD Paraty 170332.

C’est une très bonne idée que d’avoir réuni les deux seules œuvres de Beethoven pour lesquelles il ait pensé à cette combinaison piano, clarinette et violoncelle. En ce qui concerne l’Opus 11, c’est la formation initiale, même si le compositeur a prévu que le violon pouvait remplacer la clarinette. Mais, comme le précise le texte de présentation du CD, « le timbre bien caractérisé de chacun des trois instruments -vent, cordes, clavier-, lorsqu’ils sont réunis, donne à l’œuvre un charme et une couleur riche de contrastes séduisants », ce que permet moins le traditionnel trio piano, violon, violoncelle. En effet, les caractéristiques de la clarinette ont été exploitées par Beethoven de telle manière que le violon ne peut la remplacer sans les perdre dommageablement. Surtout quand, comme ici, c’est Pascal Moraguès qui officie, capable de passer du velouté le plus confidentiel à l’apostrophe la plus tonitruante !

Quant à l’Opus 38, il s’agit en réalité d’une transcription, de Beethoven lui-même, de son Septuor pour violon, alto, violoncelle, contrebasse, clarinette, cor et basson, Op. 20, qu’il avait composé trois ans plus tôt. Mais là, le texte de présentation ne fait plus l’éloge de la nouvelle combinaison instrumentale... Et pour cause : nous y perdons sensiblement. Ce Septuor a en effet tout de la sérénade : la forme, avec ses six mouvements (dont une marche dans le dernier), et surtout son état d’esprit de divertissement de plein air, que l’on perd avec la présence d’un piano, difficilement imaginable ailleurs que dans un salon ou une salle de concerts, et aussi avec la disparition de la contrebasse, laquelle assure dans la version originale une présence sonore, venue des profondeurs, irremplaçable. Et puis, dans le détail, nombre de passages où les mariages de timbres, en particulier entre les trois instruments à vent, perdent leur saveur incomparable.

Les interprètes sont des membres du « DSCH – Ensemble Chostakovitch » (DSCH est la signature musicale, avec la notation allemande des notes, du compositeur russe : ré / mi bémol / do / si bécarre, si l’on considère la transcription en allemand de son nom : Dmitri SCHostakovitch), fondé en 2006 par le pianiste portugais Filipe Pinto-Ribeiro. Il s’agit là de leur deuxième enregistrement, après une intégrale de la musique de chambre pour piano et cordes de celui qui leur a donné leur nom (les 3 Sonates -violon, alto et violoncelle-, les deux Trios et le Quintette). Ce double album, enregistré en 2018, avait été particulièrement bien accueilli par la critique.

Pour ce Beethoven, nous retrouvons Filipe Pinto-Ribeiro au piano, bien sûr, et Adrian Brendel (fils d’Alfred) au violoncelle, ici rejoints par le clarinettiste Pascal Moraguès, bien connu du public parisien qu’il enchante depuis quarante ans comme clarinettiste solo de l’Orchestre de Paris.

Ils proposent de ces deux œuvres une interprétation extrêmement séduisante, vivante, tout en finesse et en sensibilité. Filipe Pinto-Ribeiro a un sens du rubato raffiné, avec un toucher léger, articulé mais sans sécheresse, et ses fins de phrases sont d’une subtilité rare. La clarinette de Pascal Moraguès est d’une variété de couleurs, d’attaques et de nuances propres à l’instrument, certes, mais que le musicien exacerbe avec aisance, engagement et esprit. Quant à Adrian Brendel, il a un jeu intense, ardent, par moments plus vigoureux que ses partenaires.

L'Opus 11 est une réussite de bout en bout : Allegro contrasté, fluide, où les intentions musicales foisonnent ; Adagio particulièrement dramatique et émouvant, les trois instrumentistes rivalisant d’expressivité, chacun avec ses caractéristiques ; Finale (ce sont des variations sur un thème alors très célèbre d’un opéra de Joseph Weigl, d’où le sous-titre de cet Opus 11, « Gassenhauer », que l’on pourrait traduire par « tube » : un air d’opéra tellement populaire que tout le monde en vient à le fredonner) spirituel à souhait, où les musiciens s’en donnent à cœur joie, avec notamment Pascal Moraguès qui finit, avec ses sons cuivrés, de nous convaincre complètement que le violon ne peut décidément pas remplacer la clarinette.

Nous retrouvons bien entendu toutes ces qualités dans l’interprétation de l’Opus 38. Malgré tout, les réserves quant à la transcription elle-même demeurent. Notons tout de même que la clarinette joue dans la version originale un rôle de premier plan, et que Beethoven limite la moins-value en la conservant. D’autant qu’ici, une fois encore, la prestation de Pascal Moraguès est en tous points remarquable de vivacité et de vitalité. Mais ses partenaires ont beau tirer de cet arrangement le meilleur possible, on ne peut que regretter l’original. Même s’il n’est pas du plus grand Beethoven, et que lui-même était fort agacé de son succès (ce qui ne l’empêcha pas, donc, d’en tirer cette version pour piano, clarinette et violoncelle, à l’intérêt pour lui certainement plus commercial qu’artistique), ce Septuor est plein d’imagination et de plaisantes combinaisons instrumentales. Nous les perdons ici en bonne partie. Le texte de présentation l’admet d'ailleurs implicitement, au moins à propos du quatrième mouvement : « L’Andante est construit en variations sur un thème d’allure populaire où chaque instrument est mis en valeur. » Quand ces instruments passent de sept à trois, quelle que soit les qualités des trois musiciens et l’ingéniosité de l’arrangement, l’intérêt devient moindre.

Il faudrait donc écouter cet enregistrement sans connaître la référence originale. Et là, nous entendrions probablement une interprétation de l’Opus 38 tout à fait réjouissante, pleine d’esprit et de couleurs. Tout comme dans l’Opus 11 qui, lui, ne souffre d’aucune de ces réserves.

Son : 9 – Livret : 7 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9

Pierre Carrive

 

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