Un Nord plus lumineux que brumeux avec Christian Tetzlaff, l’OCP et Lars Vogt

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Le concert nous est présenté sous le titre « Lumières du Nord », qui se justifie par les origines des œuvres jouées : l’Écosse pour Mendelssohn, la Finlande pour Sibelius, la Bohême pour Dvořák et les Alpes autrichiennes pour Brahms. Si l’idée est plutôt attrayante a priori, elle devient de plus en plus séduisante au fil du concert.

Une ouverture pour commencer un concert est le plus souvent appropriée. Les Hébrides de Mendelssohn est idéale ici. Sous la direction de Lars Vogt, le début est joliment rêveur. Si les cuivres sont parfois à la limite d’être trop présents dans les passages forte, le parti pris est du côté de la sensibilité et de l’introversion. Les musiciens prennent même des risques dans les ralentis et les nuances pianissimo (solo de clarinette, vers la fin) ; mais cette fragilité est convaincante. Dans toute cette ouverture, la sonorité de l’Orchestre de Chambre de Paris est admirablement ensoleillée. 

Avant même qu’il ne commence, l’on se dit que c’est une bonne idée de présenter le Concerto pour violon de Dvořák dans cette perspective nordique. Et puis, entre ce que nous venons d’entendre et ce que nous connaissons de Christian Tetzlaff, qui est souvent venu au Théâtre des Champs-Élysées ces dernières années, nous imaginons échapper au pathos ou au folklore que cette œuvre véhicule parfois. 

Dès le début nous comprenons que nous sommes partis pour une longue histoire dans laquelle l’orchestre prendra toute sa part, loin de n’être que le faire-valoir d’un violoniste virtuose. Les tutti d’orchestre sont expressifs, les dialogues entre les vents et le soliste sont équilibrés et éloquents, et l’orchestre est attentif à ses moindres inflexions. Christian Tetzlaff, en authentique virtuose, est impressionnant de maîtrise technique et de prise de risque. Mais on sent son souci constant du contenu musical ; jamais aucun effet extérieur ne vient perturber le flux narratif. Et quand il se met à murmurer, nous sommes subjugués...

Dans la première partie du finale, sa sonorité se marie idéalement avec celle des violons de l’orchestre. Il s’y montre d’une élégance pleine de verve. Et dans la deuxième partie, il est ébouriffant sur le plan rythmique. Cette interprétation est globalement époustouflante ! C’est d’autant plus heureux que les beautés de ce concerto ne sont pas de celles qui se saisissent immédiatement, et surtout qui peuvent rester enfouies avec une exécution qui manquerait de conviction. L’absence de cadence n’est sans doute pas la seule raison à la relative désaffection des violonistes envers ce concerto. À l’instar de celui de Schumann, il a ses exigences particulières.

Christian Tetzlaff devant revenir après l’entracte, nous ne nous attendions pas à un bis. Est-ce que le public ne l’avait pas réalisé ? Son insistance peut le laisser penser. À moins qu’il n’ait anticipé ce qui allait se passer en deuxième partie ? Toujours est-il qu’il a obtenu ce bis, sans attendre. C’est ainsi que nous avons eu droit, tout comme en février dernier après le Concerto de Beethoven, à la Gavotte en mi majeur de Bach. Christian Tetzlaff est le seul violoniste à avoir enregistré trois fois l’ensemble des Sonates et Partitas pour violon seul de Bach. Il se dégage de son interprétation un sentiment d’aboutissement, avec une maîtrise et une énergie rares.

Pour commencer la deuxième partie, la première des deux Sérénades pour violon et orchestre de Sibelius. C’est une pièce de cinq minutes, comme un petit drame miniature, qui repose beaucoup sur les talents de conteur des interprètes, que ce soit du côté de l’orchestre ou du soliste (à condition qu'il sache nous emmener dans l'histoire sans tirer la couverture à lui, ce que Christian Tetzlaff sait assurément faire). Tous avaient ce talent.

Cette Sérénade se termine dans un ré majeur qui est comme un endormissement. La Deuxième Symphonie de Brahms commence dans un ré majeur qui est comme un réveil. Quelle belle idée que de les avoir enchaînés ! Pendant les quelques secondes de silence, le soliste est sorti le plus discrètement possible. Et place au très ample Allegro non troppo. Les musiciens étaient-ils eux-mêmes un peu surpris de cet enchaînement ? L’orchestre a légèrement manqué de la fluidité qui faisait merveille jusque-là et, tout en restant très fin et sensible, l’ensemble du mouvement a eu un tout petit peu de mal à décoller. 

Le public aurait-il mal compris, et pensé que nous étions encore dans Sibelius ? Celui du Théâtre des Champs-Élysées est assez éduqué pour savoir que la tradition (de plus en plus remise en question) est de ne pas applaudir entre les mouvements. Il la respectera par la suite. Mais à la fin de ce premier mouvement (qui, il est vrai, ne se termine pas brillamment comme on pourrait l’attendre, mais dans la même atmosphère que celle qui concluait la Sérénade de Sibelius), il a applaudi. Or, initialement, les deux Sérénades de Sibelius étaient programmées. Il est possible qu’une partie du public ait pensé que le soliste, ne jouant pas dans la seconde, avait quitté la scène après la première.

Des quatre symphonies de Brahms, la Deuxième est celle qui se prête le mieux à un orchestre relativement réduit (il y avait tout de même 29 cordes, donc plus que ce que l’on pourrait attendre d’un orchestre dit « de chambre », mais nettement moins que les effectifs symphoniques habituels). À cet égard, l’Adagio non troppo était fort réussi, très proche de la musique de chambre, avec beaucoup de tendresse et de délicatesse. Dans l’Allegretto grazioso, dont le caractère a amené maints commentateurs à dire que cette symphonie était la « pastorale » de Brahms, un certain frémissement, avec même un petit côté « coquin », nous a évoqué les elfes du Nord, davantage que les bergers des Alpes. Très réjouissant !

Dans le finale, Allegro con spirito, l’orchestre impressionne par sa souplesse et son élégance. Non que l’énergie manque, heureusement ! Mais elle ne se déploie pas pour elle-même. Lars Vogt revient toujours aux expressions intérieures. Dans les nuances piano, la sonorité des cordes est d’une grande douceur. Il semble que ce soit une des caractéristiques de cet Orchestre de Chambre de Paris décidément de plus en plus séduisant. Il sait également faire preuve d’un remarquable équilibre, frappant dans la coda où, pour le coup, il laisse éclater toute l’énergie dont il est capable.

Pzris, Théâtre des Champs Elysées, 30-09-2020

Pierre Carrive

Crédits photographiques : Giorgia Bertazzi

 

 

 

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