Une première Amina pour Olga Peretyatko
Depuis les représentations de janvier 1999 avec Natalie Dessay et Raul Gimenez, ‘La Sonnambula’ n’a pas reparu à l’affiche de l’Opéra de Lausanne. Et c’est dans une version semi-scénique qu’elle nous revient dix-neuf ans plus tard en utilisant une animation vidéo conçue par Nicolas Wintsch et de judicieuses lumières imaginées par Henri Merzeau. Sur un écran côté cour est projetée la roue tournante d’un moulin, tandis qu’au centre du plateau devant l’orchestre se dresse un décor en dur, un lit gigantesque, qu’entourent les choristes, vêtus en montagnards suisses. Par le subterfuge de l’image filmée seront suggérés le ciel menaçant où pourrait apparaître un fantôme, la sombre forêt qui sépare le village du château et l’étroite passerelle qui surplombe le mécanisme hydraulique. En costumes dix-neuvième évoluent les protagonistes qui semblent tous issus d’un milieu bourgeois. Derrière l’espace de jeu prend donc place l’Orchestre de Chambre de Lausanne magistralement dirigé par le jeune Giampaolo Bisanti, nouveau directeur musical du Teatro Petruzzelli de Bari. Même si les solistes et le chœur lui tournent le dos, il réussit néanmoins à maintenir la cohésion de son plateau et à lui conférer un coloris particulier, ce à quoi contribue aussi le Chœur de l’Opéra de Lausanne remarquablement préparé par Antonio Greco. Sur scène, Olga Peretyatko s’empare du rôle-titre d’Amina, qu’elle ébauche ‘tablette’ en main en ayant assurément songé à une version en concert. Bien connue ici par sa Desdemona dans l’’Otello’ de Rossini, son Alcina, son Adina dans ‘L’Elisir d’amore’ et sa Violetta de ‘La Traviata’, elle joue d’emblée sur la variété des teintes dans une ligne de chant qu’elle empreint de mélancolie ; mais la rapidité des doubles croches sur « balzar » l’oblige à ralentir le tempo. Par contre, au tableau suivant, elle réussit à s’inventer une voix pour traduire l’état de somnambulisme ; elle sait ensuite exprimer la honte et le désarroi que provoque sa conduite irrationnelle avant de conclure par un « Ah ! non credea mirarti » émouvant et une cabaletta brillante dont elle parvient à varier la coloratura torrentielle. Fort de son succès dans le rôle d’Argirio de ‘Tancredi’, le ténor chinois Yijie Shi aurait dû personnifier Elvino ; mais une récente opération l’a obligé à annuler et à céder la place à son collègue sicilien Antonino Siragusa ; par rapport à la fin des années nonante où on l’entendait régulièrement à Pesaro dans le Rossini ‘buffo’, il exhibe aujourd’hui un certain phrasé dans un duetto tel que « Prendi, l’anel ti dono » et dans les séquences où il peut chanter ‘piano’ ; mais l’aigu ‘forte’ touche aux bornes de l’insupportable avec cette nasalité qui détériore le son. En début de spectacle, la Lisa de Marie Lys a un côté un peu criard qui s’estompe au moment où elle arrondit sa sonorité pour dessiner un personnage de bonne fille qui voudrait à tout prix se marier. Par contre, Nicolas Courjal a les moyens de la grande basse sonore qui sait jouer la carte de la pondération afin de conférer dignité magnanime au Comte Rodolfo. Au rôle sacrifié de Teresa, la mère d’Amina, Cristina Segura prête un timbre chaleureux qui peut se parer d’inflexions tragiques quand Jean-Raphaël Lavandier donne consistance à la bonhommie d’Alessio, le soupirant éconduit. Et Fernando Cuellar Leon a la drôlerie du Notaire tombant comme un cheveu sur la soupe. Au terme du spectacle, le public conquis manifeste bruyamment sa joie.
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, le 11 février 2018