Voyage musical avec Marianne Fastré

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Frédéric Chopin (1810-1849) : Polonaise en la bémol majeur, op. 53 « Héroïque » ; Nocturne en ré bémol majeur, op. 27 n° 2 ; Berceuse en ré bémol majeur, op. 57 ; Fantaisie-Impromptu en do dièse mineur, op. posthume 66 ; Nocturne en fa mineur op. 55 n° 1 ; Nocturne en mi bémol majeur, op. 9 n° 2 ; Nocturne n° 20 en do dièse mineur, op. posthume. Franz Liszt (1811-1886) : Les Jeux d’eaux à la Villa d’Este ; La Campanella en sol dièse mineur, n° 3 des Six études d’après Paganini ; Consolation n° 3 en ré bémol majeur ; Liebeslied (d’après Schumann) ; Waldesrauschen (Murmures de la forêt), n° 1 des Deux études de concert, S. 145 ; Venezia e Napoli. Marianne Fastré, piano. 2020. Livret en français et anglais. 79’25’’. Azur Classical. AZC175.

En un florilège très généreux (79’25’’) de pages idéalement choisies de Frédéric Chopin (1810-1849) et Franz Liszt (1811-1886), la pianiste belge Marianne Fastré nous propose un récital particulièrement délectable qui est un véritable enchantement. Bien évidemment, quelle que soit la sélection, on peut toujours y regretter l’une ou l’autre absence selon les préférences de chacun, mais une limite devait être imposée. Ceci admis, on reconnaîtra volontiers que le choix est aussi judicieux qu’intelligent.

Après de brillantes études à l’Académie César Franck de Visé en Belgique, Marianne Fastré y obtient dans la classe de Marie-Claire Nardo-Heine le diplôme d’excellence avec la plus grande distinction et la médaille du gouvernement. Elle entre ensuite dans la classe de Suzette Deuse-Gobert au Conservatoire Royal de Musique de Liège où elle remporte successivement le premier prix de piano et le diplôme supérieur avec grande distinction : elle se distingue de ses condisciples et du répertoire traditionnel en choisissant audacieusement comme œuvre concertante le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en si mineur (1930) du pianiste et compositeur belge Arthur De Greef (1862-1940), faisant montre d’une curiosité peu commune envers les œuvres rares. C’est le légendaire pianiste Aldo Ciccolini, dont elle participe aux master-classes, qui l’oriente ensuite judicieusement à Paris auprès de la non moins légendaire France Clidat (1932-2012) avec qui elle se perfectionne durant quatre ans, multipliant les concerts en Europe. 

Le programme Chopin débute avec la célébrissime Polonaise en la bémol majeur op. 53 « Héroïque », et dès cette œuvre, nous sommes fixés : la pianiste met une technique constamment parfaite au service d’une sensibilité poétique qui ne consent aucune concession à l’effet facile, qui rejette toute virtuosité gratuite ; cela se confirme dans le reste de ce récital Chopin dominé par quatre Nocturnes bien choisis : Marianne Fastré est vraiment ici dans son élément, où s’affirme la constante qualité poétique de ses interprétations excluant toute emphase, tout sentimentalisme ou toute mièvrerie, mais où, au contraire, se révèlent la sincérité d’accent, la pudeur et la distinction. Chez elle, la virtuosité la plus éblouissante se transforme en rêverie, en chant intérieur.

Dans le programme Liszt, Marianne Fastré fait vraiment honneur à son illustre professeur. Un soir de 1831, Franz Liszt avait entendu inopinément un jeune pianiste polonais du nom de Frédéric Chopin et avait soudain découvert une virtuosité transcendante mais vouée tout entière à l’expression musicale. Par cette révélation, le poète romantique allait enfin faire valoir ses droits face au virtuose. Et c’est bien cela que met ici en évidence notre musicienne : ce n’est pas simple hasard si, aux côtés de la Consolation n° 3 ou des Waldesrauschen, elle a choisi entre autres des pages des Années de pèlerinage : Les Jeux d’eaux à la Villa d’Este de la Troisième année - L’Italie, et Venezia e Napoli supplément de la Deuxième année - L’Italie, lui-même triptyque comportant Gondoliera, Canzone, Tarantella. Tout comme dans Chopin, l’interprète refuse la moindre emphase, la moindre pâmoison hyperromantique ; elle surmonte les pires difficultés de l’écriture de Liszt, les effaçant pour l’auditeur grâce à une virtuosité brillante qui sait être délicate et discrète lorsque la musique l’exige.

On sort de l’écoute de ce disque ébloui et totalement conquis : c’est le genre trop rare de réalisation qui permet d’affronter les tristes réalités actuelles dans une sérénité bienfaisante…

Michel Tibbaut

Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10

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