Wilhelm Petersen, un symphoniste du XXe siècle dans la lignée de Bruckner
Wilhelm Petersen (1890-1957) : Symphonie n° 3 en do dièse mineur op. 30. Orchestre symphonique de la radio de Francfort, direction Constantin Trinks. 2021. Notice en allemand et en anglais. 60’00’’. Profil Hänssler PH22069.
La discographie de Wilhem Petersen n’est pas très abondante. On trouve des lieder chez Eigenart, de la musique de chambre chez Da Camera Magna, sa Grosse Messe chez Wergo. La Symphonie n° 3 de 1934 ici proposée en première discographique mondiale permet donc de documenter son œuvre orchestrale. Ce compositeur allemand, qui est né par hasard à Athènes et a passé son enfance à Darmstadt, où il enseignera dans la décennie 1920, accomplit ses études à Munich avec deux élèves d’Anton Bruckner, Friedrich Klose, pour la composition, et Felix Mottl pour la direction d’orchestre, ce dernier étant un wagnérien fervent. Comme le précise la notice de Wolfgang Mechsner, Petersen a un jour déclaré : Bruckner est, après Wagner et à ses côtés, le dernier grand musicien, et le dernier témoin des aspirations humaines au divin. Toute son orientation musicale est contenue dans ces propos.
Après avoir tâté, avant la Première Guerre mondiale, de la poésie dramatique dans le cercle de Stefan George, expérimentateur d’autres formes de la métrique qui s’érige contre la tendance réaliste, Petersen vit les hostilités au sein de l’armée. Après le conflit, il choisit de se consacrer uniquement à la musique, touche un peu aux expériences du temps, avant d’opter pour la tonalité franche en 1930. Cette année-là, il compose sa Grosse Messe, créée avec succès par Karl Böhm. Bruno Walter l’en complimentera encore vingt ans plus tard, en découvrant la réduction pour piano. Après le poste pédagogique à Darmstadt, Petersen est nommé à Munich en 1934. Mais sa Grosse Messe sera mal vue par la Gestapo ; il sera même arrêté, sans conséquences majeures. Il pourra poursuivre son enseignement et ses œuvres seront jouées. Mais l’élan est brisé ; résigné, Petersen se réfugie dans un style daté, tout en demeurant un pédagogue estimé. A son décès, il laisse un catalogue où cinq symphonies et un peu de musique orchestrale et concertante voisinent avec des lieder, de la musique de chambre et un opéra, Der goldene Topf, écrit en 1941 et créé la même année.
La première de la Symphonie n° 3 a lieu en 1934, toujours à Darmstadt, sous la baguette de Karl Friderich ; l’année suivante, c’est Hermann Abendroth qui la fait connaître à Berlin. L’influence brucknérienne y est manifeste. Les vingt-cinq minutes du premier mouvement, Un poco sostenuto, se présentent sous la forme d’un élan orchestral permanent, au sein duquel les tensions, les émotions, le flux lyrique, les passages apaisés et les espaces aérés se succèdent. On est plongé dans un style postromantique pleinement assumé qui n’est pas sans mélodies de qualité mais semble se contenter d’une inspiration imprégnée des deux compositeurs privilégiés dont Petersen a fait l’éloge, Bruckner et Wagner. L’Andante non troppo qui suit, étalé sur près de vingt minutes, se complait dans un lyrisme chaleureux qui s’inscrit dans la grande tradition du XIXe siècle finissant, sans qu’il puisse être taxé d’originalité. De grands climax voisinent avec des plages de sérénité. Quant au Final, plus concis et plus aéré, il s’inscrit dans la même ligne, avec un usage subtil des familles instrumentales. Petersen soigne la ligne générale, retient l’attention par une écriture développée avec métier, une variété de timbres et une expressivité globale qui est sans doute l’élément moteur d’une partition que l’on écoute sans état d’âme. Des élans passionnés concluent abruptement cette symphonie, dont le créateur est demeuré marqué par l’enseignement de ses maîtres et par l’influence brucknérienne (sans le génie) qu’il aura tenté de prolonger avec obstination.
Dans un geste large et puissant, Constantin Trinks (°1975) emmène avec conviction les forces instrumentales de la radio de Francfort. Il souligne bien l’effet de flux que l’on éprouve souvent, sans pouvoir donner à cette symphonie plus d’épaisseur et d’originalité qu’elle n’en propose. Un disque destiné avant tout aux amateurs de raretés.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 7,5 Interprétation : 9
Jean Lacroix