Yolande Uyttenhove, leuzoise, pianiste virtuose, compositrice, conférencière

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En l’an 1925, à 11h30 du matin, naît à Leuze-en-Hainaut une petite fille prénommée Yolande, Irène, Marceline, Léona. Son père, Cyrille Uyttenhove, 25 ans, est né en Flandre à Sint-Maria-Lierde et sa mère, Irène Mortier, 20 ans, à Leuze-en Hainaut. 

Cette enfant, dont l’entourage familial est de grande qualité, cumulera les carrières de pianiste virtuose et de compositrice, d’épouse et mère de famille, de professeur enthousiaste de solfège et de piano, de fondatrice et directrice d’une académie, d’écrivaine et de conférencière polyglotte de haut niveau. 

La famille

Ses Parents

On a toujours tricoté à Leuze. On a la preuve de l’exploitation de la laine au XIIIe siècle et on dispose aussi de papiers, de documents qui datent de l’époque de Charles-Quint, écrit Yolande Lefèbvre, guide-conférencière. 

Leuze était la championne de la fabrication de vêtements tricotés grâce à quelque 150 ateliers de bonneterie dont la dernière fermera en 2004. 

Parmi ces exploitations, parfois familiales, la « Fabrique de bonneterie Vve Emile Dujardin » fondée en 1857, est l’une des plus grandes, à la pointe du progrès en matière de mécanisation, et elle crée en 1872 la Mutuelle des Etablissements Dujardin, une des premières mutuelles de Belgique. C’est là que Cyrille Uyttenhove est employé à un poste élevé. 

Irène Mortier se consacre à sa famille qui compte quatre enfants, Christiane, André et Paulette rejoignant Yolande, leur aînée. On y est bilingue puisque le père est flamand et la mère francophone.

Son époux 

Si Yolande Uyttenhove a pu devenir la personne incroyable que nous allons présenter, c’est en grande partie grâce à son époux, René De Macq, flûtiste virtuose, qui l’a encouragée et accompagnée dans ses tournées internationales. A deux, ils ont transmis leurs dons et leur passion à leurs deux fils, Thierry (1957-2018), flûtiste, et Renaud, pianiste (°1963).

René De Macq est né à Forest (Bruxelles) le 18 novembre 1932. Il étudie la flûte traversière avec son père, Henri De Macq, qui a été flûte solo de la « Musique Particulière » de S.M. Léopold II devenue « Grand Orchestre d’Harmonie des Guides ». L’année même de son admission au Conservatoire Royal de Mons, il obtient les premiers prix de flûte et de solfège ainsi que le Prix François Aveau (1882-1921). Il est aussi lauréat du Conservatoire Royal de Gand. Professeur de flûte traversière à l’Académie de Musique de Bruxelles, de Woluwe-Saint-Lambert et d’Etterbeek, il fonde parallèlement deux ensembles de flûtes traversières : l’Ensemble de Flûtes Traversières René De Macq réservé aux professionnels et l’Orchestre de Flûtes traversières de Bruxelles (1983) composé uniquement de flûtes traversières (piccolo, flûte tierce, flûte « normale », flûte alto et flûte basse) et ouvert aux amateurs. Cet ensemble, qu’il dirige lui-même, a pour but de faire apprécier, en Belgique et à l’étranger, des œuvres plus ou moins connues qui s’échelonnent du Moyen-Âge à nos jours. 

René De Macq donne de nombreux concerts et enregistre en TV et en radio.  Avec son épouse Yolande et ses enfants Thierry et Renaud, il a formé ce que l’on a appelé en Amérique The De Macq Family qui a donné de nombreux concerts en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. L’ensemble familial -2 pianos et 2 flûtes- s’est produit notamment à New York (ONU, Cathédrale Saint-Patrick), Washington, Richmond, Saint-Louis, Los Angeles, San Francisco, Detroit, Hampton, Annapolis ainsi qu’à Québec et Montréal.

Pour les Américains, The De Macq Family est l’image d’une double réussite : professionnelle et familiale, déclare Yolande lors d’une réunion musicale entre femmes.

Les enfants

Thierry De Macq, flûtiste

Né en 1957, Thierry De Macq obtient le Premier Prix de solfège au Conservatoire Royal de Bruxelles à 13 ans et le Premier Prix de flûte à 19 ans. En 1975, il devient professeur de flûte à l’Académie de Musique de Woluwe-Saint-Pierre puis, l’année suivante, à celle d’Uccle et il termine avec fruit sa deuxième candidature en Philologie Romane à l’ULB en 1978. Suivent le Premier Prix de musique de chambre et le Diplôme Supérieur de flûte au Conservatoire Royal de Bruxelles. Dès 1980, il enseigne la flûte et la musique de chambre à l’Académie de Musique de Braine-l’Alleud. Il poursuit avec fruit sa formation au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris -écriture musicale, contrepoint, fugue, perfectionne sa formation à l’instrument à Paris et donne de nombreux concerts, notamment aux Etats-Unis. Il est pendant trois ans Directeur Musical d’une radio à Boston puis il devient directeur de l’Académie de Musique de Braine-l’Alleud. Il décèdera inopinément en 2018.

 Renaud De Macq, pianiste

Renaud de Macq, né en 1963, obtient à 12 ans un Premier Prix de solfège au Conservatoire Royal de Bruxelles. Il reçoit plusieurs distinctions tant en Belgique qu’en France, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il poursuit sa formation de pianiste.

Il se produit en France, en Allemagne, en Suisse, au Luxembourg.
Il avait 12 ans lors de la première de ses 4 tournées en Amérique et au Canada dans le groupe The De Macq Family

Membre de différents ensembles, il collabore avec son père pour des concerts-conférences.

Yolande Uyttenhove et ses œuvres 

A côté de sa virtuosité pianistique, Yolande Uyttenhove se consacre à la composition, à l’enseignement, et à la recherche liée à sa passion pour l’histoire des musiciens belges et des compositrices de tous pays, à l’origine d’ouvrages bien documentés et de conférences-concerts en Belgique et à l’étrange.

Comment en est-elle arrivée là ?

Pianiste de haut niveau 

Irène, sa mère, aime la musique ; elle est passionnée de clavier et joue de la mandoline. Très attentive aux dispositions de ses enfants, elle remarque celles de son aînée pour la musique et lui offre une formation pianistique dès son plus jeune âge. Yolande se produit déjà en public à l’âge de quatre ans et poursuit sa formation avec enthousiasme et succès. 

Au Conservatoire de Bruxelles, elle étudie le solfège, l’harmonie avec le Carolorégien Sylvain Vouillemin (1910-1995) le piano avec la Montoise Hélène Dinsart (1882-1968), lauréate du premier concours de virtuoses-pianiste organisé par « Musica » à Paris en 1911, et avec l’Espagnol Eduardo del Pueyo (1905-1986), un des grands pianistes du XXe siècle, qu’elle assiste dans le cadre d’une expérience pédagogique sur l’influence de l’étude de la musique sur l’activité scolaire de l’enfant. Pour le contrepoint et la fugue, elle suit le Péruwelzien Jean Absil (1893-1974) et le Binchois Marcel Quinet (1915-1986) et, pour la musique de chambre, le Tirlemontois Henry Sarly (1884-1954). Elle obtient partout des premiers prix, y compris en histoire de la musique, et un Diplôme Supérieur en musique de chambre, à l’unanimité des membres du jury. 

En 1953, elle décroche le diplôme de Licensiate of the Royal Academy of Music de Londres. Au terme de cette parenthèse anglo-saxonne, elle entame sa carrière publique et est lauréate, en 1954, du Concours International de Pianistes de Barcelone avec le diplôme d’honneur. 

Pianiste concertiste, elle veille sur le patrimoine national et crée plusieurs œuvres de compositeurs belges contemporains telles la Sonate pour flûte de Jacques Leduc, l’Allegro de Max Vandermaesbrugge, les Trois danses flamandes de Willy Pelemans, les  Esquisses chinoises d’Henry Sarly, la Sonatine de Arie Van de Moortel. Et après un concert en 1965, on lit sous la plume du compositeur tournaisien Gérard Bertouille (1898-1981) : « … la révélation de ce concert fut, avant tout, la pianiste Yolande Uyttenhove que nous entendions pour la première fois et qui réunit un ensemble rare de qualités : technique très assurée, toucher extraordinairement délié et clair où les sons, toujours d’une égalité parfaite, restent distincts, même dans le legato, sonorités aux larges possibilités et d’un charme parfois exquis. Cette artiste de classe eut, de plus, le mérite de présenter un groupe de 7 compositeurs belges… Nous avons apprécié la Sonatine de Yolande Uyttenhove elle-même, pour l’excellence de son écriture et la diversité qu’elle a su introduire entre les différents mouvements… »

Mais si Yolande Uyttenhove nous fait partager sa passion pour les compositeurs belges, elle ne néglige pas pour autant Beethoven, Fauré, Liszt, Debussy, Mozart, Ravel, Chopin, Poulenc, Haydn, Mendelssohn, Hindemith,…

En septembre 1970, Joseph Delmelle évoque pour le quotidien « L’Avenir du Tournaisis » les échappées européennes de cette jeune femme souriante : Ses récitals et concerts se succèdent : Institut belge de Londres et London Musical Club, Maison belge de Cologne, Festival de Kerkrade… Yolande Uyttenhove, en outre, joue pour différentes stations radiophoniques : Hilversum, Paris (où elle donne un récital de musique belge contemporaine), Perpignan, Barcelone. Chaque été, elle se produit en Bourgogne.

En 1987, ses nombreux concerts et conférences en faveur de la musique belge lui valent le Trophée Fuga qui met chaque année à l’honneur deux personnalités ayant contribué au rayonnement du savoir-faire musical du pays.

En 1970, Yolande Uyttenhove rejoint Arie Van de Moortel, Jacques Leduc, Georges Colin, Fernand Desprez, Guy-Philippe Luypaerts et Max Vandermaesbrugge pour constituer le Groupe des 7.

Elle sera aussi directrice de l’International Woman Song de Boston (USA)

Professeur

Passionnée par la musique, Yolande Uyttenhove souhaite la faire découvrir et la partager avec les jeunes en formation. Professeur de piano à l’Académie de Bruxelles dès 1955, elle rejoint ensuite l’école de musique de Braine-l’Alleud comme professeur de solfège avant de la diriger jusqu’en 1990. Devenue en 1972 « Académie de Braine-l’Alleud », elle portera bientôt le nom d’« Académie de Musique Yolande Uyttenhove ».

Parmi ses écrits, on relève des ouvrages didactiques dont une Méthode de piano (1964) et un Recueil de dictées atonales (1966).

A l’usage des élèves des Écoles Normales, elle met en musique cinq fables de La Fontaine :

Le rat des villes et le rat des champs, Le pot de terre et le pot de fer, La cigale et la fourmi, La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf et Le corbeau et le renard, illustrées par sa sœur Paulette.

Compositrice

Composer, c’est mettre un enfant au monde. L’œuvre s’ébauche, mûrit en nous, puis se déclenche l’impérieux besoin de transcrire... dit Yolande, qui s’y adonne en imaginant un interprète : son mari, ses fils, un musicien de ses amis… Mon émotion est totale lorsque la personne imaginée interprète ma composition, car je retrouve exactement ce que j’ai entendu intérieurement. 

On lui doit plus de 200 œuvres dont beaucoup de musique de chambre pour tous les instruments, de la flûte à la trompette en passant par la clarinette, le violoncelle, le clavecin ou la harpe chromatique. Et parmi ses nombreuses pièces pour piano, on relève deux curieuses œuvres pour six mains, Chansons d’autrefois et Rochemaure. 

Sa musique est bien ancrée dans son époque, mais avec des élans romantiques qui rendent les compositions contemporaines si mélodieuses, écrit un journaliste qui lui rend hommage en 2000.

Sa Sonatine pour flûte et piano était au programme du concours de flûte du Conservatoire Royal de Mons en 1966. Son Trio pour trompette, 4 timbales et piano a été créé par André Marchal, professeur au Conservatoire de Mons et trompette solo de l’Orchestre National de Belgique. On a retrouvé sa Sonatine pour piano sur les ondes en France et aux Pays-Bas et elle a figuré au programme de plusieurs concerts en Belgique. 

Elle est lauréate du Concours International de Composition Vercelli (Italie) en 1969 avec son Triptyque pour flûte solo et obtient la Médaille d’Or du Concours International de Composition Lutèce (Paris) avec sa Sonate pour violon et piano op. 95. 

A 24 ans, elle recevait une médaille de bronze des Arts, Sciences et Lettres de Paris. Membre de la SABAM (Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), elle a été administratrice de l’Union des compositeurs belges et élevée au rang d’Officier de l’Ordre de Léopold. 

Elle a aussi reçu le Prix Martin Lunssens, du nom de ce compositeur flamand né à Sint-Jans-Molenbeek (1871-1944).

Ecrivaine et conférencière polyglotte

Yolande Uyttenhove partage aussi sa passion pour des personnages historiques, musiciens et compositeurs, avec une préférence pour les femmes compositrices, du XVe siècle à nos jours dans des conférences-concerts ou causeries-récitals où, accompagnée de mari, elle interprète au piano des œuvres qu’elle tire soigneusement de l’oubli. Ces femmes sont souvent plus connues pour leur appartenance à des cours royales ou impériales que pour leurs talents musicaux et rassembler leurs oeuvres est un travail de longue haleine. De 1990 à 2000, ces conférences donnent à la famille l’occasion de sillonner l’Europe, les Etats-Unis et le Canada et de s’illustrer au Wellesley College, Cambridge (Harvard), au Clark Art Museum (Williamstown, Massachusetts), au Conservatoire de Boston et, en 1998, à la California State University. 

Elle s’est ainsi attachée à révéler Marguerite d’Autriche (1480-1730), fille de Marie de Bourgogne et de Maximilien Ier, Anne Boleyn (1500-1536) qui écrivit un très beau chant la veille de sa décapitation sur ordre de son époux Henry VIII, Anne Amélie de Prusse (1723-1787), sœur de Frédéric II, qui composa entre autres pour les régiments de son frère et à qui on devrait la préservation des Concertos brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach, Marie-Antoinette (1755-1793), Reine de France et excellente harpiste,… 

Il y a eu des femmes extrêmement valables de tout temps, mais elles se sont sacrifiées pour la plupart. Entre un besoin d’écrire et un bébé qui pleure, quelle femme hésiterait ? reconnait Yolande au cours d’une interview.

Auteure du livre Marie-Antoinette, Reine et Musicienne (Editions européennes, 1995), Yolande Uyttenhove s’est produite à la Conciergerie à Paris le 16 octobre 1998, à l’occasion du 200e anniversaire de l’exécution de son héroïne. 

Sa mémoire extraordinaire et ses qualités de communication lui ont permis d’exploiter ses nombreuses recherches sur des sujets de tous ordres : en témoignent ses 19 thèmes de conférences avec souvent, pour interprètes musiciens, Renaud et René De Macq.

Postérité

Yolande Uyttenhove s’éteint le 2 février 2000 à l’âge de 75 ans, mais sa réputation reste grande et dépasse les frontières de notre pays. Sa passion pour la musique belge s’est transmise.
Avec René et Renaud De Macq, la compositrice belge d’origine hollandaise Danielle Baas a fondé en mars 2001 l’Ensemble Yolande Uyttenhove pour promouvoir la musique belge contemporaine, variant au gré de la programmation et intégrant d’autres musiciens. Il a reçu en 2004 le Trophée Fuga de l’Union des Compositeurs Belges en hommage à son action pour la musique belge et il prend en 2007 le nom de Mikrokosmos

 En 2016, la Ville de Bruxelles a établi une liste de vingt-six femmes illustres pour nommer ses futures places, rues et bâtiments dans le cadre du plan d’action pour l’égalité des femmes et des hommes voté en 2014. Parmi elles, des femmes politiques, sportives, scientifiques, écrivaines et des artistes dont Yolande Uyttenhove. Peut-être un square ou un parc portera-t-il aussi son nom à Leuze-en-Hainaut puisque la commune a enregistré cette proposition du Cercle d’Histoire et d’Archéologie local en 2019. Et rappelons que l’Académie de Musique de Braine-l’Alleud porte déjà son nom.

Ses œuvres musicales ont été rassemblées par feu le Centre Belge de Documentation Musicale CeBeDeM dont le fond est désormais versé à la Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles.

Sa famille donne vie à ses œuvres 

Avec son mari, Yolande Uyttenhove formait un couple éminemment sympathique, elle jouant du synthétiseur qu’elle transformait en clavecin, en tympanon, en piano. Lui, jouant de la flûte traversière et tous deux illustrant ainsi d’agréables conférences à propos de musiciens et de personnages historiques ont écrit Francis Jouret et Yolande Mortier du comité du Cercle d'Histoire et d'Archéologie de Leuze-en-Hainaut (C.H.A.L.).

Anne-Marie Polomé  

Crédits photographiques : DR

 

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