Nelson Freire au sommet !

par

© Fabrice Boissière

Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en si bémol majeur, op. 83
Richard Strauss (1864-1949) : Tod und Verklärung, op. 24Igor Stravinsky (1882-1971) : L’Oiseau de feu, suite (1919)

Ecouter le magnifique piano de Nelson Freire est une chance inouïe pour l’auditeur, mais lorsqu’il s’agit du Concerto n°2 de Brahms, c’est l’apothéose. Accompagné ce soir par le Brussels Phiharmonic et son ancien directeur musical, Michel Tabachnik, le pianiste entame le premier mouvement avec l’assurance qu’on lui connaît : maîtrise du clavier, des sonorités, des contrastes et du dialogue avec l’orchestre. Un concerto achevé à 58 ans dont les valeurs intrinsèques de la musique font de cette œuvre l’une des plus complexes du répertoire concertant. Freire déploie ici non seulement une compréhension sans faille de la structure mais aussi une connaissance plus qu’aboutie du discours musical. Le jeu est limpide, solide, brillant, timbré, en somme, naturel. Car en plus d’adopter une attitude sobre, le jeu de Nelson Freire est si évident qu’à plusieurs moments il donne l’impression que le concerto est facile. Dans le second mouvement, la métrique plus rythmique est à nouveau maîtrisée, en parfait dialogue avec l’orchestre, tandis que la façon dont le pianiste accentue certaines lignes mélodiques, souvent négligées, rend l’écoute magique. Le mouvement lent est également d’une grande richesse sonore avec une perception des lignes modiques qui tend davantage vers la simplicité. Et c’est évidemment cela qui rend la lecture passionnante : cette façon dont les artistes chantent d’une seul voix. Freire achève le concerto avec la complicité de Michel Tabachnik, un très bon accompagnateur qui n’hésite pas à appuyer certaines couleurs et/ou contrastes. Après cette grande leçon d’humilité et de sincérité, Nelson Freire offre au public une lecture passionnante de l’Intermezzo opus 118 n°2, dans un tempo relativement rapide. Freire accentue ici davantage le côté instinctif en chantant de l’œuvre tel un seul souffle, ininterrompu, limpide et évident.
En deuxième partie, Tabachnik propose une lecture plus qu’honorable de Tod und Verklärung de Richard Strauss. Un poème symphonique redoutable alternant passages calmes et mystiques et grands tutti magistraux. Quelques légères faiblesses se font ressentir dans les cuivres, malgré une respiration commune idéale et une conduite des phrases aboutie. Tabachnik adopte une battue sobre, souple et fluide et davantage contrastée pour les passages dynamiques. Enfin, l’orchestre termine avec la suite de L’Oiseau de feu que le chef maîtrise parfaitement et dont il esquisse quelques pas de danse. Petit accident en cour de route avec une corde cassée pour le violon solo, ne perturbant pourtant pas la lecture. Se perçoit aussi de la fatigue – naturel après un tel programme – lorsque le chef tente de relancer l’orchestre, créant inévitablement quelques légers décalages ou une sensation de flottement. Malgré tout, de très belles couleurs, des phrasés contrôlés et une belle perception des ambiances et dynamiques tout au long de l’œuvre. Après un début dans le chaos le plus total, l’orchestre reprend la « Danse infernale du roi Kachtcheï », un bis non préparé comme le souligne avec sourire Michel Tabachnik.
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Bozar, le 5 novembre 2015

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