Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Version historiquement informée pour La Walkyrie

par

Ce samedi 14 mars a lieu la représentation historiquement informée de La Walkyrie de Richard Wagner, opéra tiré de sa tétralogie L’Anneau du Nibelung. Cet opéra, en trois actes, est donné en version concertante au Concertgebouw d’Amsterdam, quelques jours après la Première à Prague. Comme pour l’Or du Rhin, nous retrouvons Kent Nagano à la direction. L’orchestre est quant à lui composé de musiciens de deux orchestres : l’Orchestre du Festival de Dresde, ville où Wagner occupe une place importante, ainsi que le Concerto Köln, orchestre habitué des interprétations historiquement informées. Les 14 solistes sont accompagnés par près de 100 musiciens. 

Ce concert a lieu dans le cadre des célèbres matinées du samedi, série de concerts que l’on doit au média néerlandais « NPR ».

Avant de parler de la prestation elle-même et comme petit rappel, revenons d’abord sur le but recherché de cette version historiquement informée. Il faut savoir que c’est un projet colossal qui est mis en place depuis 2017 puisque que c’est la totalité du Ring qui bénéficie de recherches scientifiques afin de pouvoir interpréter les quatre opéras de cette tétralogie de manière historiquement informée. Le but de ces recherches scientifiques, menées sous la direction du Dr. Kai Hinrich Müller, est de proposer une nouvelle manière d’aborder cette œuvre afin d’essayer de se rapprocher au maximum de l’interprétation dans le contexte de l’époque et sur base des découvertes actuelles sur Wagner. Ainsi plusieurs points sont abordés : les instruments, la manière de chanter, la manière d’interpréter le texte, la prononciation de l’allemand.

Le Printemps des Arts 2024 : Strauss en ouverture

par

Le Printemps des Arts fête ses quarante ans cette année à l’occasion de la troisième édtion sous la direction de Bruno Mantovani. Le motto de cette année 2024 est "ma fin est mon commencement".

Le premier concert symphonique avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo est entièrement consacré à Richard Strauss avec deux œuvres de jeunesse Aus Italien et Don Juan en relief avec les Quatre derniers Lieder, l’une de ses dernières compositions.

A cette occasion, c’est Fabien Gabel, un habitué de l’OPMC qui est au pupitre. Aus Italien op.16 est une curiosité.  Cette Fantaisie symphonique en quatre tableaux évoque les sensations suscitées par la vue et les magnifiques beautés de Rome et de Naples. On sourit en entendant le dernier mouvement car Richard Strauss croyait avoir trouvé un air populaire napolitain, alors que Funiculi funicula est une chanson publicitaire composée en 1880 par Luigi Denza. Fabien Gabel et l'OPMC. donnent une performance absolument délicieuse de  cette charmante œuvre.

A Genève, un Bruckner captivant

par

Sous un bien curieux titre, Charme autrichien, Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande juxtaposent une œuvre célèbre de Mozart, le Concerto pour clarinette et orchestre, et l’une des symphonies les moins connues de Bruckner, la Deuxième en ut mineur, pour un programme présenté à Genève, Lausanne et Fribourg. 

Dans le K.622 en la majeur, le soliste est Martin Fröst, l’artiste en résidence de cette saison 2023-2024. Aux premières mesures du tutti, le chef confère un certain allant en nuançant un phrasé que le clarinettiste prend à son compte afin de privilégier la poésie à l’encontre d’une patine brillante, tout en instillant d’infimes demi-teintes dans un cantabile qui sollicite les graves du registre, tout en allégeant les fins de phrase. L’Adagio étire les lignes en une sonorité magnifique qui s’amenuise en un pianissimo intériorisé pour la cadenza et le da capo du motif initial, alors que le Rondò final tient du badinage désinvolte qui se joue des sauts de tessiture avec une aisance confondante. Armé du même brio, Martin Fröst propose, à titre de bis, une improvisation de son cru qui met en valeur les ressources infinies de son instrument.

Martha Argerich et Charles Dutoit à Monte-Carlo

par

La légendaire pianiste Martha Argerich  revient à Monaco et c'est à chaque fois un événement extraordinaire qui affiche complet. Le public monégasque a eu le privilège d'assister presque chaque année, y compris en période du Covid -avec une jauge de moitié- à des concerts inoubliables avec Martha Argerich et son complice Charles Dutoit, dans ses concertos favoris de  Prokofiev, Ravel ou Schumann...

Cette fois-ci, elle joue le  Concerto n°1 de Beethoven, une œuvre qui a lancé sa carrière en 1949 alors qu'elle n'avait que sept ans ! Il n'y a plus de pianiste aujourd'hui qui joue après 75 ans de carrière avec autant de facilité, de profondeur, de clarté, de fluidité, de passion et de plaisir.

Une nouvelle fois, on a apprécié son toucher magique. Poétesse du clavier, son intelligence contrôle, filtre le lyrisme tout en donnant de l'intensité à l'expression du sentiment sans aucun sentimentalisme. C'est Beethoven qui prend vie, en partenariat avec le maestro Charles Dutoit. Même si on décèle une légère fatigue, elle offre au public déchaîné après de nombreux rappels deux bis où elle est époustouflante  : la  Gavotte de la  Suite anglaise n°3 de Bach, le summum de la technique digitale et Jeux d'eau de Ravel, le chef d'oeuvre impressionniste inspirée du bruit de l'eau et des sons musicaux qui suggèrent les jets d'eau, les cascades et les ruisseaux. Sous les doigts d'Argerich l'eau vive couve un feu intérieur.

Sean Shibe et sa guitare céleste

par

Le label Rising star, comme toute bonne étiquette, décrit, définit, circonscrit, et attire un public qui accepte un risque (mesuré), celui de découvrir un interprète repéré pour son talent, au travers d’un programme construit sur mesure, additionnant parfois un assortiment inhabituel d’esthétiques : s’il plonge ses deux mains dans l’époque contemporaine, Sean Shibe, jeune, écossais né à Edimbourg en 1992 et BBC New Generation Artist, se nourrit aussi de l’histoire de la musique, du 11ème siècle à aujourd’hui, en passant par la période baroque, pour créer les « sculptures sonores » qu’il aime offrir à ses publics.

Shibe, qui fait la différence entre influence (le goût de l’exploration du guitariste anglais Julian Bream) et inspiration (Robert Fripp, Jimi Hendrix), propose un concert en deux parties -la première à la guitare acoustique, la seconde à la guitare électrique-, fait de pièces qu’il assemble selon les affinités qu’il ressent (et note dans ses carnets), attentif aux liens entre elles, parfois évidents, comme ceux (de symétrie, notamment) entre Johann Sebastian Bach (1685-1750) et Steve Reich (1936), parfois moins directs, comme ceux entre Hildegard von Bingen (1098-1179) et Olivier Messiaen (1908-1992).

A la mélancolie mi-aigre mi-douce de la courte Sérénade pour guitare de Sofia Gubaidulina (1931-), écrite par la compositrice tatare tôt dans son parcours et qui fait ici office de prélude, succède le lyrisme du guitariste paraguayen Agustín Barrios Mangoré (1885–1944), dans lequel Shibe, les yeux fermés, s’immerge, avant se lancer dans un arrangement personnel du Prélude, Fugue et Allegro, écrit à l’origine par Bach, l’esprit alors tourné vers la pensée chrétienne, pour luth ou clavecin, point culminant du fil rouge céleste que suit ce soir le guitariste – dont les Forgotten Dances du compositeur britannique Thomas Adès (1971-) sont peut-être l’exception qui confirme la règle.

Début en force du Klara Festival avec le Hong Kong Philharmonic Orchestra

par

La dix-neuvième édition du Klarafestival débute ce vendredi 8 mars avec le concert du Hong Kong Philharmonic Orchestra sous la baguette de son directeur musical, Jaap van Zweden. Au piano, nous retrouvons la jeune étoile du piano français : Alexandre Kantorow. Au programme de ce concert, trois œuvres : Asterismal Dance de Daniel Ting-cheung Lo, la Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43 de Rachmaninov et la Première Symphonie en do mineur, Op. 68 de Brahms.

Le thème de cet nouvelle édition du Klarafestival est le suivant : Crossroads (La croisée des chemins). Ce thème, nous le devons à l’une des artistes de ce festival : Claron McFadden. Crossroads symbolise la convergence entre les univers musicaux les plus divers mais aussi la convergence entre le public et les artistes autour de la musique et des différents concerts composant cette nouvelle édition. 

Le concert, le dernier de la tournée anniversaire européenne de l’orchestre, débute avec le poème symphonique Asterismal Dance (la danse des étoiles) de Daniel Ting-cheung Lo. Cette pièce est une commande du Hong Kong Philharmonic Orchestra dans le cadre des 50 ans de la création de l’orchestre. Dès le début de la pièce, un climat mystérieux et intriguant se met en place. La musique devient ensuite plus claire, bien que les changements incessants de métriques viennent quelque peu chambouler cela. Jaap van Zweden mène l’orchestre avec des gestes précis. Le pupitre des percussions, dont le rôle est prépondérant, aide le chef à guider l’orchestre dans une danse frénétique. Notons le dernier solo de timbales quelques mesures avant la fin qui est plus qu’impressionnant.

A Genève, trois premières exécutions fascinantes

par

Pour un événement particulier comme cette Soirée des premières, l’Orchestre de la Suisse Romande collabore avec l’Orchestre de la Haute Ecole de Musique de Genève en infiltrant quelques-uns de ses chefs de pupitre dans les rangs de la formation estudiantine. Peter Eötvös aurait dû diriger lui-même le programme du 2 mars qui comportait deux de ses œuvres. Mais pour des raisons de santé il a dû annuler sa participation. Et c’est Jonathan Nott qui a accepté d’étudier trois œuvres qui lui étaient inconnues pour le remplacer à la tête d’une phalange impressionnante par sa dimension.

La première des œuvres de Peter Eötvös s’intitule Reading Malevich, créée en 2018 par Matthias Pintscher et l’Académie du Festival de Lucerne mais que Genève entendait pour la première fois. Inspirée par la toile Suprematismus n.56 de Kazimir Malevich, cette page suscita quelques réflexions de la part du compositeur qui déclarait : « Je me suis mis comme défi la transformation d’une image en musique… Ma partition s’articule en deux volets, Horizontal et Vertical, référence à la ligne de mire du spectateur et à la façon dont il lit le tableau ». Et c’est par le biais de formules à l’unisson que se profile un ostinato mélodique dont les lignes se resserrent sous l’impulsion des vents pour laisser affleurer les tensions. L’abondante percussion produit de mystérieuses suspensions avant l’avènement des cuivres imposant un choral que récupérera le tutti. La seconde partie est un éblouissant kaléidoscope dont la myriade de coloris est fluidifiée par de soyeux glissandi. 

Intervient ensuite Xavier de Maistre assumant la première suisse du Concerto pour harpe et orchestre que Peter Eötvös avait composé à son intention en 2003 en réponse à une co-commande de Radio France, du Rundfunkorchester de Berlin, du Musikverein de Vienne, de la NHK de Tokyo, de la Casa da Musica de Porto et de l’OSR. En trois mouvements bien distincts, l’œuvre s’articule en confiant d’abord au soliste une cadenza virtuose amenant la ligne mélodique que développent les bois. Frappant par instants sur le bois, le harpiste se confine à ornementer le discours orchestral largement développé avant d’ébaucher une seconde cadenza qui débouche sur un lento intériorisé s’appuyant sur les tenues des cuivres et sur le canevas lancinant des cordes. Le final fait éclater les tensions par une série de traits à l’arraché qui vivifient le coloris tout en sollicitant les ressources techniques les plus inattendues de l’instrument. Devant l’enthousiasme délirant du public, Xavier de Maistre pare de mille nuances l’adaptation que Felix Godefroid avait élaborée du célèbre Carnaval de Venise.

Deuxième soirée Tchaïkovski au Luxembourg

par

Quand on a la chance d’entendre un orchestre de grande qualité, une soirée n’est jamais suffisante. Cela, la Philharmonie du Luxembourg l’a très bien compris. Comme ce sera le cas pour le London Symphony Orchestra et Sir Simon Rattle dans quelques jours, l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et Andris Nelsons nous ont proposé deux soirées d'exception avec deux programmes différents. Désireux de rendre hommage au génie de Piotr Ilitch Tchaïkovski, l’orchestre allemand lui a consacré l'entièreté des deux soirées. 

Vous pouvez retrouver le commentaire de Thimothée Grandjean sur le premier soir ici. En guise d’ouverture, nous avons pu entendre la ballade symphonique Le Voiévode. Composée en 1890, l'œuvre déçut le compositeur russe qui détruisit la partition. Heureusement, le matériel d’orchestre lui a survécu. Bien qu’incomparable aux plus grandes pages du maître, l'œuvre est très agréable et fut une belle entrée en matière pour l’orchestre allemand. Malgré quelques légers balbutiements dans l’harmonie, les musiciens ont tout de suite fait montre de leur immense talent. Du pianissimo le plus doux et léger au fortissimo le plus ample et majestueux, la palette des nuances explorées par Andris Nelsons et son orchestre semble infinie. Pour preuve, le diminuendo final tout bonnement exceptionnel réalisé par l’orchestre. Nous en venons à sentir le son plus qu'à l'entendre. Pour compléter cette première partie extraordinaire, l’orchestre allemand a interprété l’Ouverture Hamlet, fantaisie d’après Shakespeare composée en 1888. Quand résonne le dernier roulement de timbales, une pensée s’impose : l’orchestre n’est qu’un seul instrument manié avec brio par le chef letton. Les timbres se mélangent parfaitement, la balance est un équilibre parfait, la précision est à toute épreuve. 

Tchaïkovski mis à l’honneur par le Gewandhausorchester de Leipzig.

par

Ce mercredi a lieu le premier des deux concerts de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig à la Philharmonie du Luxembourg. Ils sont placés sous la baguette de leur directeur musical, Andris Nelsons. Les deux concerts mettent un compositeur à l’honneur : Piotr Ilitch Tchaïkovski. Pour ce premier concert, Leonidas Kavakos se joint à la fête. Au programme de cette première soirée, deux œuvres : le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, op. 35 et la Cinquième Symphonie en mi mineur, op. 64.

Le concert débute avec une de œuvre phare du répertoire : le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, op. 35 de Tchaïkovski. Cette pièce exaltante, composée en 1878, est l’une des plus virtuoses et redoutées du répertoire violonistique. Son exécution demande une grande précision et une musicalité exacerbée. Le soliste du soir se confrontant à ce mastodonte est le violoniste grec Leonidas Kavakos. Après une introduction orchestrale nous plongeant immédiatement dans la pièce, le soliste fait son entrée. Le début est quelque peu fébrile et la projection du son n’est pas totalement optimale. Mais ce n’est que de courte durée, après quelques mesures, Kavakos plonge dans la pièce et livre une prestation de haut niveau. D’ailleurs la cadence du premier mouvement est impressionnante. Le silence régnant dans la salle pendant celle-ci est tout aussi impressionnant. La Canzonetta est un moment suspendu dans le temps grâce à l’interprétation sensible et musicale du soliste. L’Allegro vivacissimo est quant à lui débordant d’une énergie maîtrisée et au service de l’œuvre. Cela dit, il faut souligner le rôle important de l’orchestre. Les musiciens portent une grande attention au jeu du soliste. La connexion entre le concertmeister et le soliste en est la preuve. Au niveau des nuances, le soliste n’est jamais couvert par l’orchestre. Andris Nelsons guide l’orchestre avec brio tout en laissant Kavakos déployer son talent. Dès la fin de la pièce, le public acclame la prestation plus que réussie de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et Leonidas Kavakos. Ce dernier livre en bis le sublime Andante de la Sonate N°2 en la mineur, BWV 1003 de Jean-Sébastien Bach. Suite à cette interprétation, le public se lève unanimement pour applaudir violoniste.

Florent Caron Darras : « la musique est un lieu »

par

Titré Traversées, le concert de l’ensemble United Instruments Of Lucilin se consacre pour moitié au compositeur français né à Niigata Shi (Japon), Florent Caron Darras (1986-), un portrait en compagnie de trois autres œuvres, une initiative appréciable, vu la qualité de son écriture -que je découvre-, qui donne naissance aux trois pièces, dont une création, inscrites au programme.

Dans la catégorie invités, Nout, de Gérard Grisey (1946-1998), pièce pour saxophone solo (à l’origine pour clarinette contrebasse), fait partie d’un diptyque où le compositeur belfortain, qui dédie la partition à son collègue Claude Vivier, assassiné, s’adresse à la fois à Anubis, le dieu de l'embaumement, à la tête de chacal noir et à Nout, au corps féminin, bleu et étoilé, déesse de la voûte céleste et de la nuit, qui protège les momies : c’est un passage, celui de la vie vers la mort, au long duquel l’instrument nous fait descendre en lui-même, pour mieux en échapper. Avec ses courtes vagues montantes, couplées à des velléités explosives, Subsonically Yours (pour ensemble) se présente aux tympans comme un assemblage hétéroclite et interrogateur : les histoires que racontent Mirela Ivičević (1980-), compositrice et performeuse croate habitant à Vienne (elle étudie auprès de Georges Aperghis, Georg Friedrich Haas ou Louis Andriessen) ne s’appréhendent pas facilement à la première rencontre ; il faut, quand on le peut, revenir sur son discours, jouant avec la perception et volontiers activiste -tant sur la partition, qu’en politique ou en matière de diffusion des musiques (ultra-)modernes. Beau comme un complot, ourdi comme une manigance, Vagabonde Blu est une pièce pour accordéon seul où le corps (Frin Wolter) épouse l’instrument : main gauche d’abord, le torse penché pour mouvoir le soufflet, main droite ensuite qui passe par-dessus vers l’épaule opposée pour le resserrer, à partir d’une approche physique de l’instrument, Salvatore Sciarrino (1947-), l’autodidacte à la double référence musicale (Karlheinz Stockhausen pour l’avant-garde et Franco Evangelisti pour la musique électronique), ne précise pas le geste sur la partition, datant de 1998, et laisse à l’interprète le soin de trouver la meilleure contorsion.