Au Concert

Les concerts un peu partout en Europe. De grands solistes et d’autres moins connus, des découvertes.

Masaaki Suzuki : Rigueur, sobriété et hédonisme dans les Cantates de Bach

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Le Célèbre Bach Collegium Japan effectue cette année une tournée estivale à travers l’Europe. Les présenter au Festival de Musique Ancienne d’Innsbruck était dès lors incontournable. Le prestige que cet ensemble et son chef ont acquis depuis des décennies par leur travail exhaustif d’enregistrement de Cantates et Passions de Bach les a rendus un des acteurs indispensables de l’interprétation historique, pour ne pas dire de l’interprétation tout court. Masaaki Suzuki a atteint sa 70e année, mais il est toujours un petit homme animé et alerte qui vit la musique dans l’onction religieuse, certes, mais sans renoncer à la moindre once de beauté sonore. Une des caractéristiques saillantes de cet ensemble réside précisément dans l’identité de leur sonorité. Autant le groupe des cordes, celui des vents ou le continuo possèdent une virtuosité et une précision dans l’exécution époustouflantes et sont parfaitement en communion avec le langage de Bach, ce qui ressort au premier plan c’est leur volonté d’atteindre un idéal probablement divin à travers l’esthétique du son. C’est comme si la déité se trouvait dans la richesse harmonique obtenue de chaque instrument. La même considération inspire le résultat sonore du chœur, strictement réduit à douze voix y compris les quatre magnifiques solistes de la soirée : l’amalgame des voix est parfait, mais on sent surtout la volonté de trouver un idéal sonore duquel le tranchant ou la dureté ne font pas partie. Rien ne les empêche d’être brillants ou assertifs, vu que les professions de foi sont récurrentes dans les textes des Cantates, mais elles sont ainsi servies dans un écrin tendre, mielleux. J’ai apprécié particulièrement leur manière sobre et efficace d’accompagner les récitatifs : c’est mordant au besoin, discret en général, mais ils appuient remarquablement le contenu et la clarté du texte. La direction de Suzuki est très sobre, il va droit à l’essentiel : quelques accents, quelques impulsions rythmiques et un discours sans ambages ni détours, il laisse le contrepoint et les rythmes de danse parler d’eux-mêmes.

De Mozart à Bruckner, revisiter les classiques au festival de Salzbourg 

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Les matinées Mozart du Mozarteumorchester Salzburg données chaque week-end pendant la durée du festival de Salzbourg font partie des séries de concert structurantes de la manifestation tout comme les concerts hebdomadaires des Wiener philharmoniker. Bien évidemment c’est Mozart qui est à l’honneur avec ce qu’il faut de grands chefs d'œuvres mais aussi de raretés. C’est aussi une série privilégiée du public citadin : l’ambiance est un peu moins guindée qu’aux représentations d’opéras ou qu’aux grands concerts du soir. Le prix des tickets est aussi un peu plus démocratique (mais ce point est toujours à relativiser au festival de Salzbourg). Du côté artistique, outre des concerts avec ses directeurs musicaux ancien (Ivor Bolton) ou actuel (Roberto González-Monjas), des grands noms Ádám Fischer, la série est aussi une rampe de lancement de talents émergents qui y font leurs premières armes dans le cadre de la programmation festivalière ; on a ainsi pu entendre au fil des ans : Anu Tali et Mirga Gražinytė-Tyla. Dans tous les cas, les matinées Mozart sont devenues des moments de haut vol, loin de la routine luxueuse qui était servie il y a encore 15 ans quand Hubert Soudant était directeur musical de l’orchestre. 

Pour cette dernière matinée de l’édition 2024, c’est Maxim Emelyanychev qui office au pupitre mais aussi aux claviers. Avec Maxim Emelyanychev, on n’est pas dans l’idée d’un chef omniscient mais d’un primus inter pares qui dialogue avec les musiciens au podium en effectif instrumental symphonique mais aussi en soliste chambriste au clavier ou à la direction depuis le clavier. Dans la Serenata Notturna, le musicien laisse une part à un dialogue d’une liberté presque improvisée entre les cordes. Tout l’orchestre joue debout avec une énergie communicative. Le sentiment de liberté se poursuit avec le Quintette pour clavier et vents KV 452 : les 4 vents sont des membres de l’orchestre (Isabella Unterer, hautbois ;  Bernhard Mitmesser, clarinette ;  Álvaro Canales Albert, basson et  Paul Pitzek, cor) et  Maxim Emelyanychev les accompagne avec sensibilité, tonus mais aussi esprit de humoristique facétieux. En seconde partie, le chef retrouve l’effectif complet du  Mozarteumorchester Salzburg pour une Symphonie n°38 “Prague” emportée à l’énergie.  Maxim Emelyanychev a des idées, beaucoup d'idées pour mettre en avant tel phrasé, tel détail, telle nuance. Son Mozart est vif, rapide mais il évite la routine de la “modernité” interprétative qui martyrise trop souvent le matériau musical à coups de serpe. La culture stylistique de l’orchestre, rompu à son Mozart dans une approche historiquement informée, s’accorde parfaitement à l’esprit de l’interprétation du chef : vivifier mais sans brutaliser. On sent l’adéquation totale entre Maxim Emelyanychev, qui libère les énergies, et les musiciens engagés, emportés dans ce torrent musical. 

Un concert anti-routine qui ne fait que confirmer la très haute qualité du Mozarteumorchester Salzburg. 

Au festival de Salzbourg, ascension alpestre et concept en concert 

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Les années passent, le Festival de Salzbourg reste, tel quel ! Déjà pas son ambiance, la rue devant le Festspielhaus avec le ballet des imposantes limousines allemandes déposant ses VIP locaux et les puissants mécènes, son public pas très jeune et endimanché dès les premiers concerts du matin dans un patchwork bigarré : robes du soir,  tenues traditionnelles autrichiennes ou bavaroises,  japonaises en kimono, touristes en bermudas ou short. C’est un intéressant miroir du temps qui ne semble pas s’écoule avec un festival qui reste très orienté grand prestige avec des affiches déroulant des grandes stars du moment,  même si elles sont parfois controversées comme Teodor Currentzis toujours très apprécié tant du public que de le directeur artistique Markus Hinterhäuser qui lui a confié un Don giovanni de Mozart.  

Le critique, comme le mélomane exigeant, se trouve souvent face à un dilemme devant la richesse de l’affiche d’un festival qui s’écoule sur un peu moins d’un mois et demi. Il est parfois difficile (on ne prête qu’aux riches) de tenter de composer son menu à la carte en fonction de ses goûts en évitant le grand écart calendaire. Alors l’édition 2024 ne manque pas d’intérêts avec du côté des opéras deux belles entrées au répertoire scénique du festival Le Joueur de Prokofiev et l’IIdiot de Weinberg, des partitions trop rares pour lesquelles le directeur artistique avait convoqué deux gloires un peu passées de la mise en scène : Krzysztof Warlikowski et Peter Sellars ; saluons aussi une version de concert du Prisonnier de Dallapiccola, une autre grande partition mésestimée. Notons aussi un très fort contingent d’artistes français chefs (Marc Minkowski et Maxime Pascal) et chanteurs (Benjamin Bernheim, Léa Desandre)  et même des Belges avec un concert de Vox Luminis de notre cher Lionel Meunier. Du baroque à la création, il y en a pour tous les goûts et toutes les couleurs.  Pour notre part, nous assistons à des concerts symphoniques avec les formations autrichiennes et deux orchestres invités  

Cette première journée commence sur les plus hautes cîmes avec une matinée 100% RIchard Strauss en compagnie d’Asmik Grigorian, des Wiener Philharmoniker et de Gustavo Dudamel. Adulée du public local, la soprano lituanienne se lance dans les Quatre derniers Lieder de Strauss, dont elle est l’une des plus grandes interprètes actuelles. L'interprétation de  Frühling commence sous le ligne d’un hédonisme sonore avec une chanteuse à la plastique vocale et à la projection superbe, alors que les Wiener Philharmoniker qui délivrent un accompagnement paré de leurs plus belles couleurs instrumentales dans cette oeuvre dont ils connaissent les moindres nuances par coeur. Rompus à l’accompagnement lyrique, les pupitres de l’orchestre prennent le contrôle de cette lecture dialoguant intimement avec la chanteuse, respirant à l'unisson avec elle. Gustavo Dudamel ne cherche pas à imposer un accompagnement et favorise ce dialogue qui culmine dans un  Im Abendrot inoubliable de finesse et rehaussé des couleurs uniques de la phalange viennoise : ses cordes soyeuses et velourées et le moelleux de ses vents. Certes, il y a des interprétations plus tragiques, plus démonstratives, plus lyriques, plus intimes de ce chef-d'œuvre, mais celle-çi reste mémorable. L’adéquation avec l’orchestre est telle que l’on ne peut s'empêcher de regretter qu’Asmik Grigorian n’a pas enregistré ces Quatre derniers lieder avec les Wiener Philharmoniker.

En seconde partie de ce concert, le “Dude” et les Viennois se lancent dans l'ascension de la Symphonie alpestre. Là encore, on est dans le cœur du répertoire des musiciens autrichiens, l’une de leurs partitions préférées souvent emmenée en tournées pour faire briller tant la qualité des pupitres que la beauté du son de ses pupitres si bien adaptés à cette musique. Du côté du pupitre du chef, Gustavo Dudamel est à son meilleur dans ces fresques symphoniques de démonstration qui lui permettent de faire jouer sa technique de bâton pour jouer de l’orchestre et galvaniser les dynamiques. La phalange prend place sur la très vaste scène du Grand palais des festivals qui en serait presque étroite vu la démesure instrumentale, et elle attend avec impatience son maestro. Bien évidemment, tout y est dans cette lecture, puissance sonore, beauté des timbres, musicalité des pupitres, qualité de la projection et des attaques. Dudamel construit sa narration comme un arc sonore toujours mobile et construit par gradation, ainsi l'épisode de l'orage est cataclysmique à faire trembler les murs. Si on a parfois reproché à Gustavo Dudamel de trop en faire dans le démonstratif, il reste ici dans une narration logique et charismatique en compagnie d'un orchestre qui est heureux de travailler avec ce chef comme en témoigne les accolades et sourires ravis des musiciens. Du grand symphonique de parade dans un cheval de bataille comme seules ces grandes phalanges peuvent le faire ! 

Le Festival "Musique Cordiale" fête ses 20 ans

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Chaque année près d'une centaine de chanteurs et de musiciens des quatre coins du monde se retrouvent à Seillans et dans le pays de Fayence pour faire de la musique d’autant plus que de nombreux britanniques, souvent musiciens, passent leurs été dans cet endroit. C’est l’Entente cordiale, mais en musique ! 

Au début de l’histoire du festival,  la directrice artistique Pippa Pawlik voulait monter la Messe en si mineur dans l’église de Seillans. Elle a convaincu ses amis musiciens de Zurich, Londres et des Etats-Unis de venir passer une semaine à Seillans pour un séjour musical. Les Seillanais n'avaient jamais entendu un chœur avec un orchestre aussi splendide dans leur église. En maintenant le chœur comme base du festival, l’événement a été élargi à deux semaines avec un concert par soir, ainsi qu’une série de concerts de midi gratuits qui ont lieu dans les magnifiques chapelles du Pays de Fayence. 

En cette année anniversaire,  un mécène, grand amateur d'opéra, a invité soixante artistes de Musique Cordiale pour une représentation du Requiem de Verdi en l'église Anglicane Saint John à Menton. L'acoustique de l'église est parfaite pour la musique vocale. Construite en 1867 dans le style néo-gothique,  elle a été entièrement rénovée, les murs de l’abside sont décorés de marbre et de mosaïques à l’italienne dans le style préraphaélite. 

Une liturgie pacifiste au Festival Jordi Savall : « Musique et psaumes pour la paix intérieure et extérieure »

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Ce grand gambiste barcelonais est devenu un des porte-faix les plus emblématiques de la culture catalane à travers le monde. Sans jamais descendre dans l’arène politique, il a pris l’indispensable et salutaire habitude de fustiger nos consciences et celles de nos dirigeants face aux misères et malheurs de notre monde actuel, aussi riche en technologies et connaissances scientifiques que pauvre en références éthiques ou principes déontologiques. Il ne pouvait, dès lors, rester indifférent face aux actuels conflits armés en Europe ou ailleurs et il nous a concocté un programme obsessivement rempli d’appels à la paix, en réitérant inlassablement ce « Da pacem Domine » des chrétiens à travers différentes époques et compositeurs, saupoudré d’invocations pacifistes en hébreu, en langue « mochica » du Pérou ou en arabe de Palestine, pour finir avec un nouveau « Da pacem Domine », commandé en 2004 par Savall à l’Estonien Arvo Pärt. Quand on pense que, aujourd’hui même, le pianiste anglais Jayson Gillham s’est vu refuser un concert à Melbourne pour s’être prononcé en mémoire des journalistes morts à Gaza, on constate à quel point une polarisation délétère envahit le monde de notre culture.

Le célèbre ensemble « Hesperion XX » était formé cette fois-ci par un « consort of viols » dans la vieille tradition britannique, accompagnés par le théorbe du Flamand Stan Geudens et la percussion imaginative de l’Espagnol David Mayoral. Déjà, dans ses huit instrumentistes, il m’a semblé compter au moins cinq ou six nationalités, un petit emblème de la concorde que la musique peut et doit nous offrir. La « Capella Reial de Catalunya » était hier constituée d’un double quatuor vocal avec plusieurs de ses chanteurs les plus fidèles dont le ténor Lluís Vilamajó qui prépare habituellement cet ensemble et qui est capable d’obtenir des voix une plasticité sonore tout à fait remarquable. Il a dirigé lui-même les ensembles exclusivement vocaux comme celui de Gilles Binchois, un prodige de richesse contrepuntique qui semble vouloir mettre en musique les volutes du gothique flamboyant, ou celui de Salomone Rossi Ebreo, un polyphoniste juif vénitien du XVIe dont la merveilleuse musique continue d’être chantée de nos jours dans les offices de quelques synagogues. Le paradoxe, c’est que ses œuvres furent connues grâce aux travaux d’un jeune Vincent d’Indy qui les publia à Paris en 1877, une commande du célèbre Cantor synagogal Samuel Naumbourg. Quelques années après… le même d’Indy se rangea du côté des antisémites les plus notoires ! Rossini, pour sa part, appréciait les compostions de ce même Naumbourg.

Le festival de Menton célèbre ses 75 ans 

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Le festival de musique de Menton célèbre ses 75 ans. C’est un anniversaire majeur pour l’un des festivals les plus “iconiques” de France avec les concerts qui se déroulent en plein air sur le parvis Basilique Saint-Michel Archange. C’est le lieu des grands concerts du festival avec son défilé de stars. Mais le festival, c’est aussi des jeunes artistes qui se produisent dans d’autres lieux comme le Palais de l’Europe. Retour sur quelques affiches de cette édition anniversaire avec des jeunes pousses, des confirmations et un concert de prestige.

L'année passée le public du festival avait découvert la jeune flûtiste à bec Lucie Horsch, elle revient cette année accompagnée de quelques membres du brillant ensemble baroque Le Caravansérail, sous la direction du claveciniste Bertrand Cuiller. Ils proposent une promenade musicale italienne ensoleillée avec des œuvres moins connues d'Antonio Vivaldi et de compositeurs italiens du début du XVIIe siècle : Dario Castello, Francesco Mancini, Giovanni Battista Buonamente et Tarquinio Merula.

Elle interprète également une pièce de Jacob Van Eyck, extraite du recueil du Jardin des Plaisirs de la Flûte constitué d'airs populaires néerlandais. Lucie Horsch, que la presse belge a surnommée "la fée de la flûte", change de flûte selon les morceaux, avec une aisance étonnante. Après une salve d'applaudissements, elle donne en bis un air folklorique et nous séduit en chantant un air avec sa belle voix. Elle fait dorénavant partie des musiciens favoris du public du festival.

Le public est toujours fasciné de découvrir un jeune talent avec des qualités techniques exceptionnelles. C'est surtout en Russie qu'on avait tendance à pousser dès leur plus jeune âge les musiciens dans la cage aux lions : Evgeny KIssin, Alexander Malofeev, Alexandra Dovgan. Arielle Beck est française, elle vient d'avoir 15 ans et elle fait déjà la une de la presse musicale.  Elle avait initialement prévu de commencer avec la Sonate n° 31 de Haydn. Choix idéal pour sentir l'acoustique de la salle, la proximité du public, la lumière intense d'un après-midi d'été tout en rayonnant avec une sonate pleine d'émotions de contrastes et de fraîcheur. Elle choisit de jouer plutôt les Trois Romances op.28 de Schumann.

Deux jeunes talents à La Roque d’Anthéron : Gabriel Durliat et Alexandra Dovgan

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Au Festival international de Piano La Roque d’Anthéron, de jeunes musiciens en vue se retrouvent aux côtés de grands pianistes mondiaux. Ainsi, les 5 et 6 août, le Français Gabriel Durliat (né en 2001) et la Russe Alexandra Dovgan (née en 2007) montent sur la mythique scène du Parc de Florans. 

Gabriel Durliat, un surdoué

Tout au long du récital, Gabriel Durliat se montre particulièrement sensible dans l’interprétation des mouvements lents, qu’il aborde avec une maîtrise remarquable. Ses jeux sont empreints d’un sens profond du chant et d’un lyrisme naturel, où chaque note semble respirer, sans jamais sombrer dans la lourdeur, même lorsqu’il adopte un tempo très lent. Que ce soit dans les œuvres de Mozart, Fauré ou Schubert, il parvient à insuffler une grande délicatesse. En revanche, les mouvements rapides de la Sonate n°10 en ut majeur K. 330 de Mozart « coulent » sous ses doigts, certes avec fluidité, mais délaissant quelque peu la précision. Le troisième mouvement est dynamique, où la deuxième partie révèle une tendresse et une innocence touchantes. Les trois pièces suivant de Fauré -Barcarolle n° 1 en la mineur op. 26, In Paradisum (extrait du Requiem op. 48 dans un arrangement du pianiste), et Barcarolle n° 12 en mi bémol op. 106 bis- sont regroupées telle une suite, avec une alternance de tempi, modéré-lent-modéré. Ici, la cohérence de l’interprétation, à la fois réfléchie et expressive, fait briller le sens de sa construction musicale. En effet, il compose entre l’intimité (1re partie de l’op. 26, In Paradisum) et l’ouverture qui se caractérise par l’élargissement du spectre sonore (2e partie de l’op. 26 puis l’op. 106 bis). 

Dans la Sonate n°21 en ut mineur D.958 de Schubert, qu’il a présentée pour la première fois en public comme il nous l’a confié après le concert, il est encore possible de percevoir l’absence du poids accablant de la vie qui caractérise l’œuvre tardive de Schubert. Néanmoins, il parvient avec brio à faire ressortir le côté pathétique de la pièce, en accentuant habilement certains accords dans le deuxième mouvement, tout en maintenant admirablement une transparence générale. Dans l’Allegro final, le rythme obstiné, typiquement schubertien, est parfois imprécis, et, comme dans le mouvement initial, les triolets mélodiques à la main droite ont tendance à filer. Malgré ces quelques faiblesses, son interprétation demeure vibrante et fait entrevoir son sens de construction.

Pierre et Théo Fouchenneret offrent une soirée de sonates de haute volée 

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Le festival du haut Limousin offre pour son concert de clôture une soirée de sonates pour violon et piano de très haute volée, avec Pierre et Théo Fouchenneret. Le programme, d’une grande diversité mais finement équilibré, nous a transportés à travers les époques et les styles de trois grands compositeurs : Johannes Brahms, Maurice Ravel et Béla Bartók.

La soirée a débuté avec la Sonate pour violon et piano n° 2 op. 100 de Johannes Brahms. Dès les premières notes, les deux frères se distinguent par une technique remarquable et une sensibilité artistique qui témoigne de leur affection pour la musique de Brahms. L’interprétation, bien cadrée, n’empêche pas une grande liberté, notamment dans la ligne mélodique. Leurs phrasés sont toujours articulés avec clarté, adaptée au caractère de chaque mouvement. Après le mouvement initial doux mais rempli d’« accidents » variés, l’« Andante tranquillo » offre une méditation poétique et introspective, avec des détails soignés et des nuances subtiles. Une oscillation entre vivacité alerte et tendre élégance marque le « Vivace di qui andante » dans une légèreté dansante. Dans le final, le contraste avec le mouvement précédent est magnifiquement mené dans cette passion qui évoque parfois son côté irrationnel. Leur interprétation, jonchée de contrastes, s’écoute comme un conte et l’audience retient leur souffle jusqu’à la dernière note.

La Sonate pour violon et piano en sol majeur de Ravel a apporté un changement total d’atmosphère et de ton. Dès les premières mesures de l’Allegretto, le jeu du piano est fluide et limpide, semblable à de l’eau coulant doucement. Sur cette fluidité, le violon fait son entrée avec une légèreté infiniment aérienne. L’interaction entre les deux instruments, semblable à deux fils d’eau se mêlant et se séparant, crée une arabesque délicate, particulièrement marquante lors de l’Allegretto. Le « Blues », à la fois nonchalant et tonique, maintient un fond rythmique régulier mais subtilement mouvant. Le piano puis le violon imitant le banjo, ainsi que ses accords, ses arpèges, ses glissandos et ses inflexions à l’inspiration du jazz, ajoutent une touche de mélancolie, tandis que le final en mode d’un véritable Perpetuum mobile a culminé dans une montée énergique et émotionnelle extraordinairement maîtrisée. Le violon et le piano se lancent dans une course effrénée, l’un et l’autre se répondant avec une précision incroyable. Quelle frénésie, quelle exubérance ! 

La soirée se termine de manière magistrale avec la Sonate pour violon et piano n° 1 Sz.75 de Béla Bartók. Dès les premières mesures, chaque note, d’une grande intensité, est rendue « visuelle » par le mouvement harmonieux de leurs corps, qui épousait parfaitement les courbes musicales — ce qui était également le cas dans les deux autres sonates. Ce ballet visuel et auditif invite la salle à une immersion dans l’univers du compositeur qui exige un autre type d’écoute que Brahms et Ravel. L’Adagio, bien que plus pensif, ce mouvement laisse percevoir une énergie latente, prête à se libérer pour le final. L’Allegro conclusif brille par une virtuosité et une puissance époustouflantes, c’est une véritable course infernale. Toutefois, ce n’est pas vers l’abîme que cette frénésie nous mène, mais à une catharsis qui célèbre les chants et la danse des gens ordinaires. Sublimées par l’écriture savante de Bartók, ces musiques trouvaient ici une résonance particulière. Si la musique est un art de transmission par l’air, par les ondes, l’assistance a ressenti ces ondes, vibrant avec la vigueur et l’authenticité des gens simples. 

Cristian Măcelaru dynamise l'OPMC

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Cristian Măcelaru est de retour au pupitre de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo pour ce second concert de la série estivale des Concerts au Palais princier. Il est accompagné par la jeune violoniste María Dueñas, l’un des noms qui s’impose dans le le milieu, portée par son contrat avec   Deutsche Grammophon. 

On remarque d’emblée des qualités indéniables : fraîcheur et tempérament juvéniles, sensation naturelle et intacte, maîtrise technique de l'instrument, son noble et personnel, joie de jouer tout en sourire... Est-ce suffisant pour conquérir l'auditoire ? Le Concerto pour violon n°1  de Max Bruch est une des œuvres favorites du public.  María Dueñas  semble avoir des difficultés malgré son sourire craquant. Il fait très chaud et humide, l'archet ne tient pas la route et de nombreux passages sont troubles. 

Cristian Măcelaru  soutient la jeune soliste dans un tempo détaillé et avec une dynamique soigneusement contrôlée, mais le résultat est décevant. Le dernier mouvement "presto stretta" majestueux et virtuose qui devrait terminer en feu d'artifice est plat. L'applaudimètre ne répond que modérément.  María Dueñas  dépose son bouquet à l'arrière de la scène et les applaudissements s'arrêtent. On est privé du bis virtuose qui aurait pu rattraper la performance.

Triomphe de l’Estonian Festival Orchestra au festival de Pärnu 

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Le Festival musical de Pärnu se clôture avec deux concerts finaux. Le premier a lieu le jeudi 18 juillet et le second le vendredi 19 juillet. Paavo Järvi et l’Estonian Festival Orchestra sont accompagnés de deux prestigieux solistes. Les deux concerts commencent avec la nouvelle pièce de la compositrice estonienne Helena Tulve, Wand’ring Bark, et se clôturent avec la Troisième Symphonie Op. 56 dite « Écossaise » de Mendelssohn. Le premier soir, la violoncelliste américaine Alisa Weilerstein interprète le Concerto pour violoncelle en mi mineur Op. 85 d’Elgar. Le second soir, le pianiste américain Kirill Gerstein interprète quant à lui la Rhapsodie sur un Thème de Paganini, Op. 43 de Rachmaninov.

Le Festival musical de Pärnu met un point d’honneur à mettre l’Estonie et ses talents à l’honneur. C’est dans cette démarche que l'œuvre a été commandée par le festival à la compositrice estonienne Helena Tulve. Elle dédie sa composition à ses premiers interprètes, Paavo Järvi et l'Estonian Festival Orchestra. 

La pièce Wand’ring Bark est inspirée de la strophe centrale du 116ème sonnet de William Shakespeare. D’une durée approximative de 10 minutes, cette œuvre est mystérieuse et se compose d’une superposition de strates sonores plus ou moins importantes. De nombreux effets sont également utilisés et ce dans tous les pupitres de l’orchestre. L’orchestre réalise une excellente première version satisfaisant largement la compositrice présente dans la salle.

Lors de la première soirée, le public a le bonheur d’écouter la violoncelliste américaine Alisa Weilerstein dans le Concerto pour violoncelle en mi mineur Op. 85 d’Elgar. Composé à la fin de la Première Guerre mondiale (1918 - 1919), ce concerto n’était pas très populaire. Il faut attendre les années 60 et Jacqueline du Pré qui ajoute cette pièce à son répertoire pour qu’il gagne en notoriété. De nos jours, ce concerto est une œuvre phare du répertoire pour violoncelle. Alisa Weilerstein et l’EFO nous propose une version de grande qualité. La soliste fait preuve d’une intelligence musicale indéniable et communique à merveille avec l’orchestre. Ce dernier est mené avec précision et sensibilité par Paavo Järvi. Tous les musiciens sont pleinement investis. Tout au long des quatre mouvements, différentes atmosphères sont abordées. Les premiers accords sont joués avec gravité. Le lyrisme prend ensuite le pas dans ce premier mouvement. Dans le second mouvement la circulation du flux énergique est constante. Le troisième mouvement permet  quant à lui d’atteindre des nuances à peine audibles, ce qui crée un contraste encore plus grand quand l’orchestre se déploie pleinement. Pour finir, le dernier mouvement conclut avec brio ce concerto.