Rencontres

Les rencontres, les interviews des acteurs de la vie musicale.

https://www.crescendo-magazine.be/dating-emotionally-unavailable-woman/

par

La violoniste Fanny Clamagirand  fait paraître chez Naxos un album  consacré aux concertos pour violon de la compositrice américaine Florence Price. Ce nouvel album est un jalon important dans la redécouverte de l’art de cette compositrice. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette artistique qui construit une discographie rare et exigeante 

Comment avez-vous découvert la musique de Florence Price, et en particulier ces deux concertos pour violon ? 

J’ai découvert la musique de Florence Price, lorsque Naxos m’a proposé d’enregistrer ce disque consacré à son œuvre et comprenant notamment ses deux concertos pour violon et orchestre. 

Cette proposition, faite d’ailleurs très peu de temps avant les sessions d’enregistrement, a été pour moi un vrai challenge et l’occasion d’une découverte enthousiasmante, une plongée dans la vie et l’univers de Florence Price, compositrice afro-américaine, figure majeure de la « Chicago Black Renaissance », et dont de nombreuses œuvres n’ont été (re)découvertes qu’après sa mort en 1953.

Qu’est-ce qui vous a motivé à les enregistrer ? 

Il est pour moi important, en tant qu’interprète, de contribuer aussi au rayonnement d'œuvres oubliées, de porter et faire découvrir des voix méconnues, ici donc celle de Florence Price, qui est encore peu jouée en Europe. La curiosité et l’ouverture à de nouveaux répertoires font partie intégrante de mon engagement artistique.

Comment s’est passée la collaboration avec l’orchestre de Malmö qui devait également découvrir cette musique? 

L’enregistrement avec l’Orchestre de Malmö et le chef américain John Jeter a été une aventure artistique et humaine intense. John Jeter, connaissant déjà bien l’univers de Price pour avoir enregistré une partie de ses œuvres symphoniques, a été un guide précieux dans l’approche esthétique et stylistique de cette musique.

Cela a été un immense plaisir de travailler avec des artistes engagés et passionnés, à l’écoute et partageant la même envie de redonner vie à un répertoire oublié et de rendre hommage à une femme au destin singulier.

Quelles sont les caractéristiques stylistiques de ces deux partitions ? Comment s’intègrent-t-elles dans leur temps ? 

La musique de Florence Price est très belle, facile à écouter, d’inspiration romantique, avec une forte influence des traditions européennes, mais aussi une identité propre, marquée par des éléments issus du jazz et du blues, reflet de ses racines afro-américaines. 

Le premier concerto, écrit en 1939, de forme classique, rappelle sans hésitation le Concerto pour vionon de Tchaïkovski, tandis que le second, composé en 1952, un an avant la mort de Price, est d’un seul souffle et adopte un caractère plus rhapsodique et personnel. Dans les deux œuvres, l’écriture violonistique est toujours très expressive et virtuose, en dialogue permanent avec l’orchestre et mise en valeur par un tissu instrumental riche et coloré.

Marie Leclercq à propos du Festival Echo  des Falaises 

par

Violoncelliste à l’Orchestre de Paris, Marie Leclercq est l’une des chevilles ouvrières du festival Echo de Falaises qui va se déployer les 22 et 23 août dans le cadre du Château de Butot-Vénesville en Normandie. Crescendo Magazine est heureux de s'entretenir avec Marie Leclercq pour évoquer ce festival dynamique.

Votre festival se déroulera en Normandie, au Château du profil de Butot-Vénesville et cet été, ce sera sa troisième édition. Pouvez-vous nous résumer l’histoire de ce festival ? Pourquoi ce lieu ?

A l’origine, une histoire de famille où chacun a voulu concrétiser son rêve.  Pour mes cousins, proposer une offre culturelle à un territoire rural dans un lieu patrimonial normand magnifique et tisser des liens avec des partenaires locaux (producteurs et collectivités).

Pour moi, violoncelliste à l’Orchestre de Paris, créer une parenthèse enchantée au mois d’août : construire une programmation musicale accessible à tous, d’une grande qualité pour combler les oreilles des plus experts et riche d’une variété de styles pour susciter la curiosité des plus novices.

Nous sommes quatre à travailler avec ardeur tout au long de l’année pour construire ce festival pas comme les autres, la motivation est à son maximum !

Le programme se déroule sur deux jours ? Pourquoi cette formule concentrée ?

Nous proposons aux festivaliers de passer le week-end entier avec nous ! Sur place, tout est pensé : d’une part, la programmation est très variée, entre concerts de musique de chambre, atelier et concert jeune public, contes pour tous âges (Contes de poche et Contes en musique), atelier découverte sur la composition et l’improvisation, scène ouverte dans le parc, installation sonore et visuelle… toute la famille et tous les publics y trouvent leur compte !

D’autre part, entre les différentes programmations, il est possible de se restaurer avec les foodtrucks de nos partenaires locaux installés dans le parc du château : délices régionaux en fête  (galettes, harengs et terrines de fruits de mer, frites et brochettes, cidre et bière du coin…) ! Les festivaliers peuvent aussi profiter des transats, s’adonner aux jeux d’extérieurs installés, discuter avec les bénévoles, les artistes et toute l’équipe du festival.

Konstantin Scherbakov, le piano en perspectives 

par

C’est l’un pianistes les plus importants de notre époque qui se distingue par une immense curiosité musicale et une capacité à nous apporter un regard neuf sur les grands chefs d'œuvres du répertoire : Konstantin Scherbakov. Il fait paraître dans le cadre de l’intégrale en cours que Naxos consacre à l'œuvre pour piano de Franz Liszt, un album dédié à des transcriptions de partitions lyriques de Mozart et Donizetti. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ce si grand musicien, bien trop peu médiatisé.  

Vous faites paraître un album consacré aux transcriptions d'opéras de Mozart et Donizetti par Franz Liszt pour Naxos. À la vue de votre discographie, vous semblez particulièrement attiré par la transcription, notamment celle de Liszt ? 

En effet, ma discographie contient un nombre inhabituel d'œuvres relevant du genre de la transcription. Plusieurs raisons expliquent cela : l'immensité du répertoire pianistique, ma propre curiosité et mes centres d'intérêt, ainsi que les demandes des labels avec lesquels je collabore. Avec ce dernier album, je contribue à l'un des projets les plus ambitieux de Naxos : l'intégrale des œuvres pour piano de Franz Liszt.

Vous avez enregistré les transcriptions des symphonies de Beethoven par Liszt, et maintenant ses transcriptions d'opéras. Du point de vue de l'interprète, est-il nécessaire de « faire entrer l'orchestre » dans le piano ? Ces œuvres doivent-elles être abordées comme des réductions ou comme des compositions indépendantes ayant leur propre identité ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord clarifier ce qu'est réellement une transcription. À proprement parler, il faut distinguer la transcription, la réduction, le pot-pourri, la fantaisie sur un thème, la métamorphose (comme chez Godowsky), la paraphrase, etc. Si chacune de ces formes présente des caractéristiques techniques différentes, leur objectif est essentiellement le même : adapter une pièce initialement écrite pour un instrument ou un ensemble afin qu'elle puisse être jouée sur un autre. En d'autres termes, la transcription est un moyen de populariser des œuvres qui, sans cela, resteraient inaccessibles à un large public. Au fil des siècles, elle s'est développée pour constituer un répertoire à part entière, dont les origines remontent à l'Antiquité.

Une transcription commence lorsqu'un compositeur est inspiré par une œuvre, peut-être simplement un motif ou une mélodie, qui devient le point de départ d'une élaboration artistique. Dans le cas de Liszt, ce qui a commencé comme une commande d'un éditeur a fini par devenir un projet important dans son immense production : la transcription des neuf symphonies de Beethoven pour piano solo.

Lorsque l'on travaille sur un tel projet, on est inévitablement confronté à la question de l'interprétation. La réponse émerge à travers l'interprétation en direct. Aussi puissant et polyvalent soit-il, le piano ne peut imiter l'orchestre. Toute tentative en ce sens serait vouée à l'échec et ne mènerait qu'à la frustration. Le message et l'objectif de l'interprétation ne deviennent clairs que lorsque ces œuvres sont jouées comme de véritables pièces pour piano, lorsque l'instrument peut s'exprimer librement. Dépouillées de leur couleur orchestrale, ces transcriptions révèlent l'idée musicale pure, l'architecture audacieuse, la structure nue – Beethoven réduit à l'essentiel.

Liszt a abordé cette tâche avec un grand respect pour la lettre et l'esprit de la musique de Beethoven. Mais lorsqu'il s'agit de ses paraphrases, son approche est complètement différente. Ici, Liszt n'est pas seulement un arrangeur habile, c'est un créateur de nouvelles formes, un artiste débordant d'idées, d'imagination, de brillance pianistique et de magie. Ses paraphrases sont des œuvres pour piano indépendantes, avec leur propre structure, leur propre expression et leur propre forme.

La transcription, autrefois si populaire au XIXe siècle, est souvent considérée aujourd'hui avec un certain dédain. Pourtant, quelles sont les qualités qui nous aident à apprécier le génie d'un compositeur comme Liszt ?

Vous décrivez assez justement l'attitude actuelle envers la transcription. Dans les programmes de concerts académiques ou « sérieux », on trouve rarement une symphonie de Beethoven transcrite par Liszt ou une paraphrase d'opéra. Certains « connaisseurs » tournent le nez devant de tels programmes, et d'autres leur emboîtent le pas. Je considère cela comme une tendance qui finira par passer.

En réalité, les gens reconnaissent et apprécient la beauté de la musique, surtout lorsqu'elle se présente sous la forme d'une mélodie mémorable, qu'elle provienne d'un opéra ou d'une transcription. C'est la nature humaine, et il est vain de l'ignorer.

Cela dit, assister à un concert mettant à l'honneur, par exemple, l'une des transcriptions des symphonies de Beethoven par Liszt exige un engagement différent. C'est un défi intellectuel. Beaucoup d'auditeurs refusent ou sont incapables de faire cet effort.

Krisztina Fejes  à propos de l’oeuvre pour piano de Miklós Rózsa 

par

La pianiste Krisztina Fejes fait paraître un disque consacré à l'œuvre pour piano du compositeur Miklós Rózsa. De ce dernier, on connaît essentiellement ses légendaires musiques de film à commencer par celle de Ben-Hur, mais l'œuvre de Miklós Rózsa  ne se limite pas aux bandes originales. C’est un corpus de très grande qualité qui se déploie avec richesses dans de nombreux domaines à commencer par la musique pour piano. Dans ce cadre, cette nouvelle parution et à marquer d’une pierre blanche par son excellence artistique qui rend hommage à l’art subtil de Miklós Rózsa. Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir  avec Krisztina Fejes.

Les œuvres pour piano de Miklós Rózsa sont relativement méconnues. Qu'est-ce qui vous a poussé à lui consacrer un album entier ?

En 2022, j'ai été invité par l'Orchestre philharmonique de Debrecen à interpréter Spellbound, un concerto pour piano basé sur le thème du film d'Hitchcock. C'était la première fois que je jouais de la musique de Rózsa en Hongrie, et cela a été un tournant. Cette expérience m'a plongé dans son univers. J'ai commencé à explorer son répertoire plus en profondeur et j'ai été à la fois inspiré et attristé par le peu d'attention accordée à sa musique de concert, en particulier dans son pays natal. J'ai découvert que sa Sonate pour piano n'avait jamais été jouée en Hongrie, ce qui m'a semblé être une omission flagrante. À partir de ce moment, je me suis consacré à des recherches approfondies. Son autobiographie Double Life m'a été d'une aide précieuse dans ce processus, m'apportant des informations précieuses sur la genèse de ses œuvres. En tant que musicienne hongroise, je me sens personnellement responsable d'honorer et de promouvoir l'héritage artistique de Rózsa. Bien qu'il soit célébré internationalement pour ses musiques de films, ses compositions classiques restent injustement méconnues. Je pense qu'elles méritent une place beaucoup plus importante dans le répertoire de concert. Même sa bande originale de Ben-Hur, souvent considérée comme purement cinématographique, est une œuvre symphonique puissante. Comme le dit le proverbe : nul n'est prophète en son pays.

Le label Hungaroton a-t-il été facile à convaincre de vous soutenir dans ce projet ?

Lorsque Hungaroton m'a invité à soumettre des idées de programme, je leur ai proposé plusieurs options, notamment des œuvres de Beethoven et de Liszt. Parmi celles-ci, la proposition d'enregistrer la musique pour piano de Miklós Rózsa s'est démarquée comme quelque chose de vraiment unique. Ils ont immédiatement reconnu sa valeur, surtout compte tenu du peu d'attention accordée aux œuvres de concert de Rózsa en Hongrie, et nous sommes parvenus à un accord presque sans effort. Cet album comble une véritable lacune dans le paysage musical classique. À ma connaissance, aucun pianiste hongrois n'avait encore entrepris d'enregistrer l'intégrale des œuvres pour piano solo de Rózsa sur un seul disque, ce qui a fait de ce projet à la fois un défi significatif et une mission artistique.

Miklós Rózsa est né à Budapest, où il a fait ses études, mais son nom reste associé à son travail aux États-Unis et à ses illustres musiques de films. Quelle place occupe Miklós Rózsa dans la mémoire musicale hongroise ?

Comme beaucoup de musiciens et compositeurs hongrois de renom, tels que György (Georg) Solti ou Béla Bartók, qui ont fui le pays, Rózsa a également cherché sa chance à l'étranger. Il a commencé ses études à Budapest, il les a ensuite poursuivies à Leipzig, puis à Paris, avant de s'installer finalement aux États-Unis via Londres. C'est là-bas, grâce au soutien des frères Korda, qu'il est entré dans le monde de la musique de film et a acquis une renommée mondiale.

Aujourd'hui, l'héritage de Rózsa est peu à peu redécouvert en Hongrie. À l'occasion du 30e anniversaire de sa mort, plusieurs concerts symphoniques ont été organisés en son honneur, et de nombreux solistes hongrois de renom ont inclus sa musique dans leur répertoire. Son nom est de plus en plus présent, non seulement en tant que « roi de la musique de film », mais aussi en tant que compositeur dont les œuvres classiques méritent une place solide et durable dans la mémoire culturelle hongroise.

Erik Satie, en inspirations Jazz

par

Le pianiste Hervé Sellin , en compagnie de ses camarades Christelle Raquillet (flûte), Cyril Drapé (contrebasse), Rémi Fox (saxophones) et Romain Lay (vibraphone) rend hommage à Satie. Ce parcours personnel à travers une sélection de dix des partitions du Maître d'Arcueil, est une superbe célébration dans le cadre de cette année anniversaire Satie. 

Après Debussy, Fauré et Ravel, vos nouvelles Jazz Impressions se concentrent sur Satie ? Pourquoi ce choix ? 

Bien sûr, il y a l'opportunité de commémorer le centenaire de la disparition de Satie.
Mais, surtout, pour moi, de "boucler la boucle" dans le cadre de mes hommages à la musique française du début du XXème siècle. Le Jazz lui aussi, est né au début du XXème. Après Fauré, Debussy et Ravel, Satie était incontournable. Fauré, le "passeur"; Debussy et Ravel, "les monstres sacrés": Satie, "l'autre voie (l'autre voix...)", sorte d'antithèse.

Vous avez étudié avec Aldo Ciccolini, qui reste l'un des grands interprètes historiques de Satie. Qu’avez vous retenu de l’approche de grand pianiste ?  En particulier dans les œuvres de Satie ?


La profondeur, la poésie et le respect qu'Aldo mettra dans ses interprétations de la musique de Satie, l’aura rendu  aussi incontournable et profond  que les grands compositeurs précédents, les Chopin, Schumann, Liszt, Debussy... Ciccolini a légitimé l'œuvre de Satie qui n'était pas toujours pris au sérieux.Aldo disait "...si Satie, n'existait pas, il aurait fallu peut-être l'inventer."


Vous avez sélectionné dix partitions de Satie avec des inévitables tubes ? Comment avez-vous réalisé ce choix ?

Oui, bien sûr, les incontournables Gymnopédies, mais... à ma manière ! Pour le reste, des coups de cœur, et beaucoup de musique vocale (j'aime ce qui chante!).
Aucun plan préétabli. Puisque je déconstruis et reconstruis les œuvres je ne me mets aucune limite.

J’ai l’impression que les musiciens classiques se désintéressent de Satie. En cette année anniversaire, il y a peu de parutions de nouveautés discographiques (sans parler des commémorations officielles inexistantes). Par contre, votre album est le second que j’entends avec des musiciens français de jazz. Satie parle-t-il plus aux musiciens de Jazz ?

Oui, Satie, représente une "autre voie" dans la musique classique du début XXème après celle tracée par les impressionnistes. Il fallait se démarquer de la sorte pour exister. Mais s'est lui-même posé la question ? Je ne pense pas. Sa musique est trop intuitive et singulière. La musique de Satie parle aux musiciens de Jazz car il y est question d'espace, de modalité, de figuralisme et de minimalisme.
C'est un peu ce que représenterait le Jazz Cool après le Be-bop. Une nécessité ... Toujours "thèse/anti-thèse".

Michel Béroff, panorama rétrospectif 

par

Erato nous comble avec l’édition d’un coffret reprenant les enregistrements du pianiste Michel Béroff, une somme magistrale et essentielle qui nous offre un parcours riche et intense de Bach à Messiaen. Le mélomane se plaît à réécouter, voir même redécouvrir, tant de grands enregistrements de cet artiste unique et fascinant. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette légende vivante du piano.  

Quel est votre sentiment quand vous avez reçu ce coffret de 42 disques, reprenant vos albums pour Erato ? Est-ce que vous avez réécouté ces enregistrements ? 

J’ai été extrêmement touché que EMI (ERATO) sorte ce coffret à l’occasion de mon 75ème anniversaire. Il concerne principalement mes enregistrements des années 70 et 80, et bien que la « date de péremption » soit dépassée depuis quelques décennies, je n’ai eu ni l’envie ni la curiosité de les réécouter. 

A la lecture du plantureux programme de ces disques, le mot éclectisme me vient à l’esprit. Est-ce que c’est un terme que vous revendiquez dans le cadre de vos choix de répertoire ? Comment s’est construite cette discographie ? Selon le fruit de vos envoies ou en fonction du hasard des rencontres et des opportunités ?  

Je pourrais répondre positivement à chaque proposition ! Bien entendu, l’éclectisme n’est autre qu'une curiosité tellement indispensable à tout musicien ; et naturellement le reflet de mes goûts musicaux. Les rencontres sont elles aussi déterminantes et nourrissent le plaisir … et la réussite souhaitée des d’enregistrements. Les opportunités « maîtrisées » sont elles aussi importantes, et souvent très enrichissantes dans leurs confrontations.

Dans ce coffret, il y a deux intégrales majeures des partitions pour piano et orchestre de Franz Liszt et des concertos pour piano de Serge Prokofiev avec le Gewandhaus de Leipzig et Kurt Masur. Comment un jeune pianiste français s’est-il retrouvé à enregistrer Liszt de l’autre côté du rideau de fer en pleine guerre froide ? 

L’idée est venue de la direction anglaise de EMI. J’ai accepté avec grand enthousiasme d’enregistrer les 5 concertos de Prokofiev ; les intégrales étaient très peu nombreuses à l’époque. Le vénérable Gewandhaus de Leipzig était une opportunité rare, et Kurt Masur, grand Kapellmeister, pas encore l’immense chef qu’il allait devenir. Le succès de ce coffret, et la très bonne connivence avec Kurt Masur et le Gewandhaus ont fait la suite. Mon directeur artistique, Eric Macleod, m’a ensuite proposé de continuer les voyages compliqués à travers l’Allemagne de l’est des années 1970, pour enregistrer ce qui était à l’époque l’intégrale des œuvres pour piano et orchestre de Liszt … compositeur que j’aimais depuis longtemps déjà. 

Justement à propos de Liszt, vous avez enregistré les deux concertos mais aussi toutes les partitions concertantes, souvent méconnues et plutôt considérées avec dédain comme la Fantaisie sur un thème de Lélio de Berlioz ou Malédictions. Qu’est-ce qui vous avait motivé à vous intéresser à ces partitions ? 

La curiosité et le challenge ont fonctionné à merveille. Une fois le déchiffrage de ces œuvres terminé, le travail en profondeur révèle toujours d’inestimables beautés. Malédiction, en particulier, mériterait d’être jouée régulièrement. Mon amour pour Berlioz, et la générosité avec laquelle Liszt transcrivait beaucoup d’œuvres de ses contemporains m’ont motivé aussi grandement.

Vous avez joué, à l’âge de onze, dans des extraits des Vingt regards de l’Enfant Jésus devant Olivier Messiaen et son épouse Yvonnes Loriod. Vous avez ensuite particulièrement bien servi Messiaen au disque et vos enregistrements sont des références. Qu'est-ce qui vous attire chez Messiaen ? 

Avant d’en être conscient, j’étais déjà nourri à la musique d’Olivier Messiaen, par le biais des disques que mon père écoutait fréquemment. Lorsque j’ai commencé, à l’âge de 10 ans à jouer quelques pièces, j’ai  reconnu ce langage, qui m’est rapidement devenu totalement familier. Les modes et les rythmes de son langage ne me posaient aucun problème de compréhension ; seuls les problèmes techniques ont nécessité quelques heures de travail … Les années suivantes, j’ai travaillé ses œuvres parallèlement au travail plus traditionnel du Conservatoire. La richesse de son écriture, due peut être en partie à l’extraordinaire pianiste qu’était Yvonne Loriod, la grande complexité rythmique, le chatoiement de ses modes, les proportions magiques, la lumière mystique qui baigne toute son œuvre, sont des éléments qui n’ont jamais cessé de m’éblouir. 

Cansu Şanlıdağ, à propos de  Philipp Scharwenka

par

La pianiste Cansu Şanlıdağ nous propose un premier disque consacré à des œuvres pour piano  du compositeur allemand  Philipp Scharwenka (Pavane). Ce choix séduit par son originalité éditoriale et l’album convainc par sa justesse musicale. Crescendo Magazine a voulu en savoir plus et s’est entretenu avec l’artiste. 

Qu’est-ce qui vous a motivé à consacrer un album à des œuvres pour piano de Philipp Scharwenka ?  D’autant plus pour un premier album ? 

La toute première fois que j’ai entendu Scharwenka, c’était sa Sonate pour violon et piano, op. 114. Et je me souviens très précisément de ce moment : cette sensation physique presque inexplicable, comme si quelque chose s’ouvrait dans la poitrine. Ce genre de réaction qu’on a face à une très belle mélodie qui semble nous parler directement, sans détour.

Ce n’était pas une musique complexe ni spectaculaire — au contraire, c’était d’une simplicité lumineuse, presque pudique, mais bouleversante. Et ce qui m’a frappé ensuite, c’est le silence qui l’entoure. Comment une musique aussi sincère, aussi juste, a-t-elle pu rester dans l’ombre aussi longtemps ?

Pour moi, il était évident que ce compositeur méritait d’être réentendu. Et en même temps, j’aimais l’idée de commencer mon parcours discographique avec un geste fort : faire entendre une voix oubliée, mais profondément émouvante. C’était à la fois un choix de cœur et une manière d’affirmer une certaine vision de l’engagement artistique.

Comment avez-vous découvert le compositeur ? 

Ma découverte de Philipp Scharwenka est liée à un parcours un peu inattendu… qui commence avec Eugène Ysaÿe.

J’ai eu la chance de participer à un projet autour d’un Poème concertant récemment redécouvert, une œuvre magnifique qu’on a pu jouer et enregistrer avec le violoniste Philippe Graffin. Ce poème avait été édité par le musicologue Xavier Falques, dont le travail a été absolument déterminant.

L’œuvre était dédiée à Irma Sethe — une personnalité oubliée, mais fascinante — et c’est grâce aux recherches approfondies de la musicologue Marie Cornaz que nous avons découvert qui elle était. Son histoire, sa place dans le paysage musical de son époque nous ont tellement touchés que nous avons eu envie de lui rendre hommage à travers un concert à la Bibliothèque royale de Belgique (KBR).

C’est dans ce contexte, en consultant les partitions qui lui avaient été dédiées, que je suis tombé sur une Sonate de Philipp Scharwenka, également écrite pour elle. La découverte de cette pièce a été un vrai choc musical — et c’est à partir de ce moment-là que mon exploration de son œuvre a véritablement commencé.

Rencontre avec Alexander Liebreich 

par

Le chef d’orchestre  Alexander Liebreich vient d’être désigné directeur musical de l'orchestre symphonique de Taipei (TSO). Un développement passionnant dans une carrière internationale que Crescendo-Magazine suit avec attention tant les projets initiés par le chef  se révèlent inspirants et exemplaires d’une vision artistique. Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec ce formidable musicien. 

Vous venez d'être nommé Directeur musical de l'Orchestre symphonique de Taipei (TSO). Qu'est-ce qui vous a motivé à accepter ce poste ?

Les critères les plus importants pour prendre une décision sont de voir un espace de développement et la preuve de valeurs culturelles. Quand on m'a posé la question, j'ai également été surpris. Ma collaboration avec le TSO a commencé il y a déjà 17 ans, nous sommes deux partenaires qui se connaissent déjà depuis un certain temps.

D'un point de vue géographique européen, nous ne connaissons pas très bien la scène orchestrale taïwanaise. Quelles sont les qualités de l'Orchestre symphonique de Taipei (TSO) ?

Taipei et le National Concert Hall sont depuis de nombreuses années un pôle important de la scène musicale classique. De grands solistes, ensembles et orchestres y ont fait de nombreuses tournées. Ces dernières années, les orchestres de Taïwan se sont installés au National Concert Hall, simplement parce que de nombreux jeunes musiciens ayant étudié à l'étranger sont revenus à Taïwan. De plus, le système éducatif accorde une grande importance à la musique, aux arts et à la culture sous toutes leurs formes. Les orchestres symphoniques sont devenus des institutions importantes grâce à la confiance retrouvée et à la saine ambition des musiciens taïwanais.

Quel sera votre projet artistique pour cet orchestre ?

Le TSO a un concept de programmation clair qui consiste à combiner le répertoire classique avec la musique nouvelle. À côté de cela, nous avons des projets d”opéras. J'ai beaucoup travaillé en Asie - nous devons inclure des artistes, des solistes et des compositeurs asiatiques de premier plan.

Vous êtes le directeur musical de l'orchestre symphonique de Valence en Espagne, une ville qui a été frappée par de terribles inondations. Comment un orchestre peut-il aider la population en ces temps difficiles ?

La ville et ses habitants sont encore sous le choc. La communauté valencienne a réagi de manière solidaire, et cette solidarité a été et est toujours très forte dans toute l'Espagne. La musique peut aider, tout comme le contact social. Je me sens très proche de nos musiciens, certains membres de notre orchestre ont perdu leur maison ou d'autres biens nécessaires. Je suis très touché par la forte empathie du peuple valencien.

Vous avez occupé le poste de directeur musical dans de nombreux pays (Pologne, Espagne, République tchèque, etc.) et maintenant en Asie. Vous décririez-vous comme un globe-trotter musical ?

Bien sûr, je voyage beaucoup, mais en réalité, je tourne en rond depuis 25 ans. L'Asie a toujours été en équilibre avec l'Europe. La Corée, le Japon, la Chine et Taïwan m'ont toujours beaucoup intéressé depuis mes études. L'Europe de l'Est, en raison de mes propres racines en Moravie, est également devenue un espace artistique important pour moi. Les États-Unis n'ont jamais suscité un intérêt plus grand... Je suppose qu'il y a des développements et des énergies naturelles et logiques.

Entretien avec le chef d’orchestre Ludovic Morlot 

par

Directeur musical de l’Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC), Ludovic Morlot amorce une série de concerts en tournée : Madrid, Lyon et Aix-en-Provence ce printemps, avant Amsterdam, l’été prochain. Crescendo-Magazine est heureux de rencontrer ce chef d’orchestre pour parler de son travail avec l’orchestre et de ses nombreux projets d’enregistrements qui font de l’OBC l’une des phalanges les plus actives du moment. 

On dit que, avec La Valse, Ravel aurait fermé le cycle de vie de cette forme musicale et de la société qui la nourrissait. Croyez-vous qu’il ait aussi fermé le cycle de vie de l’orchestration du XIXème ou qu’il ait, en revanche, ouvert la voie à l’orchestre des XXème et XXIème siècles ? 

Je crois que l'intention de Ravel, en écrivant  La Valse, était d'honorer la valse viennoise, de lui rendre hommage. Ce sont les circonstances de la guerre qui feront que l’œuvre soit devenue quelque chose de très différent. On l'entend bien au début : on peut imaginer les couples dansant et cet élan viennois restera jusqu’au milieu de la pièce. La guerre, qui en a interrompu l'écriture, a fait que graduellement la violence prenne le dessus. On y entend une musique de belligérance, comme dans le Concerto pour la main gauche, qui est très semblable, mais je pense que la guerre a juste fait changer le focus d'écriture de la pièce. Je dirais plus :  Ravel, pour moi, n'a jamais été un grand novateur.  Il est un peu le Mozart du XXème siècle, celui qui a utilisé tous les ingrédients qui étaient à sa disposition et qui les a rassemblés avec une perfection absolue. À mon avis, le  Prélude à l'après-midi d’un faune  est beaucoup plus influent sur la direction de l'orchestre des XXème et XXIème siècles que n'importe quelle pièce de Ravel. C’est vrai que dans L’Enfant et les sortilèges, le Concerto pour la main gauche ou même dans L’heure espagnole il a poussé la forme assez loin, mais jamais autant que Debussy.  Je pense à Ravel comme un prodige qui ne va jamais créer un ingrédient nouveau : il va faire de la belle cuisine avec des ingrédients qui sont déjà en place, mais sans inventer une nouvelle recette.  Pour moi, le révolutionnaire a été Debussy, précédé par Schumann, Berlioz, Sibelius et notamment Liszt, avec ses Poèmes symphoniques, et Wagner. Ce sont eux qui ont trouvé l’élan vers un orchestre réellement novateur. Ravel s’est plutôt tourné vers la musique ancienne : si l’on pense au  Tombeau de Couperin  ou aux  Valses nobles et sentimentales, on retrouve cette influence de classicisme ou du baroque, alors qu'avec Debussy la forme musicale a explosé.

Le fabuleux succès du Bolero et la luxuriance de l’orchestrateur Ravel n’ont-ils pas caché la véritable sensibilité et le talent de l’artiste ? Et aussi son intérêt pour les causes des oppressés comme dans les Chansons madécasses, les Grecques ou les Hébraïques ?

On sait qu'il détestait  Bolero. C'était un exercice pour lui mais qui s'est transformé en chef d'œuvre. C’est exactement l'essence du talent de Ravel : cette espèce de nonchalance dans l'idée de créer quelque chose d'original qui est fait avec une telle maîtrise et une telle perfection que ça devient « le chef d'œuvre ».  Il y a cet état d'esprit dans sa musique, mais je n’ai jamais pensé comme ça à propos des chansons populaires, des mélodies grecques ou des hébraïques.  Je ne sais pas s'il voulait vraiment traiter ces sujets avec beaucoup de profondeur et je ne suis pas sûr qu’il y ait une forme de provocation. Il peut y avoir un « air du temps », une volonté de trouver une l’esthétique musicale en s’appropriant de ces textes. 

On a un peu la sensation qu’il voulait faire un pied de nez à une société très conservatrice, antidreyfusarde etc. 

C’est vrai que L’heure espagnole est provocatrice avec cette espèce de montée du féminisme et aussi dans  L’Enfant et les sortilèges, il y a cette appropriation du jazz. On ne peut pas traiter ces sujets de façon complètement naïve, il faut donc le considérer. C'est là qu’on aimerait mieux connaître la personnalité de Ravel. Par exemple, quand on va à Montfort-l'amaury, il avait tous ces petits « netsuke » japonais à l’aspect très soigné, mais si l’on est très attentif, on s’aperçoit que c'est tout en plastique, comme du toc « made in China » Je ne sais pas à quel point il était sarcastique. Poulenc l’était certainement, mais votre remarque va me rendre plus curieux quant à la pertinence de ces textes par rapport au contexte géopolitique de l'époque.

Alexandre Païta, à propos de son père Carlos Païta

par

Le label Le Palais des dégustateurs a entrepris une série de rééditions des enregistrements du légendaire chef d’orchestre Carlos Païta. Cette collection culmine actuellement avec la première édition d’une bande de concert magistrale avec la Symphonie n°9 de Bruckner.  A cette occasion, Crescendo-Magazine est heureux de s’entretenir avec Alexandre Païta, le fils du chef d’orchestre pour parler de ses souvenirs et de la légende de cet artiste hors normes. 

Quels souvenirs musicaux gardez-vous de votre père Carlos Païta ?  Est-ce que l’un de ses concerts en particulier vous a particulièrement marqué ?

Les grands moments que j’ai vécu pour ses concerts ont étés au Royal Festival Hall de Londres, avec la Symphonie n°3 de Camille Saint-Saëns où la salle était comble avec une extraordinaire symbiose avec le public ou alors la Symphonie n°1 de Mahler au Concertgebouw en présence d’Elizabeth Furtwängler, ou encore la Symphonie n°7 de Bruckner à Lier et à Bruxelles. Je peux encore citer le Requiem de Verdi au Royal Albert Hall de Londres où  ses enregistrements comme la Symphonie n°8 de Bruckner, les extraits  du Gotterdammerung de Wagner  et la Symphonie n°5 de  Tchaïkovski à Moscou.

Carlos Païta a été l’un des premiers chefs à fonder “son” label Lodia, ce qui en ces temps était complètement novateur. Qu’est-ce qui l’avait motivé à franchir ce pas ?

Le caractère de mon père étant totalement indépendant ne pouvait pas à mon sens s’adapter à un label établi ou certaines choses devraient être imposées. Je crois aussi que cela pouvait lui donner la possibilité de faire ses enregistrements comme il l’entendait. Par ailleurs il choisissait lui-même l’orchestre, les micros les ingénieurs du son etc.

Il avait également fondé son propre orchestre le Philharmonic Symphony Orchestra.   Fonder son propos orchestre n’était pas non plus chose courante…

En effet, c'était un peu comme le NBC Symphony Orchestra de Toscanini. A Londres, mon père avait réuni les meilleurs musiciens des orchestres londoniens : London Symphony Orchestra, London Philharmonic, Royal Philharmonic….  D’ailleurs leur première tournée fut dans une période tourmentée !  C’était en pleine Guerre des Malouines et imaginez un orchestre anglais avec un chef argentin ! Cette tournée a été accueillie à Genève, Toulouse, Paris et Londres et au programme il y avait le “Prélude et Mort d’Isolde” de Tristan und Isolde et la Symphonie n°8 de  Bruckner.  Le plus grand succès fut à Londres !  

J’ai entendu dire qu’il était très sensible et exigeant envers les prises de son 

Absolument, pour les enregistrements, je sais que mon père utilisait les micros Neumann à tube. Il les avait toujours avec lui. 

Claude Achallé, ancien ingénieur de son de Decca, est resté un homme marquant dans les enregistrements avec mon père. En effet, après avoir travaillé pour Decca, Achallé a beaucoup collaboré avec lui et mon père l’aimait beaucoup. Carlos Païta a été un des premiers à enregistrer en digital. Pour lui, le digital offrait un son pur et dynamique qui correspondait à sa vision de la musique. Il y eut une grande entente musicale et humaine entre eux. Je souhaite lui exprimer ici ma reconnaissance. Claude ne s’est jamais permis de porter un jugement musical, ni de faire une suggestion à mon père. Pas même sur la violence des martèlements de la timbale dans le premier mouvement de la Symphonie n°1  de Brahms ou encore sur la violence dans la marche funèbre du Gotterdammerung.