Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Le Corsaire : ballet classique en grande pompe pour conclure la saison à l’Opéra de Bordeaux

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Le lundi 7 juillet se presse une foule de tout âge place de la Comédie à Bordeaux pour voir la dernière (mais pas des moindres) production chorégraphique de la saison : Le Corsaire. 

Ballet d’une autre époque certes (créé en 1856 inspiré par les poèmes de Lord Byron datant de 1814 avec son lot d’orientalisme, d’esclaves, d’enlèvements et de ventes de femmes…) mais revisité avec talent par José Martinez, donnant à danser aux superbes danseurs de la compagnie. 

L'orchestre national de Bordeaux Aquitaine dirigé par Maria Seletskaja interprète la partition d’Adolphe Adam et Léo Delibes. On y retrouve de nombreux extraits d’autres ballets ce qui provoque parfois un effet de superposition où l’on pense inconsciemment aux autres chorégraphies proposées sur cette musique. 

Brahms en fil rouge au Festival International de Colmar

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L’un des points forts du Festival International de Colmar est sans aucun doute le partage de l’affiche entre jeunes artistes tout juste sortis du conservatoire et grands solistes internationaux installés depuis de nombreuses années. 48 ans séparent la naissance de Tom Carré, premier soliste de la journée, et celle de Grigory Sokolov, en clôture de soirée. 

La journée a donc débuté par un récital du jeune pianiste français Tom Carré. Nous avons pu entendre les Quatre Klavierstücke Op.119 de Brahms, les Danses de Marosszék de Zoltán Kodály, trois préludes de Rachmaninov (No. 4-5-6 de l’opus 23) ainsi que la Sonate No.4 en ut mineur Op.29 de Prokofiev. Tom Carré brille par la lisibilité de son jeu. Que ce soit dans les traits les plus virtuoses ou les passages polyphoniques, chaque note est très justement prononcée, nous permettant ainsi de profiter pleinement de ces magnifiques pièces. Impassible, le français nous a offert en bis une interprétation tout en introspection de La vallée des cloches de Ravel. Par cette lecture très personnelle de cette pièce, Tom Carré prouve qu’il est d’ores et déjà un musicien mature, capable de faire transparaître son univers dans son jeu. 

Concerts de prestige au Festival International de Colmar

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Pour sa troisième année à la direction artistique du Festival International de Colmar, Alain Altinoglu continue d’attirer les plus grands artistes et les ensembles les plus prestigieux. Lors de cette édition 2025 nous pouvons notamment citer Gautier Capuçon, Bertrand Chamayou et Yuja Wang, ou encore le Mahler Chamber Orchestra et les Belgian Brass. Comme on ne change pas une formule à succès, deux à trois concerts sont proposés chaque jour, faisant la part belle aux jeunes artistes, aux ensembles de musique de chambre installés et aux plus grandes stars internationales. 

Ce 9 juillet, nous avons pu assister à deux magnifiques concerts. Le premier, à 18h, fut assuré par Anastasya Terenkova au piano et Georgi Anichenko au violoncelle. Ils nous ont proposé un programme retraçant l’évolution de l’écriture pour leur formation. Nous avons ainsi pu entendre la Sonate pour violoncelle et piano de Claude Debussy, la Fantasiestücke Op.73 de Robert Schumann, les Sept Variations sur le thème “Bei Männern, welche Liebe fühlen” de La flûte enchantée, en mi bémol majeur, WoO 46 de Beethoven ainsi que la Sonate pour violoncelle et piano en la mineur, Op.36 d’Edvard Grieg. Georgi Anichenko a livré une prestation exceptionnelle, usant de toutes les ressources de son instrument pour donner vie à ces magnifiques pièces. La finesse déployée dans son Beethoven, le déchirement ressenti dans son interprétation du premier mouvement de Grieg et l’énergie palpable tout au long du concert furent un véritable régal. Anastasya Terenkova a quant à elle livré une prestation légèrement plus contrastée. Nous avons parfois manqué de matière, notamment dans le Debussy, où elle a plus pris un rôle d’accompagnatrice que de chambriste. Malgré tout, la douceur de son jeu et sa palette de nuances piano furent le terreau de moments tout simplement magiques. En bis, nous avons pu entendre le mouvement lent d’une sonate de Jean-Sébastien Bach. 

Beau, tout simplement beau : « la Calisto » à Aix-en-Provence

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Beau, oui, tout simplement beau, dans ce que l’on entend et dans ce que l’on voit. Quel bel écrin, quel dispositif scénique adéquat ont imaginé Jetske Mijnssen, la metteure en scène, et Julia Katharina Berndt, la scénographe. Les grands espaces d’un somptueux hôtel particulier du XVIIIe siècle, lambris, bougies, fauteuils et bergères, service en porcelaine et personnel aussi efficace que discret. Un plateau tournant pour faciliter le jeu des entrées et sorties, des apparitions-disparitions. Les costumes d’Hannah Clark sont joliment d’époque.

Une histoire compliquée : Jupiter fait encore des siennes ! Sa proie, cette fois, la belle Calisto, si éprise de Diane. Le roi des dieux, conseillé par son âme damnée de Mercure, va donc recourir à une usurpation d’identité – un procédé habituel chez lui - pour abuser de la vierge amoureuse. Leur entourage est, lui aussi, habité par toutes sortes de pulsions irrésistibles : ceux qui aiment en vain, ceux qui veulent posséder, celle qui voudrait être aimée, ceux qui ourdissent ; les naïfs, les retors, les idéalistes, les fourbes. On se déguise, on cache ses sentiments, on complote, on menace. Des quiproquos en veux-tu en voilà. Du baroque vénitien quoi, dont on sait que Cavalli est un maître.

C’est une comédie, joliment enlevée, mais pas que. Il y a du Marivaux, mais aussi du Choderlos de Laclos. On badine, mais on n’hésite pas à menacer, couteaux à l’appui. 

Louise de Gustave Charpentier avec Elsa Dreisig

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Une prise de rôle : voilà une expression absolument bienvenue pour exprimer ce que nous avons vécu au spectacle de la  Louise  de Gustave Charpentier représentée au Théâtre de l’Archevêché à Aix-en-Provence.

D’ordinaire, cette expression signifie qu’un interprète « prend un rôle », le chante et le joue pour la première fois. Cette fois, il s’agit de la façon dont une interprète s’est emparée d’un rôle, l’a fait sien, s’est identifiée à lui, dans toutes ses réalités, qu’elles soient vocales ou scéniques.

Cette chanteuse, c’est Elsa Dreisig, littéralement devenue la Louise de Charpentier, dirigée par Giacomo Sagripanti et revisitée par Christof Loy. Quelle incarnation ! On ne l’oubliera pas. Comme d’ailleurs, on n’a pas oublié la Salomé, un tout autre personnage, qu’elle était en 2022 au même Festival.

Mais ce nécessaire coup de projecteur étant donné, reprenons les choses dans l’ordre. Louise est un opéra de Gustave Charpentier, créé en 1900 à l’Opéra-Comique de Paris, une œuvre qui résume sa postérité.

La jeune Louise travaille dans un atelier de couture ; elle vit encore chez ses parents. Une vie étouffante : elle est coincée entre l’affection accaparante de son père et l’agressivité jalouse de sa mère. Une vie sinistre. Mais voilà que surgit Julien, un jeune poète bohème extravagant. C’est le coup de foudre, et le déchirement entre le respect filial et l’amour. Louise finit par suivre Julien. Bonheur, mais… Sa mère vient lui annoncer que son père, désespéré de son départ, est profondément déprimé et très malade. Louise rentre à la maison. C’est l’enfer paternel et maternel conjugué. Elle s’en ira…

Une si longue agonie : Don Giovanni à Aix-en-Provence

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Dans le livret et la partition de  Don Giovanni, c’est à « l’ultimo momento » que le séducteur, que le « grand méchant homme », serrant la main de la statue de ce Commandeur qu’il avait assassiné au début de l’œuvre et que, dernière provocation, il avait invité à dîner avec lui, est envoyé en enfer. Conclusion foudroyante du parcours prédateur de celui dont le catalogue des victimes s’élevait à au moins « mille e tre ». Extraordinaire point d’orgue, acmé d’un parcours qui n’a pas fini d’interpeller, conclusion grandiose d’une partition tout aussi grandiose.

Mais Robert Icke, le metteur en scène de cette production aixoise, a lu les choses autrement. Quand le rideau s’ouvre, avant même la première note, nous découvrons un homme âgé installé dans un environnement cossu. Sur une vieille platine, il écoute et réécoute les derniers instants de l’opéra de Mozart. Soudain, il porte la main à la poitrine, il se tord de douleur, il s’écroule ; il va mourir. Gros plan vidéo sur son œil, un œil qui voit, qui revoit plutôt. Y apparaît une galerie de femmes de tous types, des femmes fantomatiques.

Cet homme, ce serait à la fois le Commandeur et Don Giovanni, tous deux symboliques d’univers qui s’effondrent – celui d’une rigueur ancestrale, celui d’un défi absolu aux normes. Un « Don Giovanni » exactement crépusculaire, fin d’une époque.

L’œuvre va donc être en quelque sorte le parcours revécu de ses dernières séductions ratées par le fantôme de Don Giovanni– il est là, il passe, il revit, il assiste en témoin. Nous sommes donc sur le chemin fatal de l’inéluctable conclusion.

Concrètement, cela nous vaut, dans la seconde partie de la représentation, le spectacle d’un Don Giovanni perfusé, accroché à sa perche à perfusion, titubant, de plus en plus ensanglanté, mourant lentement dans une très très très longue agonie. 

Voilà qui déréalise : la lecture symbolique phagocyte le déroulement narratif explicite.

Voilà aussi qui finit par agacer, d’autant plus que la compréhension de cette lecture n’est pas immédiate, sauf si l’on a lu le « mode d’emploi » complaisamment exposé ici et là par le metteur en scène. Une façon de faire qui pose problème. Etre spectateur, ce n’est pas simplement retrouver ce qu’on nous a dit de retrouver, ce n’est pas résoudre une devinette ! Non, être spectateur, c’est le bonheur de découvrir par nous-mêmes en quoi le regard d'un metteur en scène révèle davantage une œuvre ou en renouvelle la perception. Mais, et c’est essentiel, sans que jamais cette « régénération » ne se fasse au détriment de l’écoute, plutôt essentielle, ne pensez-vous pas, à l’opéra. 

Tout cela pour dire que le travail de Robert Icke s’inscrit dans une longue lignée de visions dramaturgiques peut-être intéressantes dans un article ou lors d’un colloque, mais qui ne donnent pas vie à un opéra représenté, qui se heurtent même à lui régulièrement.

Il est alors dommage que l’on doive s’en référer à la fameuse phrase : « on peut toujours fermer les yeux ». Mais l’opéra, ce n’est pas, ce ne devrait pas être le « tape à l’œil » ; non, ce doit être « l’œil écoute », la sublime conjugaison de ce que j’entends et de ce que je vois.

Aller à l’essentiel :  The Story of Billy Budd, Sailor »,

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Avec leur adaptation du Billy Budd de Benjamin Britten, Olivier Leith et Ted Huffman ont voulu aller à l’essentiel de l’œuvre. Un défi qu’ils relèvent brillamment dans le plus grand respect de cette œuvre.

On pourrait même aller jusqu’à écrire que, ce faisant, ils accomplissent en quelque sorte les intentions du compositeur : celui-ci crée d’abord un opéra en quatre actes (1951), inspiré d’un petit roman d’Herman Melville, qu’il réduit ensuite à deux actes en 1960 (version radiodiffusée, créée scéniquement en 1964).

Même dans cette version réduite, c’est une œuvre orchestralement assez monumentale. Avec son prologue, ses deux actes et son épilogue, elle dure plus ou moins deux heures trois-quarts. Et voilà que le duo Leith-Huffman nous en propose une version ramassée d’une heure trois-quarts. Tout est dit et bien dit. Une réussite.

Ils s’inscrivent ainsi dans la démarche d’un Peter Brook, avec ses « Tragédie de Carmen » et « Une Flûte enchantée ». Il s’agissait alors de se débarrasser de tout le fatras encombrant deux chefs-d’œuvre, les anecdotisant, les étouffant en quelque sorte. Il s’agissait d’en retrouver les structures et les réalités profondes, celles qui justifient leur pérennité, qui expliquent leurs interpellations perpétuées.

Le capitaine Edward Fairfax Vere, très âgé, revient sur un événement qui l’a marqué à jamais. C’était en 1797, il commandait alors le vaisseau L’Indomptable, engagé dans la lutte contre les révolutionnaires français. Parmi des marins recrutés de force, Billy Budd, jeune, fort et beau, généreux, très vite désireux de se faire sa place à bord. Voilà qui suscite la jalousie vengeresse du capitaine d’armes John Claggart. Il accuse Billy de préparer une mutinerie. Lors de la confrontation, Billy, ne pouvant contrôler un bégaiement qui le handicape régulièrement depuis toujours, ne peut faire valoir ses arguments et s’en prend violemment à son accusateur ; il le tue. Il sera pendu. Vere, qui appliqua alors la justice, est obsédé par son rôle dans cette affaire. 

A Lausanne, un Docteur Miracle haut en couleur

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Tous les deux ans, l’Opéra de Lausanne part en tournée pour constituer sa Route Lyrique qui, cette année, entre le 20 juin et le 10 juillet, fait halte dans douze localités des cantons de Vaud, du Jura, du Valais. Chaque spectacle est offert gratuitement, ce qui attire un public qui n’a pas les moyens ou l’habitude de fréquenter un théâtre lyrique. 

En cette année 2025 où est commémoré le 150e anniversaire de la création de Carmen, Claude Cortese, le nouveau directeur, reprend Le Docteur Miracle coproduit par les Opéras de Tours, de Rouen, du Théâtre du Châtelet et de la Fondation Bru Zane France. Écrite par un Bizet de 18 ans pour prendre part à un concours d’opéras-comiques organisé par Jacques Offenbach, cette opérette en un acte obtint le premier prix ex-aequo avec celle de Charles Lecocq et fut créée aux Bouffes-Parisiens le 9 avril 1857. Puis elle fut jouée onze fois avant de tomber dans l’oubli jusqu’à 1951 quand l’exhuma le Conservatoire de Paris. Sporadiquement elle refait surface de nos jours.

Le public se délecte de cette intrigue, grosse ficelle conçue par Léon Battu et Ludovic Halévy, nous montrant un soldat, Silvio, épris de Laurette, la fille du Podestat de Padoue, qui réussit à se faire engager dans sa maison comme cuisinier. Mais l’omelette qu’il sert est si indigeste que le maître de ces lieux se croit empoisonné. L’on fait venir un docteur (qui n’est autre que Silvio déguisé) qui accepte de le soigner à condition qu’il puisse épouser sa fille… Pierre Lebon qui conçoit la mise en scène, les décors et costumes en collaborant avec Bertrand Killy pour les lumières, s’en donne à cœur joie, car il joue lui-même l’assistant de ce Docteur Miracle qui prend à  parti le public pour expliquer la trame  s’inscrivant dans un décor qui n’est qu’un enchevêtrement  de passages coulissants, de trappes, de tiroirs s’amoncelant jusqu’à une plateforme en équilibre instable surmontée d’une large baie vitrée à rideaux tirés.  Les trois personnages auxquels s’ajoute Véronique, la seconde épouse du Podestat, revêtent le rouge criard de la pantomime dont l’assistant tire les ficelles avec une énergie qui ne connaît pas le moindre répit. 

La Symphonie n°3 de Mahler à l'Arsenal de Metz

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La Symphonie n°3 de Mahler a été donnée à l'Arsenal de Metz pour clôturer la saison. Pour ce faire deux orchestres, à savoir l'Orchestre national de Metz Grand Est et l'Orchestre national de Mulhouse, se sont alliés sur scène pour un total de 153 musiciens afin d'atteindre les dimensions requises par son compositeur. L'exigence est bien de mise pour respecter cette symphonie. Du point de vue de la composition de son orchestre, elle demande, outre une dimension orchestrale plus importante que celle de celui de Haydn ou de Mozart, avec des cordes, des vents et des percussions plus nombreux et plus virtuoses, des chœurs ; ici le Chœur philharmonique de Strasbourg, le chœur de Haute Alsace et le chœur des enfants du conservatoire Gabriel Pierné – Eurométropole de Metz.

Si la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov du concert précédent permettait déjà d'apprécier les qualités de l'orchestre national de Metz Grand Est, à savoir la luisance de ses cordes, l'éclat de ses cuivres, et surtout une balance admirable des pupitres, le défi du chef d'orchestre David Reiland avec cette  symphonie de Mahler est plus ambitieux. Ainsi, la Shéhérazade est une œuvre moins longue, moins ambitieuse et nécessitant un moins grand orchestre que la troisième Symphonie n°3 de Mahler, nonobstant elle en prépare le chemin.

Dépassant l'architecture classique de l'orchestre haydenien avec les cordes comme élément central, simplement agrémenté de quelques percussions et vents, l'orchestre ici, proche de ceux des Russes comme ceux de Rimsky-Korsakov et Tchaïkovski, qui font déjà dialoguer ces pupitres de natures différentes, donnent à la rencontre des cordes et des vents, nourrie des percussions, une perspective religieuse.

Le premier mouvement s' ouvre sur un univers très brisé, moderne en ce sens, dans lequel les cuivres dominent. Progressivement l'harmonie monte avec l'apport des autres vents. Puis avec les cordes au deuxième mouvement. Plus que d'un simple dialogue musical entre les cordes et les vents, comme dans la Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, plus même qu'une simple dialectique philosophique, la Symphonie n°3 de Mahler est un dépassement religieux vers un état d'apaisement divin, raison pour laquelle les chœurs comme autant d'anges arrivent, et la soprano qui parle d'éternité.