A L’Opéra

Sur les scènes d’opéra un peu partout en Europe.

Picture a Day Like This de George Benjamin à l'Opéra Comique

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L’œuvre, qui s’étend sur un peu plus d’une heure, est traversée par une atmosphère perpétuellement mystérieuse et inquiétante. Au commencement, un silence. Ce silence dense et troublant précède le début de l’histoire, instaurant une attente qui saisit l’auditoire. La scène, faiblement éclairée, dévoile un enclos aux parois de miroirs, renvoyant à chaque personnage le reflet de sa propre image.

La protagoniste, une mère en deuil, exprime d'abord la perte de son enfant avec un détachement apparent, presque distant, avant que la douleur ne l’envahisse. Elle lit alors dans un livre : « Trouve une personne heureuse en ce monde et prends un bouton de la manche de son vêtement. Fais-le avant la nuit et ton enfant vivra ». Commence alors son voyage initiatique, ponctué de rencontres singulières : Les Amants en extase, L’Artisan fier de ses créations, La Compositrice au sommet de sa gloire parcourant le monde, Le Collectionneur qui détient tous les chefs-d’œuvre du globe, et Zabelle habitant son jardin-paradis. Tous se disent heureux, mais finissent par révéler une angoisse profonde et un malheur qu’ils ne parviennent pas à apaiser. La Femme trouvera-t-elle alors ce qu’elle est venue chercher ?

Le livret se compose de phrases courtes, parfois hachées, évoquant le déchirement intérieur des personnages. Ces fragments de texte prennent vie dans une musique construite sur des micro-intervalles ou de larges sauts d’intervalles, signature caractéristique de l’écriture de George Benjamin. D’une atmosphère calme rendue par les micro-intervalles surgissent parfois des éruptions de sentiments intenses, soulignées par ces écarts soudains. Benjamin affine également la caractérisation de chaque scène et personnage grâce à des choix instrumentaux subtils : pour la scène des Amants, par exemple, il recourt à un instrumentarium particulier comprenant des flûtes ténor et basse ainsi qu’une clarinette contrebasse.

Káťa Kabanová de Leoš Janáček à Liège

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Káťa Kabanová , c’est une tragédie et, comme toute tragédie, elle est souvent annoncée. Le grand écrivain Gabriel Garcia Marquez a d’ailleurs écrit la « Chronique d’une mort annoncée », dont les premiers mots sont plus ou moins : « Il allait mourir ce jour-là » ! La tragédie, quoi que l’on tente ou que l’on fasse, est inéluctable, inexorable. Un autre écrivain, Jean Anouilh, a très bien imagé ce processus fatal : « Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul. C'est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre, rien… C'est tout. Après, on n'a plus qu'à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul ». 

Káťa Kabanová  ne veut pas que son mari Tichon, poussé par sa mère, la terrible Kabanicha, s’en aille pour ses affaires au marché de Kazan et la laisse seule. Elle a peur de ce qui va arriver, et qui arrive : la révélation de son amour irrésistible pour Boris. Et la honte, et le suicide.

Andrea Chénier à l’auditorium de Lyon

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Avant que de jouer au Théâtre des Champs Elysées vendredi prochain, l’orchestre et le chœur de l’opéra de Lyon ont joué à l’auditorium de leur ville une version de concert d’Andrea Chénier d’Umberto Giordano. Si la distribution avec Anna Pirozzi en Madelaine de Coigny, Amartuvshin Enkhbat en Carlo Gerard et Riccardo Massi en Andrea Chénier est fort appréciable, l’attribution des rôles secondaires à des chanteurs sortis du Lyon Opéra Studio est au moins aussi intéressante. Belle idée en théorie donc, mais en pratique la salle de l’auditorium n’est absolument pas faite pour ce genre de concert. Plus conçue pour des masses comme les orchestres et les chœurs, les chanteurs se font ici tellement facilement avaler, que la tenue des mezzos comme Thandiswa Mpongwana en Bersi ou de Sophie Pondjiclis en Comtesse de Coigny, la clarté des ténors Robert Lewis en Abbé et de Filipp Varik en Incroyable, ou l’assise des basses de Pete Thanapat en Roucher ou de Kwang-Soun Kim en Fouquier-Tinville, ne sont véritablement appréciables que lorsque l’intensité orchestrale baisse, ce qui n’arrive qu’à partir du troisième acte. Le premier perd en compréhension, et le deuxième ne tient que par la suavité de Chénier à cause de cet effacement acoustique. Nonobstant, la retenue de Sophie Pondjiclis est particulièrement sensible au troisième acte durant la scène, où sa Madelon sacrifie son dernier enfant à la Révolution.

Il faut dire que l’orchestre est particulièrement rutilant sous la direction de Daniele Rustioni. Étincelant de mille feux, il donne des éclats particulièrement vifs à la Terreur naissante. Ayant aussi parfaitement compris la façon lugubre, mordante et même cynique dont Giordano ponctue l’opéra de chants révolutionnaires, il semble aussi brûlant et chamarré qu’une lave en fusion. Son somptueux incendie orchestral est indéniablement une des plus grandes qualités de cette représentation. Et les chœurs sous la direction de Benedict Kearns, tantôt mixte pour un effet de foule, tantôt d’hommes pour imposer une force virile, tantôt de femmes pour plus de douceur, ne sont pas moins réussis.

La Traviata à l’Opéra du Grand Avignon

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Pour ouvrir sa nouvelle saison, l’Opéra du Grand Avignon reprend pour trois dates seulement la Traviata de Verdi de l’opéra de Limoges sous la direction de Federico Santi et la mise en scène de Chloé Lecha. Seul opéra de Verdi traitant l’époque de sa composition, sa contemporanéité semble être ce qui interessa la metteuse en scène. Elle choisit ainsi de transposer l’œuvre dans l’univers de la jetset de notre fin de vingtième siècle, grâce au très beau décor d’Emmanuelle Favre repris par Anaïs Favre. L’appartement de Violetta, agrémenté d’un bassin et de meubles en plastique, ouvre ici sur une ville en contrebas. Les costumes de Arianna Fantin semblent aussi tous sortis de défilés de mode récents. Autant les décors que les costumes suivent fort intelligemment l’évolution de la maladie de Violetta en devenant d’abord pâles au deuxieme avant de finir en noir et blanc au dernier acte.

Si cette idée, comme plusieurs autres, est visuellement fort intéressante, l’orientation de la mise en scène ne cesse d’interroger. Ainsi elle met constamment en parallèle par des petites scènes avant les actes, interrompant ainsi le fil narratif et musical, par d’autres en fond durant les actes et enfin, par des liens entre les personnages, le destin de la soeur d Alfredo avec celui de Violetta indiquant ainsi que le mariage est une forme socialement plus acceptable de la prostitution. Si effectivement un des moteurs de l’opéra est bien le mariage de Madame Germont fille et la bonne réputation de la famille Germont, ce personnage n’est que mentionné par Giorgio Germont durant sa rencontre avec Violetta. Rien ne dit que son mariage doit être de facto malheureux. Cette surimpression du mariage comme une forme avancée de la prostitution dans l’opéra est pour le moins osée. Tous les mariages n’étant pas forcément imposés et pourquoi celui-ci le serait-il plutôt qu’un autre.

Une réjouissance avec deux concertos pour deux pianos

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Le 3 octobre dernier, le Rungis Piano-Piano Festival a présenté au Théâtre des Champs-Elysées un concert intitulé « Grands concertos romantiques ». Au programme, deux œuvres méconnues : les concertos pour deux pianos de Mendelssohn (n°2 en la bémol majeur MWV 06) et de Max Bruch (en la bémol mineur op. 88a). Le Duo Reflet, formé par Natsu Aoki et Kazune Mori, a ouvert la soirée avant de laisser place à Ludmila Berlinskaia et Arthur Ancelle, fondateurs du festival et de l’Académie Piano-Piano, accompagnés par l’Orchestre national de Lille sous la direction de Dmitri Liss.

Dès notre entrée dans la salle, nos regards sont attirés par les nouvelles conques acoustiques, dont les rayures verticales évoquent celles des colonnes qui encadrent la scène. Leur élégance classique aux couleurs crème et doré illumine la scène, mettant en valeur la forme et le noir éclatant des pianos Shigeru Kawai.

A Lausanne, une magnifique ouverture de saison avec Guillaume Tell 

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Pour la première fois dans son histoire, l’Opéra de Lausanne présente Guillaume Tell, le dernier chef-d’œuvre parisien de Rossini créé Salle Le Peletier le 3 août 1829. Au vu de l’exiguïté du plateau, l’on pouvait se demander comment cela serait possible. Mais Claude Cortese qui succède à Eric Vigié en reprenant les rênes de l’Opéra de Lausanne a misé gros en relevant le défi. Et bien lui en a pris car le résultat est parfaitement convaincant.

Basé sur le drame écrit en allemand par Friedrich von Schiller en 1804, le livret français de Victor-Joseph Etienne de Jouy et Hippolyte-Louis-Florent Bis narre la lutte pour l’indépendance que concrétise la figure de Guillaume Tell, comme s’il était le père de la Confédération helvétique, ce qui l’amène à participer au Serment du Grütli, fait historiquement inexact. En collaboration avec Alex Eales pour les décors et Christopher Ash pour les lumières, le metteur en scène Bruno Ravella propose une Suisse idéalisée ayant pour toile de fond les peintures de Ferdinand Hodler que le sang lacérera au dernier acte. S’en détachent les éléments ‘en dur’ que transportent les gens du peuple vêtus par Sussie Juhlin-Wallén comme le tout un chacun d’aujourd’hui. Seule la soldatesque de l’oppression endosse des uniformes rouges face à un Gessler arborant le vert sombre des officiers. En accord avec le chef d’orchestre, deux personnages d’habitude sacrifiés comme le fils et la femme de Tell ‘existent’ véritablement car Jemmy bénéficie d’un air au troisième acte, alors que Mathilde, sa mère, voit son rôle étoffé par une prière et plusieurs séquences de declamato. Et toutes deux se joignent à la princesse Mathilde dans un trio pour voix de femmes généralement expurgé de la partition. 

Et c’est surtout par la qualité de l’exécution musicale que ce spectacle prend sa véritable dimension. Car le maestro romain Francesco Lanzillotta empoigne à bout de bras ce gigantesque ouvrage en parvenant, dès la célèbre Ouverture, à contraster les diverses sections par l’intensité de l’expression et la précision du trait qui ne faiblissent jamais jusqu’à l’apothéose finale. Et l’Orchestre de Chambre de Lausanne acquiert la ductilité d’une formation de théâtre, ce qui n’est pas monnaie courante sous nos latitudes. En bénéficie en premier lieu le Chœur de l’Opéra de Lausanne à l’effectif renforcé qu’a magistralement préparé le chef invité Alessandro Zuppardo. Car ses innombrables interventions, notamment au premier acte, sont toutes d’une remarquable efficacité.

 "Héroïne » à l’Opéra national de Lorraine 

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L’Opéra de Lorraine a lui aussi décidé de proposer une soirée réunissant plusieurs opéras distincts pour les inscrire dans une autre perspective, leur conférer des sens nouveaux. Comme La Monnaie avec ses deux « Bastarda » consacrés aux opéras « Tudor » de Donizetti, « Rivoluzione e Nostalgia » regroupant des extraits d’opéras de jeunesse de Verdi et, à venir cette saison, « I Grotteschi » à partir de trois opéras de Monteverdi.

A Nancy, il s’agit de trois oeuvres bien distinctes, mais envisagées sous un autre point de vue, celui de la « transgression » (c’est d’ailleurs le thème général de la saison lorraine), d’une interrogation de nos limites. 

Dans Sancta Susanna de Paul Hindemith, soeur Suzanne va revivre ce qu’a vécu une autre sœur quarante ans plus tôt : aller enlacer le crucifix de l’autel avec son corps nu. Céder à l’appel de la chair pour combler l’esprit ! Un acte blasphématoire condamné par ses sœurs aux cris de « Satan ».

Dans Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók, Judith, la jeune épouse du Duc Barbe-Bleue, veut qu’il lui ouvre sept portes dans le château, des portes qui condamnent les lieux à l’obscurité. Elle veut que règnent désormais la lumière et la joie. Terribles découvertes, désir fatal de vérité.

Violence et tragédie dans « Lady Macbeth de Mstenk » pour l’ouverture de saison au Liceu.

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« L’eau du lac est complètement noire. Noire comme ma conscience. Et, lorsque le vent souffle dans le bois, le lac fait des vagues. Des vagues qui font peur », chante Katerina Ismaliova au quatrième acte de ce grand ouvrage de Dmitri Chostakovitch, une des pièces-clé de l’opéra du XXe siècle. Crée en 1934, l’ouvrage connut un succès débordant jusqu’à ce que le dictateur Iósif Stalin fasse parvenir au journal Pravda (Vérité… en russe ) en 1936 une lettre non signée critiquant les dérives « formalistes » du compositeur, avec une menace de mort à peine voilée. Autant dire que l’auteur s’abstint dès lors de produire en public d’autres ouvrages pour la scène. En public car, en privé et sous cape, circulait une satire intitulée « Raïok anti-formaliste » (1948) pour quatre basses et chœur, avec orateur et accompagnement au piano sur des paroles du compositeur. Les personnages seraient le portrait de Staline et de ses censeurs proéminents. : Jdanov, Chepilov ou Apostolov, affublés de sobriquets « ad hoc ». Dont l’un compare cette musique formaliste « à une fraise de dentiste ou à des hurlements d'abattoir ». Il faut reconnaître que, en Occident, il persiste une certaine méfiance envers la musique de Chostakovitch argumentée par des critères qui ne sont pas si éloignés de ceux des juges soviétiques. Pendant que le sanguinaire dictateur envoyait à la mort ou au goulag des milliers de compatriotes et lançait ses pogroms antisémites, il continuait d’écouter compulsivement les enregistrements de l’inoubliable pianiste juive Maria Júdina…  Mensonge et pouvoir toujours ensemble ! 

Cette petite lettre aura conditionné l’avenir de l’opéra russe et mondial pour les 50 ans suivants. Nos actuels apprentis dictateurs, en revanche, ne sont même plus aptes à accorder une oreille attentive à cet art si complexe qu’est l’opéra. A ce propos, Jean-Marc Onkelinx écrit : « Ce que le régime soviétique avait parfaitement compris, c’est que l’art est un langage très efficace pour la propagande, mais très dangereux s’il est hors de contrôle. Car, en fin de compte, toutes les douleurs et les angoisses de Chostakovitch ne sont que le reflet des souffrances de son peuple, une vérité de propos qui ne peut que déranger profondément les autorités soucieuses de maintenir le dit peuple dans l’ignorance et la terreur. » 

Pour sa part, Chostakovitch n’abandonnera pas la musique vocale et laissera un corpus de « lieder » plus que considérable. Sur des grands poètes russes comme Alexandre Pouchkine, Marina Tsvetayeva ou Aleksandr Blok, mais il porte aussi son intérêt sur des thèmes comme celui de la révolution grecque, (à l’instar de Ravel) sur des poètes juifs, (comme Ravel aussi !) sur la poésie japonaise et aussi une curieuse restitution en russe de mélodies espagnoles apportées par les « enfants de la guerre civile », une surprenante acculturation qui aura plus tard des retombées intéressantes dans le monde musical. Sans oublier sa Quatorzième Symphonie, une sorte de grande « suite de Lieder » sur des textes de García Lorca (Poema del Cante Jondo), Apollinaire, Rilke et Küchelbecker. 

Casse à l’Opéra : Les Brigands ne font pas dans la dentelle

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L’Opéra de Paris ouvre sa saison avec Les Brigands, opérette d’Offenbach qui fut créée le 10 décembre 1869 au Théâtre des Variétés. Quelques mois plus tard, les « bruits de bottes » seront ceux des armées prussiennes. Les librettistes Meilhac et Halévy décrivent la déconfiture de bandits qui « volent au-dessus de leurs moyens ». Curieusement, la dynamique de l’action ne progresse pas dans un mouvement ascendant mais décline, de péripéties en péripéties, jusqu’à la déconfiture finale des héros.

Dans son repaire « à la frontière de Mantoue et Grenade » (sic), le chef des brigands Falsacappa demande à sa fille, « Fiorella la brune » de l’aider à renflouer ses caisses vides. Un jeune fermier, Fragoletto (interprété par une mezzo), devient malfrat par amour, poursuivi par des carabiniers qui, « par un malheureux hasard », arrivent « toujours trop tard » ! Les brigands découvrent opportunément que le cortège de la princesse de Grenade va bientôt recevoir du prince de Mantoue la somme faramineuse de 3 millions.

Dans l’auberge, lieu de la rencontre, les brigands se déguisent en marmitons puis capturent italiens, ducs et carabiniers dont ils empruntent successivement les costumes. Enfin, travestis cette fois en « faux Espagnols », ils se présentent  pour réclamer l’argent... que le caissier a dépensé.

Mais voici que paraissent les « vrais espagnols » dans un époustouflant tableau inspiré de Vélasquez (très applaudis) qui démasquent imposteurs et voleurs. Pardonnés de justesse, ces derniers repartent penauds, décidés à devenir honnêtes !

Le conte est bon : « Siegfried » de Richard Wagner à La Monnaie

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Tout commence par des images projetées d’enfants réunis dans un atelier de dessin ; tout s’achève par des images projetées de dessins de ces enfants. Ce qu’ils ont dessiné : les protagonistes d’un conte.

Ce conte, nous allons en vivre les péripéties ; ce conte, c’est le Siegfried de Richard Wagner, du moins tel que Pierre Audi l’a conçu et mis en scène.

C’est un conte initiatique, un récit d’apprentissage, l’histoire d’un jeune homme en quête de ses origines, en quête de son identité, en quête de la mission qui l’attend. Une quête compliquée, rendue problématique par des personnages hypocrites, malfaisants, retors, qui veulent se servir de lui pour assouvir leurs désirs -ainsi le nain Mime. Une quête qui ne sera possible que grâce à la réussite d’une épreuve déterminante : vaincre le dragon Fafner, gardien d’un anneau magique, d’un heaume magique et d’un trésor. Une quête qui obligera à « se débarrasser du père » en neutralisant Wotan et sa lance. Une quête facilitée par l’intervention d’un oiseau bienvenu. Une quête qui s’accomplira dans la délivrance d’une jeune femme (condamnée lors de l’épisode précédent de La Walkyrie), Brünnhilde, celle qui le révélera définitivement à lui-même dans un amour transcendant réciproque.

Oui, c’est un beau conte à la belle trame linéaire, immédiatement lisible, captivant dans ses péripéties, dans les identifications-répulsions qu’il provoque pour ses personnages, avec ce qu’il faut d’inquiétude et de satisfaction, de prodige et d’émerveillement.

Scéniquement, cela se concrétise notamment avec l’une de ces grandes installations qu’affectionne le metteur en scène : on se souviendra de « l’espace rouge » d’Anish Kapoor pour Pelléas et Mélisande ou de l’immense croix pour Tosca. Cette fois, il s’agit d’une grande structure arborescente omniprésente, soudain trouée de lumières, soudain autrement colorée. Il y a aussi l’immense néon-lance de Wotan-épée Nothung, ou encore le petit personnage-oiseau couvert de plumes… et quelques peluches nounours-doudous.

Oui, mais c’est du Wagner, me direz-vous, sans doute surpris de ne pas voir apparaître une abondance de paratextes, de sous-textes, d’allusions-connotations en tous genres socio-politico-psychanalytico-philosophico-etc. Eh bien, oui, ce Wagner-là se vit avec le regard retrouvé d’un jeune enfant confronté aux émerveillements d’un conte. Bien sûr, quand on le revit en soi chez soi, on y (re)trouve toutes sortes de prolongements en tous ces genres-là. Mais ils ne nous ont pas été imposés.

Le bonheur de cette production est qu’on s’y abandonne !

Cette façon de traiter l’œuvre, si elle est un choix, est aussi la conséquence d’un contexte de création : on le sait, Pierre Audi a joué au dépanneur. Il a accepté de poursuivre cette Tétralogie que La Monnaie n’a pu mener à son terme comme elle l’espérait avec Romeo Castellucci. Il lui a donc fallu travailler dans l’urgence, aller à un certain essentiel. Un bel essentiel dans la mesure où il nous permet de vivre sans filtre la partition wagnérienne, de pouvoir l’apprécier dans toutes les richesses de ses pages instrumentales et vocales.