A L’Opéra

Sur les scènes d’opéra un peu partout en Europe.

Le conte est bon : « Siegfried » de Richard Wagner à La Monnaie

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Tout commence par des images projetées d’enfants réunis dans un atelier de dessin ; tout s’achève par des images projetées de dessins de ces enfants. Ce qu’ils ont dessiné : les protagonistes d’un conte.

Ce conte, nous allons en vivre les péripéties ; ce conte, c’est le Siegfried de Richard Wagner, du moins tel que Pierre Audi l’a conçu et mis en scène.

C’est un conte initiatique, un récit d’apprentissage, l’histoire d’un jeune homme en quête de ses origines, en quête de son identité, en quête de la mission qui l’attend. Une quête compliquée, rendue problématique par des personnages hypocrites, malfaisants, retors, qui veulent se servir de lui pour assouvir leurs désirs -ainsi le nain Mime. Une quête qui ne sera possible que grâce à la réussite d’une épreuve déterminante : vaincre le dragon Fafner, gardien d’un anneau magique, d’un heaume magique et d’un trésor. Une quête qui obligera à « se débarrasser du père » en neutralisant Wotan et sa lance. Une quête facilitée par l’intervention d’un oiseau bienvenu. Une quête qui s’accomplira dans la délivrance d’une jeune femme (condamnée lors de l’épisode précédent de La Walkyrie), Brünnhilde, celle qui le révélera définitivement à lui-même dans un amour transcendant réciproque.

Oui, c’est un beau conte à la belle trame linéaire, immédiatement lisible, captivant dans ses péripéties, dans les identifications-répulsions qu’il provoque pour ses personnages, avec ce qu’il faut d’inquiétude et de satisfaction, de prodige et d’émerveillement.

Scéniquement, cela se concrétise notamment avec l’une de ces grandes installations qu’affectionne le metteur en scène : on se souviendra de « l’espace rouge » d’Anish Kapoor pour Pelléas et Mélisande ou de l’immense croix pour Tosca. Cette fois, il s’agit d’une grande structure arborescente omniprésente, soudain trouée de lumières, soudain autrement colorée. Il y a aussi l’immense néon-lance de Wotan-épée Nothung, ou encore le petit personnage-oiseau couvert de plumes… et quelques peluches nounours-doudous.

Oui, mais c’est du Wagner, me direz-vous, sans doute surpris de ne pas voir apparaître une abondance de paratextes, de sous-textes, d’allusions-connotations en tous genres socio-politico-psychanalytico-philosophico-etc. Eh bien, oui, ce Wagner-là se vit avec le regard retrouvé d’un jeune enfant confronté aux émerveillements d’un conte. Bien sûr, quand on le revit en soi chez soi, on y (re)trouve toutes sortes de prolongements en tous ces genres-là. Mais ils ne nous ont pas été imposés.

Le bonheur de cette production est qu’on s’y abandonne !

Cette façon de traiter l’œuvre, si elle est un choix, est aussi la conséquence d’un contexte de création : on le sait, Pierre Audi a joué au dépanneur. Il a accepté de poursuivre cette Tétralogie que La Monnaie n’a pu mener à son terme comme elle l’espérait avec Romeo Castellucci. Il lui a donc fallu travailler dans l’urgence, aller à un certain essentiel. Un bel essentiel dans la mesure où il nous permet de vivre sans filtre la partition wagnérienne, de pouvoir l’apprécier dans toutes les richesses de ses pages instrumentales et vocales.

Pesaro redécouvre Ermione et Bianca e Falliero

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Pour une trentième saison consécutive je me rends au Festival de Pesaro pour assister aux deux opere serie d’importance qui figurent à l’affiche, Bianca e Falliero et Ermione.

Bianca e Falliero a lieu à l’Auditorium Scavolini, salle nouvelle qui redonne vie au Palafestival fermé depuis 2005. Contestée par beaucoup, l’acoustique semble favoriser le parterre au détriment de l’auditorium en pourtour.

Le ROF a été le premier à assumer l’exhumation moderne de Bianca e Falliero , opera seria fascinante que Rossini conçut pour le Teatro alla Scala entre deux des ouvrages pour le San Carlo, La Donna del Lago et Maometto II. Mais le public milanais ne réserva qu’un accueil mitigé à la première du 26 décembre 1819, suivie de quelques reprises durant une vingtaine d’années avant de sombrer dans l’oubli. 

Par contre, la recréation du 23 août 1986 à Pesaro suscita un vif intérêt car la production de Pier Luigi Pizzi afficha Katia Ricciarelli, Marilyn Horne et Chris Merritt sous la direction de Donato Renzetti. Les reprises de septembre 1989 avec Lella Cuberli, Martine Dupuy et Daniele Gatti au pupitre produisirent un impact moins grand, ce que l’on dira aussi de la mise en scène de Jean-Louis Martinoty réunissant en août 2005 Maria Bayo et Daniela Barcellona sous la conduite de Renato Palumbo.

De cette nouvelle édition, l’on retiendra comme point fort la direction de Roberto Abbado connaissant à fond les mécanismes de l’opera seria rossinienne basés sur la précision du geste et l’intelligence du phrasé, ce que démontrent durant plus de trois heures l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI et il Coro del Teatro Ventidio Basso préparé remarquablement par Giovanni Farina.

Sur scène, s’impose en premier le ténor Dmitry Korchak qui, au fil des années, s’est forgé le métal d’un véritable baritenore pour camper le père de Bianca, Contareno, en réussissant à inscrire dans sa ligne de chant,les aigus les plus incisifs, tout en faisant autorité par son expression tragique.

La Bianca de Jessica Pratt n’atteint pas le même niveau, tant l’émission laisse apparaître un vibrato large et des stridences dans l’aigu qu’elle sait atténuer dans les sections lentes des duetti avec Contareno et avec Falliero qu’incarne la mezzo japonaise Aya Wakizono. Même si elle a connu le succès ici avec Clarice de La Pietra del Paragone et Rosina, elle ne possède pas la stature vocale du contralto rossinien dont elle n’a ni la couleur ni la profondeur des graves. Mais sous sa cuirasse dorée, elle s’ingénie à camper les jeunes téméraires avec un brio doublé d’une énergie irrépressible. 

 Dido, Königin von Carthago » de Graupner ou l’imbroglio inextricable

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Lorsqu’on a dans l’oreille le chef d’œuvre de Purcell sur le même sujet, avec sa dramaturgie irréprochable conduisant comme un fil rectiligne à la « catharsis » du « Remember me », découvrir un ouvrage aussi haut en couleur que son intrigue abonde en nœuds dramatiques du Saxon Christoph Graupner (1683 – 1760) est une expérience bouleversante. Lorsqu’on lit de bons livres d’histoire de la musique, on trouve toujours quelques lignes rapportant que dans l’Hambourg du début XVIIIe, quelques compositeurs ont ouvert le chemin à G.F. Händel. Et on y passe comme s’il s’agissait d’ouvrages mineurs, quelque peu anecdotiques et sans réel intérêt dramatique. Le Festival d’Innsbruck, avec sa production de la Dido germanique, créée en 1707, a complètement renversé cette vision traditionnelle des prédécesseurs de Händel. Lequel, dans sa jeunesse, jouait du violon dans l’orchestre aux côtés de Graupner au clavecin et sous la direction de Reinhard Keiser, lui-même auteur d’une centaine d’opéras… Graupner a laissé un millier de compositions, parmi lesquelles huit opéras et un remarquable corpus d’ouvrages pour clavecin, dont une partie se conservent gravées de ses propres mains. Le claveciniste et musicologue belge Florian Heyerick a établi un catalogue de ses compositions, accessible on-line. Une anecdote illustre sa personnalité : choisi pour le cantorat de St. Thomas à Leipzig juste avant J.S. Bach, il recommandera chaleureusement celui-ci pour le poste lorsqu’il a gardé lui-même son emploi à Darmstadt, perdu et retrouvé ensuite par des problèmes relatifs au paiement de ses arriérés.

La metteure en scène de la soirée, Deda Christina Colonna a écrit : « Après l’invention de ce soi-disant « quatrième mur », on assume que l’audience va rester assise dans le noir et silencieuse pendant toute la durée de l’opéra. Ce n’était absolument pas le cas aux XVIIème ou XVIIIème siècles : la communication entre scène et public se faisait par des voies très variées de partage de l’attention et de l’énergie. » Elle met ainsi de suite le doigt sur la plaie : pour le spectateur actuel, la Dido de Graupner est un défi absolu. Reconnaître les différents personnages et leurs interactions pendant que plusieurs histoires superposées se succèdent sur scène, est un pari peu accessible au spectateur moyen. Il est vrai que la mythologie gréco-romaine faisait partie jadis de la bonne éducation des classes nanties et quelques-unes de ces histoires leur étaient familières. De nos jours, en revanche, le livret de Heinrich Hinsch pourrait s’apparenter à une intrigue policière enchevêtrée avec toutes sortes de personnages, mais la construction dramatique ne faisait certainement pas partie des priorités de l’auteur. Il ne faut surtout pas y chercher les trois fameuses unités d’action, lieu et temps que prônait Racine, c’est un tout autre univers qui se déroule devant nos yeux et nos oreilles. Celles-ci seront assurément flattées par l’imagination débordante du compositeur : des airs d’une virtuosité époustouflante avec des coloratures interminables et hardies ou des notes extrêmes qui vont faire le lit du succès des chanteurs les plus intrépides ou expérimentés. Cela peut aussi dérouter un auditeur qui chercherait une forme de suite, de construction musicale d’ensemble : nous trouverons des moments saillants, des surprises et des ruptures et même des ensembles polyphoniques, mais pas de fil conducteur. Il faut faire tabula rasa de nos préjugés comme auditeurs des opéras de Mozart ou Puccini. Déjà, c’est chanté majoritairement en allemand, ou plus précisément dans un vieux dialecte. Mais presque une quinzaine d’airs, sont chantés en italien… comprenne qui pourra ! Peut-être la visée des Hambourgeois était-elle d’y attirer des castrats.

Händel, Arianna in Creta aux Innsbrucker Festwochen der Alten Musik

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« Arianna in Creta » est l’un des opéras le moins souvent joués de Händel. Si l’on fait exception de la tournée dirigée par Christophe Rousset en 2002 et des Festivals Händel de Londres et Halle en 2014 et 2018, elle n’a pratiquement pas été jouée au XXIème siècle. L'intrigue de l'opéra porte sur l'histoire mythique du tribut de sept filles et sept garçons que les Athéniens devaient offrir à Minos, roi de Crète pour servir de nourriture au Minotaure, et de la manière dont Thésée va tuer le monstre avec la complicité de son amoureuse Ariadne (fille du roi Minos enlevée dans son enfance), le guidant dans le labyrinthe. Le librettiste est inconnu et l’intrigue passe par les habituels triangles amoureux et les diverses péripéties héroïques et de Thésée et ses adversaires Crétois. 

Le célèbre castrat Senesino avait quitté la compagnie de Händel très peu de temps avant la première pour rejoindre, avec plusieurs autres membres de la troupe, l’Opera of the Nobility fondé en 1733 par le Prince de Galles. Celui-ci était dirigé musicalement par Nicola Porpora et faisait une concurrence directe à l’entreprise de Händel et son associé Johann Jakob Heidegger. Son rôle fut alors attribué au jeune Giovanni Carestini.  D’après Charles Burney, Carestini chantait et jouait avec élégance, mais sa tessiture était limitée. Seul le soprano Anna Maria Strada del Pò restera fidèle à Händel. L’Abbé Prévost décrira ainsi cette énième querelle dans la troupe du saxon : « On sait déjà que Senesino s’est brouillé irréconciliablement avec M. Händel, a formé un schisme dans la Troupe et qu’il a loué un Théâtre séparé pour lui et pour ses partisans. Les Adversaires ont fait venir les meilleures voix d’Italie ; ils se flattent de se soutenir malgré ses efforts et ceux de sa cabale ».

 À propos de l’Arianna, Burney écrit : « ses facultés d'invention et ses capacités à diversifier les accompagnements tout au long de cet opéra sont encore plus effervescents que dans tout autre drame antérieur depuis la dissolution de la Royal Academy of Music en 1728. » L’auditeur actuel rejoindra l’avis de Burney car « l’Arianna » continue de nous surprendre et fait preuve d’une inventivité musicale sans bornes. L’orchestration est tellement habile qu’il nous semble entendre bien plus d’instruments qu’elle n’en contient en réalité. 

« Adriana Mater » de Kaija Saariaho au Festival d’Opéra de Savonlinna en Finlande

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Un bonheur partagé ! Au sud-est de la Finlande, à Savonlinna, une petite ville au bord du lac Saimaa, le plus grand lac d’un pays qui en compte tant et tant. A l’occasion du presque centenaire Festival d’Opéra, dans la cour d’honneur (prudemment recouverte) du redoutable château d’Olavinlinna. Au milieu d’un public nombreux manifestement heureux de se retrouver là pour ses célébrations lyriques annuelles. Au programme du festival cette saison,  Lohengrin,  Nabucco,  Don Giovanni, La Fiancée vendue  et, la raison de ma présence là-bas, l’Adriana Mater  de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho (1952-2023).

Une œuvre créée à l’Opéra Bastille de Paris le 3 avril 2006, une œuvre plus que fraîchement accueillie à l’époque par une critique qui s’en prenait aussi bien au livret qu’à la partition. Et pourtant ! Voilà que cette même œuvre, dans sa production suédoise par le Norrlandsoperan, a suscité l’enthousiasme unanime.

Le livret ? Il est de l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, déjà l’auteur de celui de « L’Amour de loin », le premier opéra de Kaija Saariaho. Quelque part dans un pays en guerre (à la création, on pouvait y reconnaître les Balkans, mais les soubresauts de l’Histoire ne cessent hélas d’en actualiser les lieux), une jeune femme victime d’un viol se retrouve enceinte. Malgré les injonctions de sa sœur, elle garde l’enfant : « C’est mon fils, c’est à moi qu’il ressemblera ». Elle se réjouit de ces « deux cœurs qui battent en elle ». Mais elle est néanmoins taraudée par une terrible question : lui ressemblera-t-il ou ressemblera-t-il à son père, « sera-t-il Caïn ou Abel ? » Dix-sept ans plus tard, le fils retrouve son père, bien décidé à le tuer. Mais il découvre alors que ce père est devenu aveugle et ne peut se résoudre à l’exécuter. Il se désole de cette décision auprès de sa mère : « J’ai manqué de courage, je me suis enfui. Mère, pardonne-moi ! » Mais elle lui répond alors : « Cet homme méritait de mourir, mais tu ne méritais pas de le tuer… Si tu étais vraiment le fils de cet homme, tu l’aurais tué. J’ai enfin la réponse : le sang du meurtrier s’est apaisé en côtoyant le mien… Aujourd’hui, nous ne nous sommes pas vengés, Yonas. Mais nous nous sommes sauvés ».

11 accords pour 18 musiciens (enfin, 19) au Walden Festival

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Music for 18 Musicians jaillit du programme (diversifié comme la ville qui l’accueille et plus teinté jazz cette année) de la quatrième édition du Walden Festival, « klassiek sur l’herbe », au Parc Léopold de Bruxelles (et ses lieux alentours : la bibliothèque Solvay, l’Espace Senghor, le lycée Émile Jacqmain…), joliment éclairé des rayons d’un soleil qui roule des mécaniques pour évacuer les nuages lourds de la veille : en habitué de la pièce, Ictus est à la manœuvre, sous la direction artistique de Tom De Cock et Gerrit Nulens et acoquiné cette fois avec des musiciens du Brussels Philharmonic et des voix du Vlaams Radiokoor.

Achevée en mars 1976 pour un instrumentarium alors innovant dans l’œuvre de Steve Reich (violon, violoncelle, deux clarinettes / clarinettes basses, quatre voix féminines, quatre pianos, trois marimbas, deux xylophones et un métallophone), le morceau s’enroule autour de deux rythmes simultanés – la pulsation régulière (c’est la marque de fabrique du compositeur minimaliste américain) des pianos et des percussions, et la respiration humaine, propulsée par les voix et les vents – et se structure sur un cycle de onze accords, joués au début et à la fin et distendus chacun au sein d’une petite section de cinq minutes pour en former la mélodie pulsée – à la manière d’un organum de Pérotin le Grand, compositeur français du 12ème siècle et père fondateur de la musique polyphonique occidentale.

L’autre source marquante d’inspiration pour Reich, qui déborde d’ailleurs du cadre de Music for 18 Musicians, est le gamelan balinais : le métallophone, qui ne joue qu’une fois ses motifs, déclenche le mouvement vers la mesure suivante ; il indique le changement par un signal audible qui, en même temps, prend part à la musique.

Jouée partout dans le monde (je l’ai vue pour la première fois aux mains de l’Ensemble Modern et de Steve Reich, alors âgé de 74 ans, à la Cité de la Musique de Paris), enregistrée sur disque par de multiples interprètes, l’œuvre est devenue un tube de la musique répétitive – un courant né lors de la création en 1964, à laquelle Reich participe, de In C, l’étrange partition (une page, un nombre indéfini de musiciens) de Terry Riley.

La grande traversée : William Kentridge à La Luma d’Arles pour le Festival d’Aix-en-Provence

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Le Festival d’Aix-en-Provence est un festival d’opéra. « The Great Yes, The Great No » est qualifié d’« opéra de chambre ». 

En fait, il s’agit d’une œuvre composite typique de son concepteur, le génial touche-à-tout William Kentridge. Oui, il y a de la musique en direct et des chants, mais il y a tout le reste aussi, qui n’est pas simple appareil scénographique subordonné, mais ensemble d’éléments significatifs essentiels.

De quoi s’agit-il ? D’un fait réel : en mars 1941, pendant la seconde guerre mondiale donc, un cargo quitte Marseille pour la Martinique. A son bord notamment, s’exilant, le surréaliste André Breton, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, l’artiste cubain Wifredo Lam, le romancier communiste Victor Serge et l’autrice Anna Seghers.

Mais Kentridge a décidé d’inviter d’autres passagers à cette traversée pour fuir l’enfer. On reconnaîtra donc Suzanne et Aimé Césaire (dont on entendra pas mal de pages de son « Cahier d’un retour au pays natal »), les sœurs Nardal (fondatrices du mouvement anticolonialiste de la négritude), Léopold Sédar Senghor, Frantz Fanon, Joséphine Baker et Joséphine Bonaparte, Trotsky, et même Staline dans une brève apparition.

Voilà qui nous vaut de belles et intenses prises de parole. Propos politiques, artistiques, sociétaux, décoloniaux, philosophiques, poétiques se succèdent, juxtaposant, combinant les atmosphères, les évocations, les thématiques.

Elektra à Munich

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Après un Trouvère de Verdi extrêmement obscur, l’opéra de Bavière, dans le cadre de son Festival annuel, donne une reprise de l’exécution de 1997 aux couleurs fauves d’Elektra de Richard Strauss. Le metteur en scène Herbert Wernicke, qui conçut également l’éclairage  et les costumes, choisit d’illustrer par ce moyen la psychologie à vif de l’œuvre. C’est donc avec des jaunes, rouges et bleu plus sauvages les uns que les autres, et sous la lame d’un panneau s’ouvrant en diagonal, que le drame a lieu. 

Les vêtements ne sont pas moins éclatants que le décor. Salomé, habitée par la mort et tenant sa hache constamment en main, est toute de noire, debout sur son cercle blanc, quasi immuable comme une pierre tombal ; Chrysothemis, pleine de vie, elle, et souhaitant enfanter, évolue dans sa robe blanche : Chlytemnestre, aux rêves sanguins, ayant assassiné son premier mari, sort du fond écarlate sur un escalier de la même couleur,  dans sa parure rouge vif avec une cape brodée d’or .

Plus tard, l’ayant abandonnée, Electre s’en servira pour essayer de convaincre sa sœur de tuer leurs parents avec elle, et Oreste s’en drapera tel un empereur romain.

La scène voisine ainsi avec des tableaux d’art abstrait ou des Nicolas de Staël. Le manque de survitrage nonobstant est cependant regrettable. Le traitement que Richard Strauss inflige à la langue, rend la compréhension des dialogues malaisée, y compris pour un germanophones, et tous les spectateurs ne sont pas forcément germanophones de surcroît.

L’orchestre de l’opéra de Munich, sous la direction de Vladimir Jurowski est remarquable de pénétration, de force et de feu avec ses accents, ses aigus et pics acérés. Trop peut être même, mordant sur les chanteurs, et rendant l’exécution à la limite de la version de chef, il en fait presque perdre de vue la valeur des interprètes. 

C’est qu’ils sont remarquables également. Les personnages principaux, une belle cohésion les unit dans un esprit de troupe. Et que ce soit Elena Pankratova en Electre, qui donne à son timbre irisé une sécheresse de rasoirs, Vida Miknevičiūtė en Chrysothemis au chant non moins aigu mais plus mélodieux, ou Violeta Urmana en Clytemnestre, avec sa voix tendue de douleurs, les joutes entre la mère et la sœur avec cet abîme de désir assassin, qu’est Electre, révèlent bien la noirceur de l’opéra.

L’Oreste de Károly Szemerédi est sans doute le rôle masculin le plus réussi. Le désamour de Strauss pour les ténors exigent des interprètes d’une qualité extrême. Et il incarne un Oreste, à la voix ferme, grave et dure comme sa stature. Un Oreste à faire peur de sécheresse, comme sa sœur. 

L’ Olimpiade d’Antonio Vivaldi  dynamite le Théâtre des Champs-Élysées 

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La programmation d’une œuvre où les Jeux Olympiques servent de tremplin au livret d’opéra - au surplus  joyau des œuvres  de Vivaldi – est une idée bienvenue au moment où Paris accueille les épreuves sportives. Ces exploits physiques servent de point de départ  (Acte I ) à des échanges complexes dont l’amour,l’ amitié et la filiation sont les enjeux. Pendant les deux actes suivants, l’action rebondit, de quiproquos en malentendus amoureux, désespoir, meurtre, pardon et grâce. 

Centre névralgique du bel canto dans son âge d’or, cet opus du maître vénitien est porté par l’admirable livret du poète Métastase qui inspirera plus de 60 compositeurs.

Familiers du baroque qu’ils aiment et dont ils connaissent la grammaire par cœur, le metteur en scène Emmanuel Daumas et le directeur musical Christophe Spinosi à la tête de son ensemble Matheus (délectable entrée en matière des cordes) se sont tellement approprié les codes et la rhétorique belcantistes que la suppression des récitatifs, les déplacements et coupures de quelques airs, loin de déséquilibrer l’ensemble, libèrent une tension dramatique qui fonctionne à plein régime.

Dans ce « Drama per musica », les affects tragiques les plus extrêmes sont rehaussés par les contrastes. Le comique exalte ainsi le tragique à travers déplorations, airs de colère, de sommeil et nombreux « lamenti ».  

L’air d’Alcandro (Christian Senn), en tête à tête avec le violoncelle sur scène, introduit, par exemple, une soudaine intimité dont la délicatesse vient renforcer l’intensité.

Ailleurs, un  acrobate-danseur, justement applaudi aux saluts, rappelle la tradition des Tragédies  lyriques de Lully et Quinault qui comportaient toujours un ou plusieurs acrobates (souvent dans les scènes d’ Enfers, les rôles de démons se prêtant particulièrement bien aux extravagances). Sa chorégraphie aérienne enlace au ralenti la ligne de chant d’Aristea (élégante Caterina Piva) dans son air « Sta piangendo la tortorella ». Un pur moment de grâce.

A l’aise dans un invraisemblable costume d’athlète, la mezzo-soprano Marina Viotti (Megacle) incarne - avec quel panache !- l’hybridation qui lui est chère. Son personnage d’amant et d’ami, tour à tour noble, désespéré, humain s’impose d’emblée par la chaleur et l’exactitude d’une vocalité homogène au service de l’émotion.

Ensevelie dans un bric à brac lugubre, La Vestale sauvée par le chant à l’Opéra de Paris

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« Je suis venue parce que j’aime le morbide » confie une adolescente à l’entrée. Elle a dû être déçue. D’abord, parce que la musique altière où se love un chant large et spianato dégage une insolente énergie vitale. Ensuite, parce que sur le lieu même où fut emprisonné le marquis de Sade en 1785, la mise en scène manque paradoxalement d’ imagination.

Sans doute désemparée devant cet opéra romain-napoléonien, la metteur en scène Lydia Steier négligeant l’histoire de France au profit de la sienne - anglo-saxonne- , explique  avoir cherché des idées du côté de l’Iran puis des Mormons pour, finalement, se tourner vers une dystopie  américaine « La servante écarlate » qu’elle a épicée de  nazis, fascistes franquistes, pénitents cagoulés, soldats à kalachnikov.

Lorsque La Vestale, Tragédie lyrique en 3 actes de Gaspare Spontini sur un livret  d'Étienne de Jouy, parut sur la scène de l’Académie Impériale de Musique, le 15 décembre 1807, elle fut accueillie avec des transports d’enthousiasmes. Wagner l’admirait, Berlioz également. Elle resta en faveur tout le siècle. Maria Callas s’empara du rôle en 1954. Récemment, une version orchestrale rutilante dirigée par Christophe Rousset au Théâtre des Champs-Élysées a permis d’apprécier « sur pièce » une partition-charnière qui hésite entre Gluck et Chérubini, entre l’épure, l’émotion et le grandiose.