A L’Opéra

Sur les scènes d’opéra un peu partout en Europe.

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par carbon dating process in telugu

Beau, oui, tout simplement beau, dans ce que l’on entend et dans ce que l’on voit. Quel bel écrin, quel dispositif scénique adéquat ont imaginé Jetske Mijnssen, la metteure en scène, et Julia Katharina Berndt, la scénographe. Les grands espaces d’un somptueux hôtel particulier du XVIIIe siècle, lambris, bougies, fauteuils et bergères, service en porcelaine et personnel aussi efficace que discret. Un plateau tournant pour faciliter le jeu des entrées et sorties, des apparitions-disparitions. Les costumes d’Hannah Clark sont joliment d’époque.

Une histoire compliquée : Jupiter fait encore des siennes ! Sa proie, cette fois, la belle Calisto, si éprise de Diane. Le roi des dieux, conseillé par son âme damnée de Mercure, va donc recourir à une usurpation d’identité – un procédé habituel chez lui - pour abuser de la vierge amoureuse. Leur entourage est, lui aussi, habité par toutes sortes de pulsions irrésistibles : ceux qui aiment en vain, ceux qui veulent posséder, celle qui voudrait être aimée, ceux qui ourdissent ; les naïfs, les retors, les idéalistes, les fourbes. On se déguise, on cache ses sentiments, on complote, on menace. Des quiproquos en veux-tu en voilà. Du baroque vénitien quoi, dont on sait que Cavalli est un maître.

C’est une comédie, joliment enlevée, mais pas que. Il y a du Marivaux, mais aussi du Choderlos de Laclos. On badine, mais on n’hésite pas à menacer, couteaux à l’appui. 

Louise de Gustave Charpentier avec Elsa Dreisig

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Une prise de rôle : voilà une expression absolument bienvenue pour exprimer ce que nous avons vécu au spectacle de la  Louise  de Gustave Charpentier représentée au Théâtre de l’Archevêché à Aix-en-Provence.

D’ordinaire, cette expression signifie qu’un interprète « prend un rôle », le chante et le joue pour la première fois. Cette fois, il s’agit de la façon dont une interprète s’est emparée d’un rôle, l’a fait sien, s’est identifiée à lui, dans toutes ses réalités, qu’elles soient vocales ou scéniques.

Cette chanteuse, c’est Elsa Dreisig, littéralement devenue la Louise de Charpentier, dirigée par Giacomo Sagripanti et revisitée par Christof Loy. Quelle incarnation ! On ne l’oubliera pas. Comme d’ailleurs, on n’a pas oublié la Salomé, un tout autre personnage, qu’elle était en 2022 au même Festival.

Mais ce nécessaire coup de projecteur étant donné, reprenons les choses dans l’ordre. Louise est un opéra de Gustave Charpentier, créé en 1900 à l’Opéra-Comique de Paris, une œuvre qui résume sa postérité.

La jeune Louise travaille dans un atelier de couture ; elle vit encore chez ses parents. Une vie étouffante : elle est coincée entre l’affection accaparante de son père et l’agressivité jalouse de sa mère. Une vie sinistre. Mais voilà que surgit Julien, un jeune poète bohème extravagant. C’est le coup de foudre, et le déchirement entre le respect filial et l’amour. Louise finit par suivre Julien. Bonheur, mais… Sa mère vient lui annoncer que son père, désespéré de son départ, est profondément déprimé et très malade. Louise rentre à la maison. C’est l’enfer paternel et maternel conjugué. Elle s’en ira…

Une si longue agonie : Don Giovanni à Aix-en-Provence

par carbon dating process in telugu

Dans le livret et la partition de  Don Giovanni, c’est à « l’ultimo momento » que le séducteur, que le « grand méchant homme », serrant la main de la statue de ce Commandeur qu’il avait assassiné au début de l’œuvre et que, dernière provocation, il avait invité à dîner avec lui, est envoyé en enfer. Conclusion foudroyante du parcours prédateur de celui dont le catalogue des victimes s’élevait à au moins « mille e tre ». Extraordinaire point d’orgue, acmé d’un parcours qui n’a pas fini d’interpeller, conclusion grandiose d’une partition tout aussi grandiose.

Mais Robert Icke, le metteur en scène de cette production aixoise, a lu les choses autrement. Quand le rideau s’ouvre, avant même la première note, nous découvrons un homme âgé installé dans un environnement cossu. Sur une vieille platine, il écoute et réécoute les derniers instants de l’opéra de Mozart. Soudain, il porte la main à la poitrine, il se tord de douleur, il s’écroule ; il va mourir. Gros plan vidéo sur son œil, un œil qui voit, qui revoit plutôt. Y apparaît une galerie de femmes de tous types, des femmes fantomatiques.

Cet homme, ce serait à la fois le Commandeur et Don Giovanni, tous deux symboliques d’univers qui s’effondrent – celui d’une rigueur ancestrale, celui d’un défi absolu aux normes. Un « Don Giovanni » exactement crépusculaire, fin d’une époque.

L’œuvre va donc être en quelque sorte le parcours revécu de ses dernières séductions ratées par le fantôme de Don Giovanni– il est là, il passe, il revit, il assiste en témoin. Nous sommes donc sur le chemin fatal de l’inéluctable conclusion.

Concrètement, cela nous vaut, dans la seconde partie de la représentation, le spectacle d’un Don Giovanni perfusé, accroché à sa perche à perfusion, titubant, de plus en plus ensanglanté, mourant lentement dans une très très très longue agonie. 

Voilà qui déréalise : la lecture symbolique phagocyte le déroulement narratif explicite.

Voilà aussi qui finit par agacer, d’autant plus que la compréhension de cette lecture n’est pas immédiate, sauf si l’on a lu le « mode d’emploi » complaisamment exposé ici et là par le metteur en scène. Une façon de faire qui pose problème. Etre spectateur, ce n’est pas simplement retrouver ce qu’on nous a dit de retrouver, ce n’est pas résoudre une devinette ! Non, être spectateur, c’est le bonheur de découvrir par nous-mêmes en quoi le regard d'un metteur en scène révèle davantage une œuvre ou en renouvelle la perception. Mais, et c’est essentiel, sans que jamais cette « régénération » ne se fasse au détriment de l’écoute, plutôt essentielle, ne pensez-vous pas, à l’opéra. 

Tout cela pour dire que le travail de Robert Icke s’inscrit dans une longue lignée de visions dramaturgiques peut-être intéressantes dans un article ou lors d’un colloque, mais qui ne donnent pas vie à un opéra représenté, qui se heurtent même à lui régulièrement.

Il est alors dommage que l’on doive s’en référer à la fameuse phrase : « on peut toujours fermer les yeux ». Mais l’opéra, ce n’est pas, ce ne devrait pas être le « tape à l’œil » ; non, ce doit être « l’œil écoute », la sublime conjugaison de ce que j’entends et de ce que je vois.

Aller à l’essentiel :  The Story of Billy Budd, Sailor »,

par carbon dating process in telugu

Avec leur adaptation du Billy Budd de Benjamin Britten, Olivier Leith et Ted Huffman ont voulu aller à l’essentiel de l’œuvre. Un défi qu’ils relèvent brillamment dans le plus grand respect de cette œuvre.

On pourrait même aller jusqu’à écrire que, ce faisant, ils accomplissent en quelque sorte les intentions du compositeur : celui-ci crée d’abord un opéra en quatre actes (1951), inspiré d’un petit roman d’Herman Melville, qu’il réduit ensuite à deux actes en 1960 (version radiodiffusée, créée scéniquement en 1964).

Même dans cette version réduite, c’est une œuvre orchestralement assez monumentale. Avec son prologue, ses deux actes et son épilogue, elle dure plus ou moins deux heures trois-quarts. Et voilà que le duo Leith-Huffman nous en propose une version ramassée d’une heure trois-quarts. Tout est dit et bien dit. Une réussite.

Ils s’inscrivent ainsi dans la démarche d’un Peter Brook, avec ses « Tragédie de Carmen » et « Une Flûte enchantée ». Il s’agissait alors de se débarrasser de tout le fatras encombrant deux chefs-d’œuvre, les anecdotisant, les étouffant en quelque sorte. Il s’agissait d’en retrouver les structures et les réalités profondes, celles qui justifient leur pérennité, qui expliquent leurs interpellations perpétuées.

Le capitaine Edward Fairfax Vere, très âgé, revient sur un événement qui l’a marqué à jamais. C’était en 1797, il commandait alors le vaisseau L’Indomptable, engagé dans la lutte contre les révolutionnaires français. Parmi des marins recrutés de force, Billy Budd, jeune, fort et beau, généreux, très vite désireux de se faire sa place à bord. Voilà qui suscite la jalousie vengeresse du capitaine d’armes John Claggart. Il accuse Billy de préparer une mutinerie. Lors de la confrontation, Billy, ne pouvant contrôler un bégaiement qui le handicape régulièrement depuis toujours, ne peut faire valoir ses arguments et s’en prend violemment à son accusateur ; il le tue. Il sera pendu. Vere, qui appliqua alors la justice, est obsédé par son rôle dans cette affaire. 

A Lausanne, un Docteur Miracle haut en couleur

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Tous les deux ans, l’Opéra de Lausanne part en tournée pour constituer sa Route Lyrique qui, cette année, entre le 20 juin et le 10 juillet, fait halte dans douze localités des cantons de Vaud, du Jura, du Valais. Chaque spectacle est offert gratuitement, ce qui attire un public qui n’a pas les moyens ou l’habitude de fréquenter un théâtre lyrique. 

En cette année 2025 où est commémoré le 150e anniversaire de la création de Carmen, Claude Cortese, le nouveau directeur, reprend Le Docteur Miracle coproduit par les Opéras de Tours, de Rouen, du Théâtre du Châtelet et de la Fondation Bru Zane France. Écrite par un Bizet de 18 ans pour prendre part à un concours d’opéras-comiques organisé par Jacques Offenbach, cette opérette en un acte obtint le premier prix ex-aequo avec celle de Charles Lecocq et fut créée aux Bouffes-Parisiens le 9 avril 1857. Puis elle fut jouée onze fois avant de tomber dans l’oubli jusqu’à 1951 quand l’exhuma le Conservatoire de Paris. Sporadiquement elle refait surface de nos jours.

Le public se délecte de cette intrigue, grosse ficelle conçue par Léon Battu et Ludovic Halévy, nous montrant un soldat, Silvio, épris de Laurette, la fille du Podestat de Padoue, qui réussit à se faire engager dans sa maison comme cuisinier. Mais l’omelette qu’il sert est si indigeste que le maître de ces lieux se croit empoisonné. L’on fait venir un docteur (qui n’est autre que Silvio déguisé) qui accepte de le soigner à condition qu’il puisse épouser sa fille… Pierre Lebon qui conçoit la mise en scène, les décors et costumes en collaborant avec Bertrand Killy pour les lumières, s’en donne à cœur joie, car il joue lui-même l’assistant de ce Docteur Miracle qui prend à  parti le public pour expliquer la trame  s’inscrivant dans un décor qui n’est qu’un enchevêtrement  de passages coulissants, de trappes, de tiroirs s’amoncelant jusqu’à une plateforme en équilibre instable surmontée d’une large baie vitrée à rideaux tirés.  Les trois personnages auxquels s’ajoute Véronique, la seconde épouse du Podestat, revêtent le rouge criard de la pantomime dont l’assistant tire les ficelles avec une énergie qui ne connaît pas le moindre répit. 

Eros brave Thanatos dans la Rusalka au Liceu

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Le librettiste de Rusalka, Jaroslav Kvapil a composé ce riche texte à partir du conte d’Andersen sur la "Petite Sirène" et d'un autre de Frédéric de la Motte Fouqué, “Undine”. Depuis les Naïades et Néphiles grecques ou les sirènes de l’Odyssée homérique, les exemples de ces créatures féériques des flots ne manquent pas : Die Loreley de Liszt, la Schnegourochka de Rimski-Korsakov ou les Filles du Rhin du Rheingold wagnérien. Pouchkine aussi prendra sous sa plume ce thème, donnant lieu à une Undine perdue de Tchaïkovski après qu’un compositeur autrichien bien oublié, Ferdinand Kauer, ait présenté au Bolshoï de Saint-Pétersbourg une pièce intitulée  Das Donauweibchen, ouvrant ainsi la voie à la Rusalka

Un amalgame entre l’humain, à la morale peu fiable et l'irréel du monde des eaux, onirique et aux règles strictes et infaillibles, tracera la trame de cette étrange histoire. Les « rusalki » seraient éternelles et vivraient dans la joie et le froid sans connaître les passions humaines, ceux-ci connaissant les délices de l’amour charnel au péril de leur propre vie… Andersen écrivait : « la sirène n’a point de larmes, elle souffre dès lors bien plus... » 

On ne peut pas parler d’une trame dramatique particulièrement efficace : à certains moments on a l’impression que le librettiste cherche en vain la catharsis et la conclusion de l’histoire. Mais il n’y a aucun doute que Dvořák a été profondément inspiré par cette histoire évocatrice qui l’a poussé à écrire des pages d’une beauté sans limites, dont sa célèbre Invocation à la lune. Nonobstant, Rusalka reste un opéra assez peu joué : il fut représenté pour la première fois à la Monnaie en 2008, à Toulouse en 2022 ou à Liège en 2024. Ne parlons pas des autres opéras du même compositeur : Le Diable et Catherine, Dimitri, Jakobin ou Armida, son dernier ouvrage lyrique dont personne n’a jamais rien entendu ! Il est vrai aussi que, pendant la période soviétique, les censeurs apparatchiks trouvaient le récit de Rusalka absurde ! Pour l’ouverture de cette saison 24/25, le Théâtre San Carlo de Naples a invité aussi Asmik Grigorian comme Rusalka, mais dans une version scénique signée par Tcherniakov. Au Liceu, cet opéra fut créé en 1924 en alternance avec La fiancée vendue de Smetana, dans des mises en scène du librettiste Kvapil lui-même. Et repris ultérieurement en 1936, 1955 et 1963 pour un total de seulement dix-sept représentations…

La production dirigée scéniquement par Christof Loy a été présentée en collaboration avec l’opéra de Dresden, le Teatro Real et le Palau des Arts de Valence. Loy confronte ses personnages sur des questions d’identité, du désir inatteignable d’être aimés et, finalement, de deuil. Le parvis d’un vieux théâtre provincial servira de décor immuable à tout le discours, le monde aquatique n’étant suggéré que par les mouvements des acteurs et par un éclairage magique, signé par Bernd Purkrabek. C’est là un des points forts de ce travail scénique, repris ici par Johannes Stepanek : la pertinence de la direction d’acteurs et le soin apporté à régler des mouvements complexes, pratiquement chorégraphiés, sont saisissants. À tout moment, les acteurs sont crédibles, expressifs et élégants. Certes, des pointures comme Karita Mattila ou Asmik Grigorian impressionnent par leur aura magique mais… quel travail d’ensemble ! En parlant de Grigorian, sa performance d’actrice dépasse presque ses immenses qualités vocales : lorsqu’elle fait son entrée en danseuse, sur les pointes, on croirait d’abord qu’on a affaire à une doublure ! Non, c’est elle-même qui s’est soumise intensément aux disciplines de la danse classique pour préparer son rôle. Loy a imaginé une danseuse accidentée pour suggérer les cassures spirituelles de la naïade amoureuse du prince humain. Et, pendant presque tout le deuxième acte, privée de sa voix mais plus de ses jambes par l’incantation de la sorcière Ježibaba, elle reste absolument présente et émouvante. Confronter la qualité de sa voix à la beauté de son chant serait bien plus ardu que le jugement de Pâris. Plusieurs critiques ont parlé d’elle comme la Rusalka de la décennie. Pour ma part, seule l’ensorcelante Lucia Popp, dont je n'ai écouté sur le vif que la célèbre invocation lunaire, est parvenue à enregistrer dans ma mémoire des émotions indélébiles. Et c’était au siècle dernier ! A ses côtés, le célèbre ténor polonais Piotr Beczała campe un prince brillant et très engagé. Sa voix reste brillante et maîtrisée dans toute la tessiture. Même si certains sons prennent une légère coloration acidulée plutôt que solaire. Son langage corporel traduit aussi qu’il n’a plus l’âge idéal pour rendre son rôle pleinement crédible. Le théâtre est, hélas, cruel avec les emplois, même si Beczała a prouvé hier qu’il reste un des tout grands de sa génération en dépit des inexorables séductions des Parques… Une autre grande pointure de la soirée ce fut la basse grecque Aleksandros Stavrakis comme Vodnik, le génie des eaux. Une voix et un chanteur exceptionnels : il peut assurer l’extrême grave de la tessiture tout à fait confortablement, tout en se jouant des difficultés de l’aigu éclatant qui couronne sa prestation (un Sol4, loin au-dessus du registre habituel des basses). L’ensemble, en étant pleinement convaincant dans son rôle et entièrement complice de la Grigorian. Depuis bien longtemps, je n’avais pas entendu une voix de basse aussi splendide ! Ce sera le mezzo-soprano allemand Okka von der Damerau qu’incarnera la sorcière Ježibaba (la Baba Yaga de Moussorgski ou Stravinski). Elle a des ressources vocales et scéniques inépuisables ; déjà son physique est imposant et, si elle joue le rôle d’une sorcière en principe méchante ou monstrueuse, sa performance d’actrice est tellement subtile et empreinte de tendresse qu’elle nous rend sa Ježibaba presque sympathique et attachante. Le trio de sirènes est joué par Julietta Aleksanyan, Laura Fleur et Alyona Abramova, trois artistes superlatives, autant du point de vue scénique que vocal, rendant leurs grandes scènes vraiment délicieuses… Trois autres « comprimari » fantastiques complètent une distribution sans la moindre faille : Manel Esteve, une voix royale, chante Hajny, le garde forestier, Laura Orueta est délicieuse comme Kutchík, le garçon de cuisine, et son complice David Oller, Lovec, le chasseur, n’est pas en reste. Une vraie réussite ! La belle chorégraphie, signée par Klevis Elmazaj, apporte aussi des moments de magie ou de frénésie comme la bacchanale qui occupe une bonne partie du deuxième acte. 

Wozzeck de haut vol à Gand 

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Le Wozzeck d’Alban Berg célèbre cette année ses 100 ans ! Un siècle que ce pilier de la modernité ne cesse de nous fasciner par ses ruptures et ses radicalités. Malgré sa place centrale dans l'histoire de la musique, cet opéra n’est pas si souvent proposé au public, ainsi la dernière production dans notre royaume remontait à 2008 à La Monnaie.  C’est donc avec grand intérêt que l”on se rend à cette production d’Opera Ballet Vlaanderen qui sur le papier s'annonçait pour le mieux. 

Il faut commencer cette évocation par la réussite musicale portée par la fosse. Alejo Pérez, directeur musical de la maison officie au pupitre du  Symfonisch Orkest van Opera Ballet Vlaanderen. Sa direction est à la fois tranchante et dramatique, combinant ce qu’il faut de caractère analytique  pour scanner la matière orchestre et ce qui est attendu en matière d'ampleur et d‘impact. Sous la baguette du chef argentin, scherzo, passacaille, marche, largo, valse et autres formes musicales convoquées par Berg s'animent d'une force musicale qui chauffe à blanc les pupitres de la phalange. Si toute la représentation est portée par une force dramaturgique, le troisième acte est foncièrement tellurique. 

Pour la mise en scène, on est heureux de retrouver le Néerlandais Johan Simons. Ce dernier est tout sauf un stakhanoviste de la mise en scène d'opéra, et ses réalisations sont même plutôt rares et toujours de haut vol, apportant des regards neufs sur des oeuvre.  Johan Simons est avant tout un homme de théâtre qui sait tant diriger au mieux ses acteurs et scanner les profondeurs de l’âme des personnages. Wozzeck de Berg peut être le prétexte à tant de délires et d’excès mais avec Johan Simons, on plonge dans l’univers mental du personnage. Le postulat du metteur en scène est de « donner une traduction visuelle à l’espace mental de Wozzeck”. Bien sûr, le héros est dans une dimension parallèle, égaré, perdu dans cet univers de paroxysme de violences. Mais au fil de la représentation, on se questionne sur qui est le plus fou ? Le Docteur, en créature expressionniste totalement hallucinée ? Le Capitaine, sorte de monstre irascible mais si vulnérable ? Le Tambour major, comme un personnage de carnaval, tel un soldat de bois qui s’anime ? Dans ce panorama des figures inquiétantes, même l'idiot clownesque n'apparaît pas plus atteint que les autres. Dès lors, Marie se détache, trop humaine, tentant de survivre au milieu de ses relations exacerbées et marquées par la folie. On notera la présence d’enfants, tout au long de la représentation, spectateurs de la tragédie. Pas de rédemption, pas d’issues pour ces jeunes qui dans la scène de la taverne sont déjà en train de picoler aux côtés des adultes. Dès lors, la scène finale avec le chœur d’enfants n’en a que plus d’impact. 

L’île de Merlin ou Le Monde renversé : un opéra-comique inattendu de Gluck à l’Opéra Comique

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Alors que Faust triomphe sur la grande scène, l’Opéra Comique propose à la salle Bizet une rareté de Christoph Willibald Gluck : L’île de Merlin ou Le Monde renversé, un opéra-comique méconnu sur un livret français.

Fidèle à sa vocation patrimoniale, le Théâtre national de l’Opéra Comique aime remonter aux sources de son répertoire, notamment celles issues du théâtre de foire du XVIIIᵉ siècle. Cette saison, en collaboration avec les artistes de son Académie, il présente une relecture pétillante et contemporaine de L’île de Merlin ou Le Monde renversé, œuvre que Gluck adapta à Vienne. En 1753, Giacomo Durazzo, alors nouveau directeur des théâtres impériaux, entretient une correspondance nourrie avec Charles-Simon Favart. Sous son impulsion, Gluck revisite des livrets français à succès, en réécrivant leur musique. L’île de Merlin en un acte voit ainsi le jour, inspirée d’une pièce en prose et en vaudeville de Lesage et d’Orneval, jouée en 1718 à la Foire Saint-Laurent sur la musique de Gillier.

À cette époque, l’île représentait un espace de retraite utopique, propice à la satire sociale et philosophique. Loin du monde réel, elle permettait d’interroger les travers de la société européenne avec humour et distance. L’idée du « monde à l’envers » — où tout est inversé, joyeusement subverti — épouse les idées des Lumières et leur goût pour les mondes imaginaires.

Dans cette production, le livret de L’île de Merlin a été actualisé par Sébastien Lepotvin, qui en a modernisé les dialogues tout en conservant leur esprit. L’histoire commence lorsqu’une tempête fait échouer le bateau de Pierrot et Scapin sur l’île de leur ancien maître, Merlin. Ils y rencontrent Argentine et Diamantine, deux jeunes femmes séduisantes. Très vite, une galerie de personnages loufoques — un philosophe enthousiaste, une notaire zélée, une femme médecin, un chevalier poète, un procureur naïf — leur enseigne les règles de cette société où la violence est proscrite. Zerbin et Hanif, leurs rivaux, viennent pimenter la vie des deux protagonistes... sans coups échangés.

Una commedia per musica :  Le Nozze di Figaro à Liège

par carbon dating process in telugu

Quel bonheur de conclure une saison lyrique par un Mozart toujours aussi enchanteur, quel bonheur de s’abandonner aux péripéties d’une comédie dont les apparences de légèreté n’empêchent pas quelques réflexions bienvenues, quel bonheur que ces voix-là.

La comédie est, originellement, celle de Beaumarchais dont « Le Mariage de Figaro », créé en 1784, complétait son « Barbier de Séville », créé lui en 1775. Dans cette première pièce, Figaro, le factotum, l’homme à vraiment tout faire, s’opposant à la conjuration des barbons, favorisait les amours du Comte Almaviva et de la belle Rosine. A l’époque, c’est Giovanni Paisiello qui s’en empare et en fait un opéra créé le 6 septembre 1782 à Saint-Pétersbourg. Il faudra attendre le 20 février 1816 pour découvrir à Rome la version de Rossini, celle qui va s’imposer urbi et orbi.

Mozart, avec la collaboration, dont on sait l’efficacité « librettiste », de Lorenzo da Ponte, jette son dévolu sur le deuxième volet du diptyque qui, « Mariage » initialement, devient « Noces ». Au théâtre comme à l’opéra, à Paris comme à Vienne, la création ne fut pas facile dans la mesure où, avec l’effet multiplicateur de l’humour, l’oeuvre s’en prenait à certaines façons d’être et de faire de la noblesse. 

En effet, Monsieur le Comte s’est un peu fatigué de sa Comtesse de Rosine et le voilà qui aimerait batifoler avec Suzanne, la suivante de celle-ci… mais qui est surtout la promise de Figaro. Pour compliquer le jeu, on va faire intervenir un petit jeune homme au joli nom de Chérubin, désespérément amoureux tous azimuts, et qui est toujours là où il ne devrait pas être. Les barbons du « Barbier » s’en mêlent aussi, assoiffés de vengeance, sans oublier un jardinier ivre dès la fine pointe du jour. Cette « folle journée », c’est le sous-titre de l’œuvre, se conclura après de multiples imbroglios, quiproquos et retrouvailles inattendues (« ma mère, mon père » !). Voilà de quoi nourrir une belle mécanique comique. 

À Angers Nantes Opéra, une Flûte enchantée à Luna Park

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Avec son côté de conte moral et magique, le livret d’Emmanuel Schikaneder, auquel a peut-être collaboré Mozart, peut se prêter à toutes sortes de lectures, c’est ce qu’a si bien compris le metteur en scène Mathieu Bauer pour cette production très réjouissante de la Flûte enchantée (Die Zauberflöte) présentée par Angers Nantes Opéra. Très influencé par le cinéma américain, il nous propose une scénographie assez hollywoodienne, à mi chemin entre le cirque et la comédie musicale, dans une ambiance que ni Orson Welles, Stanley Donen ou Woody Allen n’aurait reniée.

Loin de s’éloigner de Mozart et de son librettiste, la mise en scène de Mathieu Bauer rejoint parfaitement au contraire l’esprit d’une oeuvre utopiste présentée comme un conte pour petits et grands, avec une musique sublime décrivant la variété infinie des comportements et des sentiments humains. Son travail n’est pas une transposition puisque les personnages, les situations, les lieux et l’époque sont universels et intemporels. Dès lors, l’ambiance de fête foraine peut tout suggérer entre le rêve et la réalité. 

Si les allusions racistes du livret, notamment celles du personnage trouble de Monostatos ont été effacées, les réflexions assez misogynes sont bien là, dénonçant le machisme ordinaire des conversations de bistrot. L’esprit maçonnique qui sous-tend tout l’opéra est très habilement représenté par cette confrérie dirigée par un Sarastro dont on ne sait s’il est le chef d’une compagnie de pompiers ou de sécurité interne dans cet improbable Luna Park situé dans notre mémoire quelque part entre Coney Island et Vienne, à moins qu’il s’agisse d’un service de nettoyage particulièrement soucieux de paix et d’humanité.