A L’Opéra

Sur les scènes d’opéra un peu partout en Europe.

Le Lac d’argent de Kurt Weill à l’Opéra de Nancy

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Trop n’est jamais assez ! Tel semble avoir été le mot d’ordre de cette production. Des décors pharaonesques (au sens propre du terme, nous nous retrouvons dans une immense salle égyptienne soutenue par d’immenses colonnes-statues inattendues), des décors d’un manoir british cosy avec ses lampadaires et gravures ad hoc, un décor Magritte qui semble s’ouvrir sur un ciel bleu parcouru par quelques nuages évanescents. Une immense table débordant de mets factices indifférents à toute diététique. Des costumes flashy, sans rien de pastel bien sûr dans leurs coloris superlatifs, aux coupes déjantées, égyptienne-terroriste-policière, le plastique y ayant sa juste place -à moins qu’une blouse d’hôpital bâillant comme et où il faut suffise. Les interprètes surjouent à qui mieux mieux, soulignant ad libitum leurs phrases, leur chant, leurs poses. 

Mais ce trop-là n’est-il pas indigeste ? Eh bien non ! C’était le risque pourtant. On aurait pu très vite prendre une distance navrée ou agacée face à un pareil déferlement. Eh bien non, dans la mesure où tout cela est cohérent dans son incohérence, mesuré dans sa démesure.

On n’oubliera pas ce que l’on a vu ! Et qui est dû à Ersan Mondtag, avec des costumes de Josa Marx et des lumières de Rainer Casper.

Mais de quoi s’agit-il ? De la mise en scène du Lac d’argent, du Der Silbersee, de Kurt Weill. Et donc d’un opéra créé en 1933, qui se distingue à la fois par ses intentions politiques antifascistes et l’originalité éclectique de sa partition. 

A Lausanne, une Cendrillon à demi réussie

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En cette mi-avril 2024, l’Opéra de Lausanne affiche pour quatre représentations Cendrillon, l’un des grands ouvrages de Massenet qui a connu une création triomphale à l’Opéra-Comique le 24 mai 1899, s’est maintenu au répertoire jusqu’à 1950 puis a connu une seconde jeunesse grâce à Frederica von Stade qui a enregistré l’oeuvre en 1978 avant d’incarner le rôle au Festival d’Ottawa et à Washington, San Francisco et Bruxelles. Depuis septembre 2006, Joyce DiDonato a repris le flambeau en triomphant à Santa Fe, Barcelone, Londres et New York. 

Pour l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié reprend la production que l’Opéra National de Lorraine avait présentée à Nancy en décembre 2019. Passons rapidement sur son affligeante laideur avec des décors de Paul Zoller présentant une façade de palais des boulevards et des salles Empire vides que creusent d’inutiles vidéo sans intérêt pour la trame, des costumes d’Axel Aust tout aussi indigents avec la malheureuse Fée qui n’a sauvé qu’un anorak délavé de ses fumeries de shit à Katmandou, flanquée d’esprits follets tout aussi barges poussant des caddies de supermarché, un pauvre Prince punk shooté rêvant de Michael Jackson, aussi emprunté dans ses entreprises amoureuses que l’infortunée Lucette/Cendrillon, contrainte d’arborer le noir des souillons de bénitier. Devant un tel salmigondis, la mise en scène de David Hermann se contente d’une mise en place des personnages et n’éveille qu’un regard las lorsque défilent les Filles de Noblesse, greluches dégingandées qui ont au moins le mérite de nous faire rire. L’on en dira autant de l’inénarrable Madame de la Haltière tentant d’engoncer ses formes opulentes dans un tailleur trop serré face à ses deux gourdes de filles, tout aussi grotesques. Que l’on est loin de la fantasmagorie féérique émanant du conte de Charles Perrault et de la dernière sentence du livret d’Henri Cain : « On a fait de son mieux pour vous faire envoler par les beaux pays bleus ! ».

Pelléas et Mélisande à Liège

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Pelléas et Mélisande : l’histoire d’un amour impossible, d’un amour interdit qui ne peut se conclure que par la mort des amants ? Une autre variation sur un thème qui parcourt notre littérature de Tristan et Iseut à « Love Story » d’Erich Segal, de Roméo et Juliette aux Colin et Chloé de « l’Ecume des Jours » de Boris Vian ? Oui et non. 

S’étant égaré en forêt un jour de chasse, Golaud découvre « une petite fille perdue », Mélisande, qui s’est enfuie on ne sait d’où, on ne sait de quoi. Il l’épouse et la ramène au château familial. Elle y rencontre Pelléas, le demi-frère de Golaud. Attirance irrésistible. Ces deux-là vont s’aimer d’un amour interdit. Ils en mourront.

Mais l’oeuvre -pièce de théâtre devenue opéra- est bien davantage qu’un enchaînement fatal de péripéties. Pour Maurice Maeterlinck, l’auteur de la pièce, « nous ne voyons que l’envers des choses ». Tout ce que nous disons, tout ce que nous vivons, n’est que l’apparence de réalités dissimulées, profondes ; tout cela n’est que « symboles ». Les mots ne valent que par ce qu’ils suggèrent, ce qu’ils laissent entendre, ce qu’ils évoquent, rappellent ou annoncent. Les silences qui les séparent sont significatifs. Les lieux, la nature, les lumières et les sons, eux aussi, sont des signes révélateurs. Tout est joué déjà, tout suit sa course, inexorablement.

Ce monde-là, qui ne vaut que par ce qui le sous-tend, Barbe & Doucet, les metteurs en scène, lui ont donné une magnifique apparence scénographique. Des arbres suspendus dont on découvre ces racines qui leur donnent vie et apparence ; de l’eau sur la scène, celle des fontaines, des eaux souterraines, si mystérieuses dans leur profondeur, omniprésentes dans l’œuvre. Des lumières (de Guy Simard), ombres et clartés, qui révèlent un peu et dissimulent beaucoup. Des parois qui s’ouvrent ou se referment, surgissement des personnages. 

Orgia, de Héctor Parra / Pasolini ou comment exorciser une violence insoutenable

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Pasolini avait conçu son « Orgia » comme un opéra théâtral, une tragédie en six épisodes écrite en vers et créée à Turin en1968 avec des interludes musicaux signés par Ennio Morricone. En ce temps-là, il s’était approché de plusieurs tragédies grecques et avait filmé la Callas dans son inoubliable « Medée » où la grande tragédienne impactera le public et les consciences sans chanter une seule note de musique. C’est aussi la période des films « Porcile » ou « Edipo re », tous deux de grande envergure dramatique.

J’imagine mal une petite confrérie de respectables « ladys » britanniques à l’heure du thé dévidant et filant, tout en causant sur les thèmes de « Orgia ». Il faut, sans doute, avoir été victime d’une violence sociale extrêmement accablante à propos de sa « différence » (lisons homosexualité) pour arriver à ce déferlement de désespoir qui inspire un texte de grande beauté, certes, mais dont la teneur prend littéralement le spectateur aux tripes car il va rechercher son inspiration dans le tréfond des passions humaines, qu’il dissèque au scalpel de manière clinique et sans la moindre concession ou pitié. Il fait mal, il nous gifle car il nous dit ce qu’on ne voudrait jamais entendre y compris le désir d’anéantir ses propres enfants, comme un rappel moderne de la Médée d’Euripide.

Le compositeur barcelonais Héctor Parra a fait pas mal d’efforts pour obtenir les droits sur ce texte et en faire le premier opéra chanté. Formé à Barcelone auprès de David Padrós et Carles Guinovart, en Grande Bretagne chez Brian Ferneyhough et Jonathan Harvey et en Suisse chez Michael Jarrel, sa trajectoire de compositeur est remarquable : de l’IRCAM à San Francisco, à Graz ou dans divers théâtres, il en est à son huitième opéra. En 2019, Les Bienveillantes sur un livret de Händl Klaus basé sur le roman éponyme de Jonathan Littell avait été créé à l’Opera des Flandres déjà en collaboration avec Bieito.

La Scala de Milan redécouvre La Rondine

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Pour la troisième fois seulement, la Scala de Milan propose La Rondine de Puccini dont l’Opéra de Monte-Carlo avait assuré la création le 27 mars 1917 en y affichant Gilda Dalla Rizza et Tito Schipa sous la direction de Gino Marinuzzi. Et c’est lui qui avait décidé de la présenter sur la scène milanaise le 24 janvier 1940 en n’en donnant que trois représentations avec Mafalda Favero et Giovanni Malipiero. Il faudra attendre cinquante-quatre ans pour la revoir en février 1994 lorsque Gianandrea Gavazzeni dirigera Denia Mazzola et Pietro Ballo dans la production de Nicolas Joël. 

En cette année 2024 où l’on commémore le centenaire de la mort de Giacomo Puccini, Riccardo Chailly se fait un point d’honneur de révéler cette Rondine selon l’édition critique de 2023 réalisée par Ditlev Rindom d’après une partition autographe antérieure à la première monégasque, retrouvée par Ricordi dans les archives de Torre del Lago. Par rapport à l’édition courante, elle comporte notamment 87 mesures supplémentaires et une instrumentation plus fournie au niveau percussion et timbales avec des trombones particulièrement mis en relief au troisième acte. Selon Riccardo Chailly interviewé par Elisabetta Fava pour la Rivista del Teatro, l’ouvrage trouve sa véritable dynamique par certaines danses telles que le quick step, le tango, la polka, le slow fox et la valse qui apparaît douze fois, occasionnant même un coup de timbale qui serait un hommage tant à Der Rosenkavalier qu’à Die Fledermaus. Le maestro prête aussi attention à la combinaison de timbres insolites que Puccini concocte en utilisant abondamment au deuxième acte la harpe, le célesta, le glockenspiel et même une basse de carillon non existante que les instrumentistes de la Scala tentent de suggérer. Du reste, il faut bien reconnaître que dans ce spectacle, l’orchestre est le principal protagoniste, quitte à couvrir parfois le plateau vocal qui doit en surpasser le mur sonore. Mais l’effet escompté de cette rutilance du canevas est payant, preuve en est donnée par les applaudissements délirants a scena aperta (à rideau ouvert) à la suite du concertato avec chœur « È il mio sogno che s’avvera! ».

A la Scala de Milan, Guillaume Tell dans… Metropolis  

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Depuis décembre 1988, donc depuis trente-six ans, la Scala de Milan n’a pas remis à l’affiche l’ultime chef-d’œuvre de Rossini, Guillaume Tell, représenté sept fois entre décembre 1836 et avril 1899, devenu plus rare entre mars 1930 et décembre 1988 avec quatre productions dont la dernière en date avait été mise en scène par Luca Ronconi et dirigée par Riccardo Muti. 

Et c’est sa fille, Chiara Muti, qui est appelée à réaliser cette nouvelle présentation qui se base, pour la première fois, sur la version originale française en quatre actes dans un théâtre qui s’est contenté frileusement des habituelles traductions italiennes pour Les Vêpres Siciliennes et Don Carlos au cours de ces derniers mois.

Pour Chiara Muti collaborant avec Alessandro Camera pour les décors, Ursula Patzak pour les costumes, Vincent Longuemare pour les lumières et Silvia Giordano pour la chorégraphie, Guillaume Tell est l’histoire d’un pur, d’un visionnaire qui n’admet pas le vice, d’un héros malgré lui qui veut préserver avant tout la morale et le respect de tout être humain. Qui sait pourquoi, elle le rapproche de Metropolis, le long métrage de Fritz Lang datant de 1927, en nous immergeant dans un univers carcéral d’une suffocante noirceur avec ce labyrinthe de murs et de niches modulables encerclant une multitude prostrée qu’à son habitude, Ursula Patzak se délecte à uniformiser en l’habillant de camisoles de bagnards et de blouses d’ouvrières d’usine. Comment imaginer que ces pauvres diables se munissent de tablettes d’ordinateur diffusant une lumière froide pour tenter d’aveugler ses tortionnaires ? Il est vrai que la violence est omniprésente, à commencer par les trois fiancées du premier acte, violentées puis violées par les sbires du pouvoir, le tableau de chasse de l’Acte II transformé en un massacre des innocents aboutissant à la scène charnière sur la grand place où Gessler se métamorphose en un démon paré de rouge, entouré par les incarnations des sept péchés capitaux. Cet hymne à la présomptueuse Babylone semant chaos, désordre et mort permet à la chorégraphe Silvia Giordano de mettre en branle une bacchanale dégénérée qui sombre dans le ridicule par ses outrances, au pied d’un gigantesque chêne de Herne oublié lors d’un Falstaff, arborant un suaire ensanglanté qui remplace le fameux chapeau de Gessler. Règle absurde que celle de s’incliner devant lui, alors que Tell doit accomplit un acte contre nature en faisant voler en éclats, sur la tête de son fils, cette pomme rouge qui a symbolisé la trahison de l’homme envers Dieu. Tandis que la tempête de l’acte IV démontre la lutte du bien contre le mal, la seconde flèche de l’arbalétrier fera crouler dans l’abîme la figure honnie du tyran et les murs de l’oppression. Finalement, après cinq heures de lassante obscurité, une triple arcade finit par s’élever vers les cintres, dégageant une toile de fond en cascade délavée qui permet aux réprouvés de se libérer des noires guenilles pour exhiber le blanc de la rédemption. Au rideau final de la première du 21 mars, une bordée de sifflets a accueilli vertement Chiara Muti et son team qui, dans leur for intérieur, ont dû imaginer qu’ils avaient écrit une page capitale dans l’histoire mouvementée de cet illustre théâtre.

Siegfried et Crépuscule des dieux d’un Ring d’anthologie à Berlin

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Revenir à Berlin pour assister aux deux derniers volets de l’intégrale du Ring au Staatsoper de Berlin près de dix-huit mois après avoir vu les deux premiers et être directement pris par la magie de la musique et l’ingénieuse (mais pas invariablement réussie, nous le verrons) mise en scène de Dmitri Tcherniakov, c’est là le signe non seulement de la magie que peut exercer le théâtre musical mais aussi du fait que nous avons affaire ici à une production ambitieuse et d’une qualité vocale et musicale peu commune. 

Le début de Siegfried nous plonge dans l’appartement qui fut celui qu’occupaient Hunding et Sieglinde dans La Walkyrie, et qui accueille maintenant le rusé Mime qui désespère de parvenir à forger à nouveau la mythique épée Nothung, et son pupille Siegfried qui prend ici l’apparence d’un adolescent capricieux et boudeur, invariablement vêtu d’un survêtement de sport bleu d’une célèbre marque aux trois bandes. Inutile de dire qu’il ne manifeste aucune gratitude envers son père nourricier (dont les motifs, nous le savons, ne sont pas entièrement désintéressés). Quand apparaît Wotan -sous la forme d’un Wanderer qui n’arbore bien sûr ni bandeau ni grand chapeau- il pénètre dans le coquet appartement dont nous parlions sous les traits d’un pensionné à casquette. (Il est d’ailleurs utile de rappeler ici que dans la conception de Tcherniakov, tous les héros prennent de l’âge à mesure que le cycle avance : Mime est passablement décati et Alberich apparaîtra bientôt en vieillard étique avançant péniblement à l’aide d’un cadre de marche.) C’est là qu’à lieu la fameuse Wissenswette où Mime et Wotan se posent réciproquement trois questions en mettant leur tête en jeu. Malheureusement, ce moment hautement dramatique prend ici la forme d’un petit conciliabule dont Tcherniakov n’estime pas utile de souligner la portée dramatique, même si la réponse à la troisième question posée par Wotan et à laquelle Mime est incapable de répondre est que c’est Siegfried qui forgera l’épée et fera périr son tuteur. Comme il n’y a pas de forge chez Mime, Siegfried rassemble d’abord ses jouets en tas sur le bureau de Mime et, avant de le démolir à coups de masse, y met le feu en allumant d’abord des ours en peluches dont les flammes se communiquent aux autres jouets. On ne sait pas trop comment, mais de cet étonnant autodafé  émergera la Nothung nouvellement forgée des débris de l’originale. Ici, Wotan -dont on sent qu’il est en train de piteusement perdre le contrôle de son royaume- apparaîtra brièvement derrière une vitre.

A La Monnaie, « Rivoluzione e Nostalgia » : Verdi x 16 = Prima la Musica !

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A La Monnaie, Krystian Lada, concepteur, scénographe, metteur en scène, et Carlo Goldstein, directeur musical, ont eu l’idée de refaire avec Verdi ce qu’Olivier Fredj et Francesco Lanzillotta avaient si bien réussi la saison dernière avec leurs Bastarda I et II : proposer une œuvre originale « inentendue » fondée sur les opéras « Tudor » de Gaetano Donizetti.

C’est ce qu’on appelle un « pasticcio » : regrouper toute une série d’airs issus de toute une série d’opéras et les combiner dans une intrigue nouvelle. Une façon de faire qui eut son moment de gloire à l’époque baroque italienne. 

Cette fois, les airs proviennent des seize premiers opéras de Giuseppe Verdi, ses « opéras de jeunesse ». Je les cite pour que vous fassiez le compte de ceux que vous avez entendus en tout ou en partie et de ceux dont vous connaissez juste le titre : Oberto conte di San Bonifacio, Un Giorno di regno, Nabucco, I Lombardi alla prima crociata, Ernani, I due Foscari, Giovanna d’Arco, Alzira, Attila, Macbeth, I masnadieri, Jérusalem, Il corsaro, La battaglia di Legnano, Luisa Miller, Stiffelio.

Ces airs, ils en ont fait les pièces d’un puzzle, d’un double puzzle en fait. 

Le premier intitulé « Rivoluzione ». Nous voilà en Italie en 1968, avec des jeunes gens engagés dans les soubresauts des luttes sociales et politiques d’alors -ça, c’est pour le sociétal- et dans des circonvolutions amoureuses -ça c’est pour le sentimental. On le sait en effet, le collectif se conjugue toujours avec l’individuel. La question posée : « Que restera-t-il de notre époque ? »

Le second, « Nostalgia », nous invite à les retrouver quarante plus tard. La question : « Que reste-t-il des idéaux d’antan ? »

C’est alors qu’on me permettra d’évoquer le fameux débat du Capriccio de Richard Strauss. A l'opéra, qui l’emporte : « prima la musica » ou « prima le parole » ? Pour moi, en ce qui concerne ce projet Rivoluzione e Nostalgia, c’est incontestablement la « musica » !

Quel bonheur d’entendre cette sélection d’airs et d’intermèdes musicaux, en quelque sorte libérés des tours et détours de leurs intrigues respectives. D’être ainsi confrontés à de déjà si grands moments verdiens. Verdi dépasse ce qui l’influence encore, il est déjà bien engagé sur le chemin de celui qu’il va devenir au cours de sa longue carrière.

Elektra à Baden-Baden

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Après Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre) de Lydie Steier l’année dernière, le Festival lyrique de Baden-Baden joue cette année Elektra avec une mise en scène de Philipp M. Krenn et de Philipp Stölzl. Qu’il en soit remercié. Tout le monde n’est pas parti, de la production dernière. Elza van den Heever et la Philharmonie de Berlin sous la baguette de Kirill Petrenko sont encore là. Qu’ils en soient remerciés également.

Sur une scène enclose sur elle-même telle un crâne, des blocs amovibles sculptent le décor à l’envi, montrant ainsi leurs lignes faisant songer à des lignes de textes, surtout avec celui du libretto projeté sur eux, ou des portées. Ils séparent, encaquent ou libèrent les personnages, tout en soulignant leurs enfermements psychologiques. Ils peuvent aussi transformer le plateau en escalier géant, illustrant la montée dans la psychose comme la descente dans la psyché. Le crime comme la vertu a ses degrés, disait Racine dans "Phèdre". Ces cubes rappellent ainsi que, comme dans Salomé, Elektra fut composé à l’époque de la naissance de la psychologie. Et comme Salomé, Elektra présentent des caractères au bord de la folie, se heurtant à celle du personnage féminin central.

Ces blocs constituent certes la plus grande force de cette mise en scène, avec leur plasticité scénique mais aussi une faiblesse, à cause des contraintes physique qu’ils imposent aux acteurs. Ainsi quand ils les enferment, ne leur permettent-ils que peu de mouvements et les forcent-ils à se plier en contraignant leur plexus. Cela se voit notamment dans la scène finale, durant laquelle Electre, à côté des cadavres de ses parents, et sous un de ces cubes, veut danser mais peut à peine bouger.

À l’Opéra de Rouen, une belle distribution dans le rare Tancrède de Rossini

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Le premier opera seria du jeune Rossini, Tancrède est si rare en production mise en scène qu’on se précipite dès qu’on l’annonce dans la programmation. C’est le cas, dans cette saison, de l’Opéra de Rouen Normandie qui a réalisé une belle distribution dans la version de Ferrare avec la fin tragique.

Réunir des chanteurs et chanteuses virtuoses et de surcroît comédien(ne)s qui satisfassent pleinement aux exigences de la partition est un véritable défi. La rareté de Tancredi que Rossini a composé dans sa jeunesse (il avait à peine 20 ans), inspiré de la tragédie homonyme de Voltaire (1760) tient-elle à cette difficulté ? L’Opéra de Rouen Normandie a récemment comblé le bonheur des lyricophiles dans une distribution qui a révélé de belles voix. La soirée de la première, le triomphe revient à Marina Monzó dans le rôle d’Aménaïde, l’amante de Tancrède condamnée à mort pour une trahison qu’elle n’a pas commise. La soprano espagnole, qui a fait ses débuts en 2016 dans La Somnambule à Bilbao, a été formée dans l’Académie Rossini de Pesaro et une habituée du festival de la même ville. Autant dire qu’elle a déjà un bagage solide du répertoire et c’est ce dont elle a fait preuve. Elle fait conjuguer le sens tragique et la fragilité par la souplesse alliée à la puissance, dans un timbre à la fois brillant et sombre. Colorature minutieuse, elle est émouvante dans son personnage malheureux. À ses côtés, la mezzo Teresa Iervolino taille un Tancrède à la hauteur du drame sans jamais oublier la délicatesse. Sa projection un peu en retrait par rapport aux autres personnages est largement compensée par l’investissement entier dans son rôle. L’autoritaire Argirio, le père d’Amenaïde, est exprimé par la surprojection du ténor Santiago Ballerini. Nous imaginions un timbre plus sombre et pesé pour ce rôle presque dictatorial, mais sa voix solaire et juvénile s’acclimate à son caractère, malgré quelques flottements sans pour autant déstabiliser l’ensemble. La couleur et l’ancrage profonds de la basse Giorgi Manoshvili conviennentt parfaitement à Orbazzano, à qui Argirio promet la main de sa fille. Enfin, Juliette May (révélation artiste lyrique aux dernières Victoires de la musique classique), bien que son apparition en Isaure soit limitée, fait preuve de beaux phrasés naturellement dessinés.