A Salzbourg, un Richard Strauss peu connu et un Gounod en Première

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Comme nouvelles productions scéniques le Festival de Salzbourg présentait – outre la création mondiale de “The exterminating angel” de Thomas Adès - « Die Liebe der Danae » de Richard Strauss et « Faust » de Charles Gounod.    

Die Liebe der Danae  est l’avant dernier opéra de Strauss. Bien que la partition fut achevée en juin 1940 la première n’a eu lieu qu’en 1952, après la mort du compositeur en 1949. Craignant que l’état de guerre ne soit pas propice pour présenter dans les meilleures conditions cet opéra qu’il considérait difficile à mettre en scène, Strauss voulait réserver la première pour la période après l’armistice. Finalement il a accepté qu’on donne Die Liebe der Danae au festival de Salzbourg de 1944 en honneur de son 80anniversaire . Mais après la répétition générale publique en août 1944, la situation politique était telle que Goebbels déclarait la « Guerre totale » et la suspension de tous les festivals. C’est donc finalement le 14 août 1952 que Clemens Krauss dirigea le Wiener Philharmoniker dans la première de l'opéra à Salzbourg.
Cette année c’était Franz Welser- Möst qui était à la tête du même orchestre pour la seconde production -depuis 1952- de cet opéra sur un livret de Joseph Gregor d’après une ébauche de Hugo von Hofmannsthal. Sous la direction de Franz Welser-Möst l’orchestre viennois a rendu un bel hommage à la partition chatoyante et haute en couleurs, dense, sensuelle avec ses grandes envolées lyriques straussiennes. L’orchestre a déployé un son riche et varié avec une foule de détails instrumentaux subtils et Welser-Möst a dirigé avec précision et une maîtrise parfaite des ensembles impressionnants et une sensibilité pour les moments plus intimes et tendres surtout au troisième acte.
La distribution vocale n’était pas tout à fait au même niveau. Si Krassimira Stoyanova est une interprète de style, qui sait comment on doit chanter Strauss, sa belle voix de soprano bien conduite manquait un peu d’ampleur et de moelleux surtout dans les deux premiers actes. Mais dans la grande scène de Danae au troisième elle était sublime. Malheureusement ses deux prétendants, Jupiter et Midas n’avaient pas le même niveau vocal. Jupiter demande une voix de Wotan et Tomasz Konieczny, est plus tôt un Alberich. Son Jupiter a belle allure et autorité mais ne parvient guère à charmer ou impressionner vocalement et est souvent couvert par l’orchestre. Gerhard Siegel chante Midas avec beaucoup d’expression mais sa voix de ténor de caractère limité manque de chaleur et de lyrisme. Physiquement il est plus crédible en simple muletier qu’en grand amoureux . Dommage car ils sont, avec Danae, les protagonistes qui portent l’œuvre. Ils sont entourés d’une dizaine de personnages secondaires qui étaient généralement bien défendus surtout Merkur par Norbert Ernst au ténor clair et acteur habile. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Pollux) Regine Hangler (Xanthe), Jennifer Johnston (Leda) et Maria Celeng (Semele) méritent aussi une mention, ainsi que le chœur Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor.
La mise en scène était confiée à Alvis Hermanis, aussi responsable du décor. Avec Juozas Statkevicius (costumes), Gleb Filshtinsky (lumières), Ineta Sipunova (videodesign) et Alla Sigalova le metteur en scène Letton -invité à la Monnaie pour Jenufa- a créé un monde de contes des mille et une nuits au lieu du monde de la Grèce antique imaginé par Hofmannsthal et Richard Strauss qui décrivait « Die Liebe der Danae comme « mein letztes Bekenntnis zu Griechenland «  (mon dernier aveu à la Grèce). Avec ses collaborateurs Hermanis a réalisé un spectacle visuel haut en couleurs (costumes et projections) et plein d’effets (Jupiter fait son entrée sur le dos d’un grand éléphant blanc !) qui souvent frise la profusion et même l’exagération. Comme dans sa mise en scène de Jenufa à Bruxelles il intègre des danseuses qui meublent et illustrent constamment l’action : des filles en or pour les rêves de richesses de Danae, des compagnes en niqab blanc dans l’humble demeure qu’elle partage avec Midas. Dans les dernières scènes de l’opéra, baignés dans une lumière blanche, Hermanis laisse heureusement Strauss dominer et l’opéra finit en beauté et émotion.

Faust de Gounod n’avait jamais été présenté au festival de Salzbourg mais envahissait cet été la grande scène du Grosses Festspielhaus dans une mise en scène, décors et costumes de Reinhard von der Thannen, chorégraphie de Giorgio Madia et lumières de Franck Evin. Chorégraphie ? Est ce qu’il y aurait le fameux ballet ? Vain espoir ! Pire, le metteur en scène a complètement éliminé la scène de la Nuit de Walpurgis. Par contre la scène dans la chambre de Marguerite avec son air « Il ne revient pas » et les couplets de Siebel, si souvent coupés, étaient gardés. La chorégraphie alors ?  Des mouvements acrobatiques et contorsions de sept danseurs qui en costumes de clowns se mêlent à l’action. Mêmes costumes et maquillage de clowns pour le chœur, bourgeois, matrones, jeunes filles, étudiants ou soldats sans distinction, qui se déplacent en rangs et chantent le chœur des soldats « Gloire immortelle de nos aïeux » en formant un carrousel de cirque. Tout cela se passe sur une scène, souvent nue, qui montre un univers blanc avec au fond un large motif géométrique (un œil ?). De temps en temps un mur, un lit, des chaises ou d’autres accessoires illustrent quelques scènes mais le texte du livret (sans doute considéré comme une moquerie de l’œuvre de Goethe) est royalement ignoré. Un exemple frappant : Marguerite chante son air des bijoux sans coffret, miroir ou bijoux mais trouve dans le placard ambulant de Méphisto une étole étincelante. Méphisto se promène dans l’action en grand seigneur, change constamment de costumes et Faust lui ressemble progressivement de plus en plus. Pourquoi à un certain moment Faust doit traîner une église miniature sur une scène vide dominée par une énorme Marguerite a sans doute du sens pour le metteur en scène qui apparemment se rappelle ses dessins d’enfants, mais pas pour un public qui veut comprendre et participer. Et si quelques images sont esthétiquement belles, elles ne suffisent pas à l’interprétation d’une œuvre. Est-ce peut-être pour cela que le mot « Rien » qui commence l’opéra est en grande lettres de néon visible quand s’ouvre et à la fin de l’opéra, se ferme le rideau ?
Tâche ardue donc pour les chanteurs pour donner du corps et du relief à leurs personnages, souvent plus tôt incommodés par la mise en scène et leur place et évolutions sur la grande scène ouverte où les voix se perdent dans le vide. Mais heureusement la distribution était généralement de haut niveau et les chanteurs se sont défendus vaillamment. Piotr Beczala a la voix, le style, la musicalité et la projection du texte pour faire un grand Faust. Son interprétation de « Salut ! demeure chaste et pure » était sans faute. Maria Agresta donnait une voix homogène et chaude, une belle ligne vocale et beaucoup d’expressivité à Marguerite. Ildar Abdrazakov campait un Méphisto élégant et plus tôt sympathique et faisait résonner sa souple voix de basse. Si Alexey Markov (Valentin) avec son baryton bien timbré avait des problèmes de style avec « Avant de quitter ces lieux », il était très convaincant dans sa scène de mort. Tara Erraught, pas aidée par la mise en scène, était un Siébel assez insignifiant mais Marie-Ange Todorovitch donnait du tempérament et une diction française exemplaire à Dame Marthe. Le Wagner de Paolo Rumetz était catastrophique mais le Philharmonia Chor Wien chantait bien. Alejo Pérez dirigeait le Wiener Philharmoniker dans une exécution musicale honorable, assez sage, qui sonnait bien mais avait peu de charme ou de vraie tension.
Erna Metdepenninghen
Salzburger Festspiele, les 12 et 14 août 2016

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