"A Prayer to the Dynamo" : une symphonie pour redonner à l'électricité sa magie

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Rien pour les amateurs de voitures à combustion : dans sa symphonie "A Prayer to the Dynamo", le lauréat islandais d'un Oscar Jóhann Jóhannsson mystifie l'électricité. Et construit une cathédrale de sons électriques et concrets.

Le début de tout univers sonore était autrefois un accord de mi majeur. Il s'est élevé lentement du néant d'une fosse d'orchestre, s'est mis à couler, tout s'est mis à couler, d'abord le Rhin, puis un immense récit. C'était le cas au début de l'Anneau du Nibelung.

Un siècle et demi plus tard, le début de tout univers sonore est un bourdonnement. Impossible à cerner harmoniquement, il gronde de manière sombre. Des surfaces de cordes s'y ajoutent, se superposent, des clarinettes scintillantes les survolent, des cors les appellent. L'espace s'élargit, une cathédrale de sons se forme. C'est à chaque fois le cas dans les quatre mouvements de "A Prayer to the Dynamo", la symphonie perdue de Jóhann Jóhannsson, révolutionnaire islandais de la musique de film (et lauréat d'un Oscar).

Jóhannsson voulait tourner un film en noir et blanc en Super 8 à Elliðaár. Les interfaces entre la foi et l'électronique, entre la technique et la religion ont toujours fasciné ce fils de bidouilleur informatique qui composait lui-même avec son IBM. Le film est resté inachevé jusqu'à la mort de Jóhannsson en 2018 à Berlin.

La prière musicale à la dynamo était prête, elle a été présentée pour la première fois en 2012 à Winipeg. Le label maison de Jóhannsson (et de Guðnadóttir), Deutsche Grammophon, vient de publier le premier enregistrement, réalisé dans la légendaire salle de concert Harpa de Reykjavík avec l'Iceland Symphony Orchestra sous la direction de Daníel Bjarnason.

Comme toujours, il s'agit de variations sur le silence, de récits sur la cause première de l'énergie, de tentatives de rendre audible l'inaudible, de transformer le silence, la sirène en espaces. Personne ne pouvait le faire comme Jóhann Jóhannsson, qui a fait de l'espace un son dans l'habit sonore qu'il a créé pour le drame extraterrestre de Denis Villeneuve "Arrival" et dans le biopic de James Marsh sur Stephen Hawking "Theory of Everything". La musique de film de Jóhannsson s'est toujours tenue à distance et libre de ce qui était concrètement traité dans le film, elle n'a jamais illustré acoustiquement ce que l'on voyait de toute façon, elle livre la chambre d'écho de l'histoire, elle a fourni un récit sous le récit.

"A Prayer to the Dynamo" marque l'évasion finale de Jóhannsson vers l'extérieur. L'œuvre en quatre mouvements est vaguement basée sur un livre du philosophe culturel (et antisémite) américain Henry Adams (1938 à 1918) qui écrivit en 1900, après sa visite à l'Exposition universelle de Paris, sur "la dynamo et la vierge", le lien entre la croyance en Dieu et la technique.

Ce qu'accomplit "A Prayer to the Dynamo", c'est la re-mystification de la technique, la récupération de la magie à l'intérieur du courant.
Bruckner avec les moyens du 21e siècle, en quelque sorte.

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