Giovanni Pierluigi da Palestrina, 430 ans

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Le compositeur italien de la Renaissance Giovanni Pierluigi da Palestrina est né à Palestrina (États pontificaux) près de Rome, vers 1525 et mort le  à Rome.

Ni l'année ni le jour exacts de la naissance de Pierluigi ne sont connus. L'acte en présence du notaire rédigé à la mort de la « Donna Iacobella », grand-mère paternelle de Giovanni, constitue la première mention faite du nom de l'enfant, ainsi que la première indication concernant les membres de la famille Pierluigi. Il est daté du  -sans doute Giovanni est-il né depuis peu- et dicte, en présence de sept témoins, le partage des biens de Iacobella entre ses quatre enfants Francesco, Sante, Nobilia et Lucrezia, sa bru Palma, ses sœurs Perna et Geronima, en enfin son petit-fils Giovanni. Parmi les biens légués figure le nombre important de quinze matelas, ce qui laisse supposer que Iacobella louait des chambres à des voyageurs et que les témoins n'étaient que de simples clients5. De ce partage, Giovanni reçoit dix pièces de vaisselle d'étain et un matelas ; Sante, le père de Giovanni, deux couvertures de lit ; sa bru Palma, enfin, hérite de sa cape de deuil. Francesco et Sante reçoivent également la maison de Palestrina, sous réserve de verser treize ducats à leur sœur Nobilia et vingt-sept à leur sœur Lucrezia. Les deux frères s'engagent également à tester en faveur de leurs sœurs et vice-versa. Le nom de l'époux de Iacobella, Pierluigi, fait désormais office de nom de famille et sera transmis comme tel aux fils, petit-fils et arrière-petits-fils.

En l'absence de documents, les spécialistes du musicien fixent la date de sa naissance aux environs de 1525. Le testament de Iacobella permet de déduire qu'il est l'aîné de la famille. Son enfance est imprégnée de la religion : les membres de sa famille font partie de confréries, alors nombreuses à Palestrina, et la proche capitale est tout juste sortie du Moyen Âge, où société et religion sont encore étroitement liées.

En , sa mère meurt : Giovanni a dix ou onze ans. Peut-être l'enfant se trouve-t-il encore à Pales6. Deux histoires existent quant à la façon dont on aurait découvert des capacités musicales à Giovanni : l'une prétend que le maître de chapelle de Sainte-Marie-Majeure l'aurait entendu chanter sur la route qu'il empruntait souvent pour aller de Palestrina à Rome, et aurait décidé de le former au chant, séduit par sa voix ; la seconde veut que lors d'un concert, le maître de chapelle aurait remarqué « la justesse avec laquelle l'enfant accompagn[ait] de la tête la cadence de la mélodie » et l'aurait alors fait venir à lui pour l'instruire « avec un tel profit que bientôt Giovanni devient un exemple pour tous ». Une troisième histoire, qui tient plus clairement de la légende, prétend qu'un riche Espagnol de passage à Palestrina aurait été frappé par les dons musicaux de Giovanni et aurait aussitôt alerté ses parents.

Il est possible que Giovanni ait eu l'occasion, à Palestrina, de se familiariser avec la musique, et qu'il s'y soit fait remarquer, bien que la présence de la liturgie musicale à la Cathédrale de Palestrina avait été réduite au strict minimum et que la présence d'un chœur professionnel semble exclue. Quoi qu'il en soit, un contrat établi dans la sacristie de Sainte-Marie-Majeure entre les représentants de l'église et le maître de chapelle Giacomo Coppola, daté du  (le pape Paul III règne depuis trois ans), stipule que le logement, la nourriture et l'habillement devront être assurés à six enfants chanteurs dont le second des six, inscrits sur la liste par ordre d'ancienneté, est « Ioannem de Pelestrina »7. Ni ce document ni ceux plus tardifs n'indiquent depuis quand Giovanni étudiait à l'école des petits choristes de l'église, mais il est possible qu'il y entra vers 1533, les enfants y étant généralement admis entre six et huit ans, jusqu'à l'âge de la mue qui survenait entre quatorze et seize ans. Dans les archives de Palestrina, publiées sous forme d'annales en 1795, de curieux mémoires d'un certain Pietroantonio Petrini indiquent : « En 1540 environ, un de nos concitoyens, répondant au nom de Giovanni Pierluigi, se rendit à Rome pour y étudier la musique ». Cette année-là, Giovanni devait avoir environ quinze ans et avoir déjà fini ses études à Sainte-Marie-Majeure.

La nature de l'enseignement dispensé à Sainte-Marie-Majeure est renseignée par un contrat passé entre le père d'un enfant nommé Pompeo, âgé de sept ou huit ans, et la basilique ; le père s'engage à laisser son enfant pendant six ans à la responsabilité du vicaire général et au service de la basilique, où il participera comme chaque enfant à la liturgie complète. Il y sera « bien traité », nourri, vêtu, chaussé et instruit en grammaire et en chant. L'enfant ne peut être repris sans reverser à l'église la totalité des dépenses relatives à son entretien et à son instruction. Les études musicales traitent du chant grégorien et polyphonique ainsi que des connaissances théoriques nécessaires. Giovanni est hébergé avec cinq autres enfants dans les dépendances de l'église où vit leur professeur de musique et maître de chapelle Giacomo Coppola (qui possède, pour une raison inconnue, le simple titre d'« assistant » des enfants), comme c'était habituellement le cas. Un jeune garçon qui savait chanter correctement et déchiffrer sa propre partie était directement admis dans le chœur de la chapelle, composé de basses, ténors contralti et soprani adultes, et participait également à la psalmodie grégorienne lors des fêtes solennelles, liée aux différentes parties de l'office chantées par les chanoines. Parmi les maîtres de Giovanni figurent probablement Firmin Lebel, qui dirigera plus tard la chapelle de Saint-Louis-des-Français.

À la suite de la mort du Vénitien Francesco Corner, seniore, le , le Romain Giovanni Maria Ciocchi del Monte est élu le 5 au siège de l'évêché. Grand amateur de musique et très attiré par les arts en général, il est peut-être à l'origine de la nomination officielle de Giovanni, le , au poste d'organiste de la Cathédrale Saint-Agapit et d'instructeur des chanoines, et éventuellement des enfants en remplacement d'un chanoine qui serait empêché. Avant l'arrivée de Giovanni Pierluigi, le vieux maître de chapelle Ludovico de Sonnino se contentait d'accompagner chaque jour les chanoines dans la psalmodie grégorienne de l'office divin, mais à son arrivée on pensa hausser le niveau des exécutions polyphoniques. En plus de sa charge d'enseignant, il doit faire « sonner l'orgue » les jours de fête solennelle et se charger quotidiennement de la partie chorale de la messe, des vêpres et des complies12. Son salaire est identique à celui des chanoines, qui, par ailleurs, lui jurent de leur loyauté.

En 1547, Giovanni se marie à une Prénestine nommée Lucrezia. Le contrat de mariage est signé le  par le père de Giovanni, Sante, et par les deux beaux-frères de Lucrezia, qui est orpheline. Il précise qu'elle apporte en dot cent florins, qui proviennent de l'héritage paternel. La cérémonie religieuse se fait à Saint-Agapit et l'échange des anneaux chez la mariée, où le mariage est officiellement prononcé. Le  suivant est dressée la liste de ses biens, second contrat sur lequel apparaît pour la première fois le diminutif familier de « Giannetto » inscrit par le notaire pour désigner Giovanni : ce diminutif sera présent tout au long de sa vie. Enfin, le troisième acte du contrat matrimonial, qui partage les biens entre les héritiers, est signé le . Lucrezia reçoit en héritage une petite entreprise de tannage, deux terrains exemptés d'hypothèques et d'impôts, ainsi qu'un pré et une vigne.

L'activité musicale de Giovanni Pierluigi dans la ville n'est pas connue avec exactitude. Probablement assumait-il régulièrement ses fonctions d'organiste car les livres de comptes signalent à la fin de  le remplacement d'un ou de plusieurs « souffleurs » par un nouveau préposé à qui sont assurés emploi et paiement réguliers.

Le , le Pape Paul III meurt à Rome à l'âge de quatre-vingt-un ans. L'élection du nouveau pape a lieu le  seulement : le conclave désigne, à la surprise générale, le cardinal romain Giovanni Maria del Monte, évêque de Palestrina. De nombreuses festivités sont organisées à l'annonce du nouveau pape, qui prend le nom de Jules III. En Jules III nomme Giovanni Pierluigi à la direction du chœur de la Chapelle Giulia de la Basilique Saint-Pierre, au Vatican. Ce poste est des plus importants puisqu'il vient juste après celui qui consiste à diriger le chœur pontifical, c'est-à-dire le chœur personnel du pape, qui relève de sa seule autorité contrairement à la chapelle Giulia qui est étroitement liée à la liturgie de Saint-Pierre. L'importance de cette chapelle n'a d'égales que celles de Sainte-Marie-Majeure et de Saint-Jean-de-Latran, possédant toutes trois un chœur formé d'adultes et de jeunes garçons, là où la chapelle pontificale possède néanmoins un chœur formé uniquement de chanteurs adultes parmi les meilleurs que l'Europe peut offrir.

La chapelle Giulia est devenue officiellement « chapelle musicale » sur décision du pape Jules II en 1513, après une première tentative infructueuse de Sixte IV de lancer dès 1480 une chapelle chorale composée d'une dizaine de chanteurs attachés à la basilique. L'objectif de ce statut officiel est d'échapper à l'hégémonie des chanteurs étrangers, par ailleurs trop coûteux, et de rechercher et éduquer des voix italiennes, faisant de la Chapelle Giulia un nouvel ensemble choral au service de la basilique et un réservoir de talents susceptible d'alimenter la chapelle pontificale. Depuis 1539, les professeurs prestigieux s'y succèdent : d'abord, Giacomo le Flamand, l'un des ténors du chœur, puis le célèbre Jacques Arcadelt (avant de passer rapidement à la chapelle pontificale) dont l'identité est attestée avec une quasi-certitude, le compositeur Rubino Mallapert, Johannes Baptista, le Bolonais Domenico Mario Ferrabosco, François Roussel (ou Rossello), qui estime grandement Pierluigi, puis à nouveau Rubino Mallapert, qui a été l'un de ses maîtres à Sainte-Marie-Majeure et auquel il succède directement.

Lorsque Giovanni Pierluigi arrive au Vatican, la charge de l'immense œuvre architecturale revient à Michel-Ange depuis 1547. Il semble que le pape connaisse bien ses talents car, contrairement à son prédécesseur, Giovanni Pierluigi devient directement maître de chapelle sans avoir la charge des enfants, et son nom apparaît en tête de liste des paiements, au dessus de celui du doyen des choristes. Pour assumer ses fonctions, il semble qu'il perçoive la somme de six écus par mois, et qu'il habite au gymnasium de la chapelle Giulia, une petite construction qui précède l'entrée de la basilique attribuée à la chapelle, à ses maîtres et à l'école des enfants par Paul III pour permettre les répétitions des chanteurs et les études des enfants.

La chapelle a connu des périodes de stabilité avec sept chanteurs professionnels en 1534, puis treize peu après, mais à l'arrivée de Pierluigi elle atteint rapidement entre treize et dix-neuf chanteurs. Peu de documents attestent du niveau des chanteurs qu'il a formés et dirigés. Les Français et les Espagnols et les Portugais y sont représentés. Parmi eux figurent les soprani Francisco Albucherche et Alessandro Mero, dit « La Viole », qui passe plus tard chez les ténors et y révèle une tessiture exceptionnelle de trois octaves. Ils sont tenus à l'exclusivité de la basilique dont ils dépendent, à l'exception plusieurs fois par an des manifestations musicales organisées par certaines confréries, très actives à Rome.

En dehors des activités à Saint-Pierre, la chapelle Giulia participe tout au long de l'année à de nombreuses célébrations ; le  à l'antique église de San Biagio alla Pagnotta, le  à l'église cardinalice de Santa Balbina (la plus ancienne de la chrétienté), à la basilique San Marco Evangelista al Campidoglio pour les Litanies « majeures » à l'occasion de Pâques (généralement le ), à San Biagio alla Pagnotta à l'occasion de la Fête-Dieu, le  à l'église Saint-Michel de Palazzillo, au Vatican, pour l'anniversaire de l'apparition de l'archange saint Michel dans la grotte du mont Gargano, le  à la chapelle de Saint-Jean-de-Spinelli pour le jour de la Saint-Jean-Baptiste, le  à l'église de Saint-Jacques-de-Septignano, le  de nouveau à Saint-Michel-de-Palazzillo pour fêter l'anniversaire de la construction de l'église dédiée à l'archange saint Michel, le  pour une messe à Sainte-Catherine-de-la-Roue, et enfin le  pour célébrer l'arrivée de l'hiver à l'église San Tommaso in Formis.

 

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