"Madama Butterfly" de Giacomo Puccini, 120 ans
Madame Butterfly est un opéra italien de Giacomo Puccini, sur un livret de Luigi Illica et de Giuseppe Giacosa, représenté pour la première fois le à la Scala de Milan. L'opéra est qualifié de « tragedia giapponese in due atti » (tragédie japonaise en deux actes) dans la partition autographe, mais entre 1906 et 2016, il a été représenté le plus souvent dans une version révisée en trois actes, en scindant l'acte II en deux parties plus courtes. L'œuvre est dédiée à Hélène de Monténégro, reine d'Italie.
La pièce à succès de Belasco est inspirée d'une histoire de l'écrivain John Luther Long (1898). L'histoire était parvenue à Long par le biais de sa sœur, Jennie Correll, qui avait habité entre 1892 et 1894 à Nagasaki, avec son mari missionnaire, ou Miss Butterfly, qui aurait été séduite par un officier américain, William B. Franklin, de l'USS Lancaster.
Francis Nielsen, régisseur de Covent Garden, qui organisait alors les répétitions de la création anglaise de Tosca, après avoir vu la pièce à Londres aurait demandé à Puccini de quitter Milan pour venir voir cette pièce qui, dans ses mains, pourrait devenir un opéra à succès. Il semble cependant que Puccini était déjà sur place pour pouvoir assister à la représentation de la première de Tosca à Londres. Le au Duke of York's Theatre de Londres, Puccini voit donc à nouveau la pièce et veut en acheter les droits sur-le-champ, bien qu'il ne parle pas anglais. Après d’âpres négociations, le contrat n'est signé que le et les librettistes Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, réunis pour la dernière fois, peuvent commencer à se mettre à l'œuvre.
En plein japonisme, le thème de la geisha épousant un Américain de passage rappelle bien sûr Madame Chrysanthème de Pierre Loti, qui a d’ailleurs été adapté à l’opéra en 1893 par André Messager. Mais la ressemblance reste superficielle, comme l'est également celle avec Iris (1898), le précédent opéra japonisant de Pietro Mascagni.
Alors que Madame Chrysanthème est une geisha cynique et vénale, qui compte son argent au départ du marin, la trop jeune Butterfly tombe passionnément amoureuse de Pinkerton, un officier de l'United States Navy, au point de sacrifier les conventions sociales et de renier sa famille et sa religion ancestrale. Et Pinkerton, cynique, raciste et lâche dans la version originale, éprouvera des remords tardifs à la mort de Butterfly, ce qui reste inhabituel pour les marins de passage.
Puccini commence la composition dès le 20 novembre 1900, alors qu'il a décidé que ce serait le sujet de son futur opéra, en écartant tout autre projet, et que le contrat avec Belasco n'est pas encore signé. Selon la correspondance échangée avec Illica, le livret, remanié en deux actes avec unité de lieu, est achevé le 29 novembre 1902 et Puccini commence à orchestrer le premier acte. « Le livret est fini [...] c'est une réussite splendide. Maintenant l'action se déroule sans heurt, logiquement, un vrai plaisir. Cet acte au consulat gâchait tout ! » Seul un grave accident de voiture le 25 février 1903, où Puccini est gravement touché et qui révèle un diabète, retardera un temps cette composition, avec une convalescence de huit mois en fauteuil roulant. La composition est terminée le .
Puccini enquête sur les us et coutumes japonais et s'imprègne de la musique et du rythme nippons. Il va même jusqu'à rencontrer la femme de l'ambassadeur du Japon en Italie ou encore la danseuse Sada Yacco. À ceux qui lui reprochent de n'avoir jamais visité le Japon, il réplique que « les drames humains sont universels » et il poursuit avec frénésie la recherche de documentation sur ce pays lointain, y compris par une photo de la rade de Nagasaki que lui fournit Giulio Ricordi ou par un kimono que lui procure Illica. Il écrit justement à ce dernier en 1902 : « Désormais, je suis embarqué au Japon et je ferai de mon mieux pour le restituer. » Demeurent de nombreuses imprécisions dans la transcription de la langue ou de mauvaises interprétations des usages japonais de l'ère Meiji, qui seront rectifiées dans une production japonaise de 2003.
Le titre de l'opéra initialement retenu, Butterfly tout court, devient le , par acte notarié, « Madama Butterfly », deux jours seulement avant la première.
Après les succès retentissants de La Bohème (1896) et de Tosca (1900), Puccini s’attendait à un accueil favorable. Mais la première représentation le à la Scala de Milan est un fiasco qui fera date, les sifflets et moqueries ayant commencé dès le lever de rideau. De minutieuses répétitions avaient pourtant été dirigées par l'éminent maestro Cleofonte Campanini, avec une distribution incluant la soprano Rosina Storchio dans le rôle de Cio-Cio-San, le ténor Giovanni Zenatello dans celui de Pinkerton, le baryton Giuseppe De Luca dans le rôle de Sharpless et la mezzo-soprano Giuseppina Gianonia dans celui de Suzuki. Sous la régie de Tito II Ricordi, la mise en scène avait été confiée à Adolfo Hohenstein, qui dessine l'affiche de 1904 illustrant cet article, les décors à Lucien Jusseaume, Vittorio Rota et Carlo Songa, les costumes à Giuseppe Palanti.
Malheureusement, selon l'éditeur Ricordi, « le spectacle donné par la salle semblait aussi bien organisé que celui présenté en scène puisqu'il commença en même temps. » On ne sait si la création fut sabotée par l'éditeur rival de Ricordi, Sonzogno ou par une claque soutenant Pietro Mascagni, « Et on peut comprendre même la première, injuste, réaction du public milanais qui ne vit dans cet opéra seulement qu'une réplique de La Bohème », avec moins de fraîcheur.
Le pire moment survient sans doute lorsque des chants d'oiseaux, simulés lors de l'intermezzo, donnent aux spectateurs l'idée d'imiter une basse-cour au grand complet. Puccini réagit et parle d'un « vrai lynchage ». Il défie l'audience : « Plus fort ! C'est moi qui ai raison ! Vous verrez bien ! C'est le plus grand opéra que j'aie jamais écrit. ». Effarés, Illica et Giacosa et son éditeur, la Casa Ricordi, exigent le retrait immédiat de l'opéra de l'affiche, après une seule représentation, afin de soumettre l'œuvre à une révision approfondie. Puccini doit rembourser sur-le-champ 20 000 lires de frais au théâtre milanais. Malgré le futur succès de l'œuvre, Puccini n'acceptera jamais que l'opéra soit joué à la Scala de son vivant.