"Roméo et Juliette" d’Hector Berlioz, 185 ans
Roméo et Juliette (op. 17 = H. 79) est une symphonie dramatique d'après la tragédie homonyme de Shakespeare. Le livret en vers a été écrit par Émile Deschamps d'après un canevas en prose dû au compositeur. L’œuvre a repoussé les limites des capacités de l'orchestre contemporain, en termes de couleur, de portée programmatique et de virtuosité individuelle.
L'oeuvre a été donnée pour la première fois au Conservatoire de Paris le 24 novembre 1839 avec, comme solistes, Alexis Dupont, Alizard et Mme Widemann (qui remplaçait Mme Rosine Stoltz).
L'œuvre est dédiée à Niccolò Paganini, qui avait fait remettre au compositeur français un chèque de 20.000 francs après avoir assisté en décembre 1838 à un concert au cours duquel Berlioz avait dirigé la Symphonie fantastique et Harold en Italie.
L'inspiration initiale vint d'une représentation de « Roméo et Juliette » (dans la version remaniée de David Garrick) au théâtre de l'Odéon, à Paris. Harriet Smithson, qui a aussi inspiré la Symphonie fantastique, faisait partie de la troupe. Dans ses « Mémoires », Berlioz décrit l'effet électrisant du drame.
La gamme de sentiments, d'émotions autant que les inventions poétiques et formelles que Berlioz trouve chez Shakespeare ont eu une forte influence sur sa musique, qui rend cette adaptation directe d'une de ses œuvres naturelle. En fait, il avait prévu la réalisation de Roméo et Juliette longtemps avant 1838 mais d'autres projets l'ont occupé dans l'intervalle. Émile Deschamps a indiqué avoir travaillé avec Berlioz sur la symphonie peu de temps après la saison 1827-1828 de l'Odéon. En effet il est probable que la genèse de Roméo et Juliette soit liée à la composition d'autres œuvres écrites avant son séjour pour le Prix de Rome en 1830-1832. Ainsi s'explique que Sardanapale, la cantate avec laquelle Berlioz obtint enfin le Prix de Rome en 1830, inclut des mélodies de la partie Roméo seul du second mouvement et de la Grande fête chez Capulet.
Il y a de nombreux indices qui donnent à penser que Berlioz concevait petit à petit un schéma pour Roméo et Juliette durant son séjour en Italie. En février 1831, dans un compte rendu de I Capuleti e i Montecchi de Bellini, il souligne comment il composerait une musique pour Roméo et Juliette : le combat d'épée, un concert pour l'amour, les piquantes bouffonneries de Mercutio, la terrible catastrophe, et le serment solennel des deux familles rivales. Un court passage de ce texte figurera d'ailleurs dans le livret de la symphonie.
Le dispositif scénique qu'il y emploie est un élargissement de celui que Berlioz avait testé dans Lélio : dans ce monodrame lyrique, l'orchestre était placé sur la scène derrière le rideau, tandis que l'acteur prenait place sur le proscenium. La musique, entendue de façon acousmatique, était celle qui résonnait dans l'imaginaire du personnage. Dans Roméo et Juliette, Berlioz conserve la même disposition (orchestre sur la scène, personnages, c'est-à-dire les Capulets, les Montaigus et les habitants de Vérone sur le proscenium). Il supprime le rideau et demande qu'on éteigne les feux de la rampe. Deux espaces sont ainsi organisés et tout l'enjeu de l'œuvre est d'unifier visuellement musique symphonique et jeu théâtral.
Berlioz veut évoquer le drame de Shakespeare, mais sans montrer les personnages éponymes : comme il le dit dans sa Préface, leur amour est trop "sublime" pour pouvoir être représenté par des comédiens ou des chanteurs. C'est aussi une manière de démontrer la puissance évocatrice de la musique symphonique, capable de faire exister des "personnages" de théâtre à part entière, sans jamais les montrer sur la scène. Ce faisant, l'œuvre peut aussi être considérée comme une réponse berliozienne et théâtrale à la 9e Symphonie de Beethoven, avec choeurs. Les pièces instrumentales y suivent le schéma d'une symphonie (allegro, mouvement lent, scherzo, finale), mais Berlioz insère des épisodes chantés puis dramatiques. Le final est écrit comme un finale d'opéra, à ceci près qu'il n'est pas prévu de mise en scène. Mais cette œuvre "multiple" inspire aussi les chorégraphes. Maurice Béjart compose une chorégraphie interprétée par les Ballets du XXe siècle, qui est donnée au Palais des Sports le 21 décembre 1966. Sasha Waltz, à son tour compose une mise en scène-ballet pour la représentation dirigée par Valery Gergiev àl'Opéra Bastille en 2007.