"Sinfonia" de Luciano Berio, 55 ans
Peu d’œuvres musicales de la période contemporaine (après 1945) auront fait couler autant d’encre que la Sinfonia de Luciano Berio, véritable labyrinthe de références ouvrant large la porte à l’exégèse.
Peu d’œuvres, surtout, auront forgé la célébrité d’un compositeur, jusque dans le malentendu (on aura pu, par exemple lire cette Sinfonia comme une célébration du collage anticipant la postmodernité musicale).
L’œuvre ne fait nullement référence à la forme symphonique ; littéral, son titre ne renvoie qu’à la volonté de faire sonner (-phonê) ensemble (sun-) plusieurs instruments (un orchestre et un groupe de huit voix solistes) et de combiner en une forme homogène une multitude de références musicales et textuelles.
Cette intention culmine dans le célébrissime mouvement central que la forme « en arche » -cinq mouvements d’envergures très différentes- met en exergue.
La Sinfonia est composée entre 1968 et 1969, à l’acmé d’une période marquée par l’essoufflement de l’orthodoxie sérielle et le besoin de régénérer le langage.
La pratique de la citation musicale apparaît alors chez certains compositeurs comme une sortie possible du sérialisme : une manière de rupture dans la rupture, capable de convoquer le passé sans s’égarer dans sa nostalgie.
L’heure est également celle du « pluralisme », un concept développé par le compositeur allemand Bernd Alois Zimmermann, auteur d’une œuvre strictement contemporaine de la Sinfonia et non moins emblématique : le Requiem pour un jeune poète. Il s’agit d’un vaste monument orchestral incorporant écriture sérielle, travail sur la voix proche du Hörspiel, collage de citations et improvisations de free jazz.
La Sinfonia marque un certain pas, prudent, en direction de ce pluralisme (un pas inattendu que ni Boulez ni Nono ne franchiront, par exemple) : à l’éclectisme des références littéraires, elle adjoint le jeu des citations musicales, auquel le compositeur se prête avec bonheur, sans toutefois y noyer l’autonomie de son œuvre.