Yannick Nézet-Séguin transforme le Metropolitan Opera de New York de fond en comble.

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De RONALD BLUM da La Presse (Canada)

Lorsque le chef d’orchestre de 48 ans se penche en avant pour tendre les bras et accentuer le vibrato ou s’étire haut pour un fortissimo lors d’un concert, les semelles rouges de ses Christian Louboutins en cuir verni deviennent visibles. Il quitte presque le sol, un contraste visuel avec les dernières années de son prédécesseur James Levine, qui dirigeait assis depuis 2001 et depuis un fauteuil roulant motorisé lors de ses cinq dernières saisons en raison de la maladie de Parkinson.

« J’ai toujours l’impression que nous sommes au début de notre voyage ensemble, a déclaré Yannick Nézet-Séguin lors d’une pause de répétition la semaine dernière. Je peux apprécier la progression de notre compréhension de la musique, de notre compréhension commune et de notre confiance, de sorte que je sens davantage que – je déteste dire l’orchestre de Yannick, parce que ce n’est pas ce dont il s’agit – je ne suis là que pour assurer la continuité. »

Terminant sa cinquième saison en tant que directeur musical, le Québécois conduira le Met pour sa première tournée internationale depuis 2011, donnant des concerts du 27 juin au 2 juillet à Paris, Londres et Baden-Baden, en Allemagne.

Yannick Nezet-Séguin a dirigé huit nouvelles productions et cinq reprises en tant que directeur musical, parmi les 23 mises en scène qu’il a dirigées depuis ses débuts en 2009.

Directeur musical de l’Orchestre de Philadelphie depuis 2012-2013 et de l’Orchestre Métropolitain de Montréal depuis 2000, Yannick Nézet-Séguin s’est associé au directeur général du Met, Peter Gelb, pour orienter le Met, âgé de 140 ans, vers une musique plus contemporaine dans le but de toucher un public plus large.

Pendant des années, le Met était synonyme de James Levine, sa principale force en tant que directeur musical ou artistique de 1976 à 2016, connu pour ses cheveux touffus et l’accent mis sur Verdi, Wagner et Mozart.

« À l’exception de l’Orchestre philharmonique de Vienne, les grands orchestres ont besoin de directeurs musicaux pour créer des forces unificatrices sur le plan artistique, a déclaré le directeur général du Met, Peter Gelb. Il s’agissait toujours du même groupe de musiciens merveilleux, mais ils étaient artistiquement sans gouvernail, sans avoir de directeur musical. »

Parmi un record du Met de 2552 représentations de 1971 à 2017, M. Levine n’a dirigé que deux opéras écrits après 1951 : Les Fantômes de Versailles (The Ghosts of Versailles) de John Corigliano (1991) et Gatsby le magnifique (The Great Gatsby) de John Harbison.

Yannick Nézet-Séguin en a dirigé cinq depuis qu’il est directeur musical, un assortiment varié de Dialogues des Carmélites de Poulenc, Champion et Comme un feu dévorant renfermé dans mes os (Fire Shut Up In My Bones) de Terence Blanchard, Eurydice de Matthew Aucoin et Les heures (The Hours) de Kevin Puts.

Le Québécois devrait diriger Dead Man Walking de Jake Heggie, Florence en Amazonie (Florencia en el Amazonas) de Daniel Catán la saison prochaine et Grounded de Jeanine Tesori en ouverture en 2024-25.

« Ce qui frappe, c’est la très large palette de ses goûts. Je pense que pendant longtemps, certainement dans les années Levine, il semblait parfois qu’il y avait une nouvelle pièce par décennie », a commenté Matthew Aucoin, qui en est au début de l’adaptation des Démons de Dostoïevski pour le Met.

« Ce qui est vraiment solide dans le type d’écosystème esthétique que Yannick entretient, c’est qu’il allège la pression de voir chaque pièce être un chef-d’œuvre singulier dans la même tradition. Et cela expose également tout à fait le public à une certaine idée de la véritable diversité de la musique qui existe. Il faut écrire les mauvais opéras pour arriver aux bons. Verdi le savait. »

Un nouveau visage moins conventionnel

Yannick Nézet-Séguin a donné un nouveau visage au Met avec sa coiffure et sa tenue vestimentaire. Il a teint ses cheveux courts en blond avant la saison 2019-2020 et a troqué l’uniforme de chef d’orchestre composé de smokings et de queue-de-pie pour des tenues créées par le service des costumes du Met : des chemises colorées et parfois fleuries, un peignoir de boxe pour Champion et une veste bleue de chef d’orchestre avec des ganses dorées pour La Bohème de Puccini.

« Il aime être un joueur qui joue pour la galerie, a déclaré M. Gelb, mais c’est plutôt une cerise sur le gâteau, car le plus important, c’est qu’il est profondément solide d’un point de vue musical. »

Initialement embauché par le Met en 2016 pour un mandat de directeur musical débutant en 2020, Yannick Nézet-Séguin a devancé son arrivée à 2018-19. Douze musiciens d’orchestre ont été embauchés depuis que Yannick Nézet-Séguin est devenu directeur musical désigné en 2017.

« Avec Jimmy, il s’asseyait simplement sur le podium, façonnait la musique et tout le monde venait à lui d’une manière ou d’une autre. Et c’était plus une communication par contact visuel, parfois un sourire ironique sur son visage, a mentionné Donald Palumbo, le chef de chœur du Met depuis 2007. Avec Yannick, vous sentez toujours qu’il y a un processus actif en cours avec lui essayant de tirer des choses du chœur et de l’orchestre. »

Yannick Nézet-Séguin a dirigé la version française originale de Don Carlos de Verdi, les premières représentations de Lohengrin de Wagner depuis 2006, et dirige en février le retour de La Force du Destin (La Forza del Destino) de Verdi.

En 2024-25, il dirigera une nouvelle mise en scène de Salomé de Strauss par Claus Guth, ainsi qu’une reprise de La Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten) et, dans les années suivantes, une nouvelle mise en scène de L’Anneau du Nibelung (Der Ring des Nibelungen) de Wagner, dont le metteur en scène n’a pas encore été choisi.

Il a dirigé un groupe de 143 personnes qui s’est rendu à Paris le week-end dernier et avait besoin de 76 valises d’équipement dans un cargo 747-400. Les concerts comprennent Heath (King Lear Sketches) d’Aucoin, dont la première a eu lieu au Carnegie Hall la semaine dernière. La nouvelle musique est devenue plus centrale qu’il ne l’avait imaginé.

« Après Fire, je suis allé voir Peter et j’ai dit, regardez, le public nous envoie un message ici », a relaté Yannick Nézet-Séguin. Nous devons prendre soin d’accueillir toutes les communautés dans notre salle et nous devons donc reprogrammer et penser : comment pouvons-nous nous appuyer sur ces communautés ? »

L’enthousiasme du directeur musical québécois stimule les compositeurs qui percevaient le Met comme un musée.

« Cette nouvelle approche de la programmation que le Met a entreprise est évidemment très excitante, pas seulement pour moi, mais pour tous les compositeurs du monde entier, qu’ils aient placé la musique contemporaine au centre de ce qu’ils font, a affirmé Kevin Puts. La première fois que l’orchestre joue la pièce, on sent son excitation. C’est vraiment important pour un compositeur de ressentir cet enthousiasme. »

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