Pour la période des fêtes, l’Opéra de Lausanne affiche pour la première fois un ouvrage insolite, A Midsummer Night’s Dream de Benjamin Britten. Heureuse initiative de Claude Cortese, le nouveau directeur de l’Opéra de Lausanne, qui convainc Laurent Pelly de venir en personne adapter sa production lilloise de mai 2022 aux dimensions exiguës du plateau lausannois.
Dans un cadre nocturne totalement ouvert, sous un fascinant jeu de lumières conçu par Michel Le Borgne, l’on devine les frimousses des elfes aiguillonnés par un nain Puck d’une stupéfiante agilité, alors que d’invisibles treuils propulsent dans les airs leur roi, Oberon, cherchant querelle à son épouse, Tytania, afin d’avoir à son service un jeune page indien qu’elle s’entête à lui refuser. A un deuxième niveau, se situent les deux couples d’amoureux Lysander-Hermia et Demetrius-Helena, arborant pyjama et nuisette et entrechoquant lits et matelas pour orchestrer leurs différents, surtout lorsque Puck confond les galants en prenant Lysander pour Demetrius et en appliquant sur les yeux du premier le suc d’une herbe magique qui le rendra fou amoureux d’Helena, la promise de son ami. Sur un troisième niveau, terre à terre, se juche la troupe des six artisans qui se sont mis en tête de jouer une tragi-comédie lors des noces de Theseus, duc d’Aquitaine, et de la belle Hippolyta. Mais l’un des leurs, Bottom, s’étant isolé du groupe, se verra coiffé par Puck d’une tête d’âne qui, à sa grande surprise, suscitera les élans passionnés de Tytania, condamnée par Oberon à s’éprendre du premier venu lorsqu’elle s’éveillera. Les sortilèges se dissiperont, la reine croira qu’elle a fait un cauchemar. Et Bottom, libéré de sa coiffe hirsute, rejoindra ses collègues pour ce morceau de roi que sera Pyramus and Thisby. Dans leur vêtement de nuit, sur les lits métalliques mis bout à bout, prennent place les deux couples réconciliés entourés du duc et de sa femme, qui se gaussent de cette irrésistible pantomime passant en revue les poncifs de l’opéra italien. Et Puck tirera le rideau sur cette fantasmagorie qui se dissout dans les profondeurs de la nuit.
Face à cette production captivante, la musique est à diapason égal. Car Guillaume Tourniaire qui avait dirigé les représentations lilloises connaît parfaitement cette partition et sait mettre en valeur le génie de l’orchestration. Il sollicite chaque pupitre de l’Orchestre de Chambre de Lausanne pour créer un univers sonore fascinant à partir des glissandi des cordes graves suscitant les visions oniriques, tandis que le célesta caractérise Oberon. Le tambour et la trompette dessinent le nain Puck, quand cuivres et bois s‘en donnent à cœur joie pour dépeindre les grotesques, avant de doubler les violons pour faire sourdre les tourments de la passion. Admirable, la prestation de la Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne préparée par Pierre-Louis Nanchen, qui est d’une précision rythmique ahurissante dans chaque intervention des elfes.
Créé en 2016 au Battle Festival (Battle, Angleterre), Push fait partie de ces œuvres fortes et émouvantes qui font écho à la réalité. L’opéra relate l’histoire vraie de Simon Gronowski, jeune déporté en route pour Auschwitz qui survécut grâce à sa mère, qui le poussa hors du train en 1943. Resté caché jusqu’au 8 mai 1945, la guerre lui prit tout : sa mère et sa sœur Ita, décédées dans les chambres à gaz d’Auschwitz, et son père, mort de désespoir en juin 1945.
Pourtant, à 87 ans, Simon Gronowski est aujourd’hui un homme optimiste qui croit en l’avenir. Courageusement, il décida d’écrire et de publier son histoire en 1990 (L’enfant du 20e convoi). C’est d’ailleurs grâce à cet acte de bravoure qu’il put rencontrer un des gardes d’Auschwitz de l’époque, à qui il a pardonné après tant d’années. C’est dans cette idée de compassion et d’ouverture pour un monde meilleur que Simon continue encore de partager son histoire.