Mots-clé : Pierre Bleuse.

Orgia d’Hector Parra à la Cité de la Musique

par

Il est indiqué « Placement libre » au parterre sur mon billet, ce vendredi soir. J’entre dans la grande salle de la Cité de la musique dans laquelle j’ai vécu depuis presque 30 ans les plus fortes expériences de musique de mon existence. …Pas de fauteuils… l’orchestre est au centre, on peut rester debout, ou s’asseoir par terre, un lit conjugal, une table, un grand tabouret, je réalise que je viens de faire moi-même irruption sur la scène, au milieu du décor, déjà la sensation d’être intrusif! 

Dès le prologue, le personnage masculin « l’Uomo »  (Leigh Melrose) vit sa mort par pendaison au dessus de nos têtes. L’inéluctable sous nos yeux va nous être narré rétrospectivement par les six scènes qui suivent. Le ton de la tragédie de l’intime est donné et la scène suivante nous montre un jeu sadomasochiste entre « l’Uomo »  et « la Donna »(Claudia Boyle), point de départ de ce processus destructeur d’un couple contaminé par une société fasciste (capitaliste?) 

En deux scènes, nous avons déjà été successivement spectateurs d’un suicide, et acteur d’un jeu malsain.

Telle est la volonté du librettiste, Calixto Bieito, qui est aussi le metteur en scène : contraindre le public, par sa proximité avec la scène, à une situation de voyeur. Et pour ceux qui sont au balcon, offrir le spectacle d’une masse humaine qui se dresse malgré elle sur la pointe des pieds autour du lit, afin de mieux voir les ébats du couple.  C’est cela, accepter le jeu de Pier Paolo Pasolini. Comme dans ses films, il ne se contente pas de nous montrer la nature violente des relations humaines, il nous la fait littéralement vivre dans notre corps de spectateur.

Selon Hervé Joubert-Laurencin, professeur d’esthétique et histoire du cinéma à l’université de Paris Nanterre,  Orgia est le premier de son "teatro di parole" né au milieu des années 1960, "théâtre de parole", ou "de mots", qu'on aurait tort de confondre avec quelque théâtre bourgeois que ce soit, tant ses monologues sont interminables et ses situations classiques traversées de soubassements obscènes à force de réalisme, notamment sexuel pour les actions et psychologique pour les dialogues : ici, pour les premiers, des pratiques sadomasochistes chez un couple banal, pour les seconds, toute une série d'interrogations sur le fait d'être différent dans une société normative  (la pièce illustre, selon Pasolini, le concept de "suicide par anomie" de Durkheim, selon lequel on peut être poussé à la mort par la pression normative de la société) et sur la réalité des langages non verbaux.