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Just Classik Festival à Troyes : la musique de chambre en partage

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Il y a huit ans, la violoniste Camille Vasseur et l’altiste Manuel Vioque-Judde lançaient à Troyes le Just Classik Festival, entièrement dédié à la musique de chambre. Ce qui n’était au départ qu’un week-end s’est transformé au fil des éditions en un rendez-vous de quinze jours, combinant concerts, actions pédagogiques et rencontres culturelles. Nous avons suivi les deux derniers « grands concerts ».

Un festival solidement enraciné dans son territoire

Le festival s’organise autour de plusieurs formats : les « Grands concerts » de musique de chambre, donnés en soirée le week-end ; « Aube’Session », qui associe la visite d’un lieu patrimonial à un concert ; les « Concert expresso », de courtes prestations dans des espaces culturels comme les musées ou la médiathèque ; ou encore « Découverte d’instrument », présentée par les musiciens eux-mêmes. À cela s’ajoutent des baby concerts, des masterclasses, des répétitions ouvertes, sans oublier « Just Talk classique », des rencontres où l’on discute musique confortablement installé dans un canapé. Et ce n’est pas tout : le festival investit aussi écoles, prisons, hôpitaux ou centres de primo-arrivants. Cette diversité de propositions donne à chacun la chance d’approcher la musique classique dans un cadre accueillant et sans intimidation, dans des environnements qui lui sont familiers. Les horaires, pensés pour commencer à 18h ou 19h30, rendent les soirées accessibles à tous, tout en laissant la nuit libre.

Un public curieux et fidèle

Ce positionnement particulier permet aussi aux musiciens d’oser des programmes ambitieux, parfois expérimentaux : les spectateurs se montrent aussi enthousiastes pour une œuvre rare et audacieuse que pour une pièce du grand répertoire. Après huit années d’inventivité, le pari est gagné : le public est nombreux, mêlant générations et profils variés, et l’ambiance dans la salle reste chaleureuse. Si le format actuel semble trouver un bel équilibre, les organisateurs réfléchissent déjà au 10e anniversaire, pour bâtir un programme toujours plus inventif.

Frank Dupree, musicien protéifome 

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Le pianiste et chef d'orchestre allemand Frank Dupree a remporté un International Classical Music Awards 2022 dans la catégorie « Assorted Programs » avec un CD de concertos et une symphonie de chambre de Nikolai Kapustin. Remy Franck, Président du Jury ICMA, s'est entretenu avec le musicien.

La musique de Kapustin combine le jazz et la musique classique. L'interprète doit être capable de reproduire ce mélange. Est-ce vraiment difficile ?

J'ai grandi comme pianiste classique et j'ai bénéficié d'une éducation pianistique vraiment classique. Grâce à mon professeur de batterie, que j'ai eu depuis tout petit, j'ai appris à connaître le jazz et aussi la musique africaine et latino-américaine. À l'adolescence, j'ai combiné les deux et j’ai joué beaucoup de jazz en plus de la musique classique, notamment Gershwin et Kapustin. Pour moi, Kapustin est le compositeur qui se situe exactement entre les deux. Bien sûr, tout est écrit dans sa musique. Mais ce n'est que si vous connaissez les éléments de base du jazz, le jeu libre, l'improvisation, que vous pouvez jouer sa musique comme il l'entendait. Le contenu est du jazz, même si la forme est classique. Kapustin est une fusion parfaite entre la musique classique et le jazz.

L'improvisation, qui était monnaie courante dans la musique classique, est aujourd’hui quelque peu passée de mode.

Oui, et c'est vraiment dommage. Bien sûr, c'est formidable de pouvoir tout jouer en suivant les notes, mais je trouve aussi agréable de jouer un morceau spontanément au piano, sans notes et sans s'être entraîné pendant des heures auparavant. Je le fais souvent pour moi-même, pour me mettre dans le bain ou entre deux pièces, pour me vider la tête. Et il m'arrive d'arranger le rappel après un concert de piano sous forme d'improvisation libre. Par exemple, je prends un morceau du Concerto pour piano de Schumann et j'improvise librement dessus. Je constate que le public réagit très fort à cela, car nous aimons tous cette spontanéité. Et je peux lui dire : Je ne l'ai jamais joué comme ça avant et je ne le jouerai plus jamais comme ça, c'était un instantané. C'est précieux dans un concert. En fait, Kapustin fait le contraire : il "compose" l'improvisation, et il le fait avec excellence. Je ne connais vraiment aucun compositeur, à part peut-être Beethoven, qui ait pu coucher l'improvisation sur papier aussi bien que lui.