Mots-clé : Simón Orfila

Un Elisir d’amore indémodable au Liceu

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C’était en 1983 lorsque Mario Gas, un acteur et metteur en scène de théâtre catalan très populaire, s’est vu proposer par le Festival de Peralada (Costa Brava) de signer scéniquement l’un des chefs d’œuvre de Gaetano Donizetti, production reprise peu après par l’opéra des Ramblas. Plus de quarante ans plus tard, cette proposition peut sembler surannée si l’on se réfère à un décor minimaliste, portrait de la laideur insupportable et prétentieuse des quartiers péri-urbains du fascisme mussolinien (qui rappelle autant l’Espagne de cette époque...) où Gas a voulu déplacer l’action originale, prévue par Scribe chez les campagnards illettrées du Poitou au début du XIXème siècle. Mais si on se réfère à la mise en scène, son travail n’a pas pris la moindre ride : c’est drôle, sautillant, empreint de nuances et de vie. Il faut dire que Leo Castaldi, un habitué des reprises au Liceu, est lui aussi un artiste très créatif et minutieux avec le jeu d’acteurs. Dans ce cas-ci, il devient difficile de discerner l’original de la copie… Il y a des moments uniques, comme ce chœur de clôture du premier acte où tous les artistes, disposés au premier plan en demi-cercle, font une performance chorégraphiée aussi simple qu’effective, mais c’est tout l’ensemble de la pièce qui est parsemé d’idées brillantes. Et cela fait ressortir très nettement le talent dramatique de Donizetti : ce rythme théâtral endiablé est peut-être encore plus organique et efficace que celui de Rossini et n’a pas souvent trouvé son pareil. Chaque scène trouve la musique qui fait le mieux ressortir les interactions ou les sentiments des personnages, le tout dans la joie et la légèreté, pour devenir quelques fois des icônes de notre histoire musicale comme cet archiconnu Una furtiva lagrima. La légende dit qu’il aurait écrit L’Elisir en deux semaines : c’est aussi possible que discutable car on sait à quel point les compositeurs recyclaient leur propre musique : Bellini, dans son air Qui la voce sia soave de I Puritani, reprend pratiquement textuellement la mélodie publiée préalablement avec accompagnement de piano sous le titre de La Ricordanza. Händel, Bach, Vivaldi, Haydn ou Mozart avaient fait de même. Mais parvenir à une telle logique dans le discours sur presque trois heures de spectacle, requiert une capacité et une vue d’ensemble absolument uniques.