Tristan et Isolde : triomphe de Thielemann et Gould à Bayreuth

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Comme nouvelle production le festival de Bayreuth présentait cette année « Tristan und Isolde » dirigé par Christian Thielemann, récemment nommé directeur musical du festival, et mis en scène par Katharina Wagner, l’arrière-petit-fille du compositeur, qui avec sa demi-soeur Eva Wagner-Pasquier est responsable de la gestion du festival. C’est pour la seconde fois que Katharina Wagner présente son travail à Bayreuth après « Die Meistersinger von Nürnberg » en 2007.

Heureusement moins surchargée que « Meistersinger » son interprétation de « Tristan und Isolde » n’était cependant pas plus convaincante. Pas étonnant que le grand triomphateur de la soirée fut Christian Thielemann qui, avec l’excellent orchestre du festival, nous a présenté un « Tristan » envoûtant d’une beauté sonore absolue, raffinée et pleine de couleurs avec un son transparent et fluide d’où se détachent parfois quelques violons qui semblent flotter dans l’espace mystérieux et sensuel. Mais toute la passion est là dans les tutti qui vous enveloppent et parfois même risquent de submerger les chanteurs. Mais en général Thielemann les soutient et guide d’une main souple et attentive. Il y a d’abord Stephen Gould qui chante Tristan d’une voix ample, au beau métal et avec une endurance remarquable. Peut-être pourrait-il ajouter ci-et-là quelques nuances mais en général son chant est fluide et le délire de Tristan au troisième acte est impressionnant. Isolde aurait originellement du être chantée par Eva-Maria Westbroek mais elle décida, il y a déjà quelques temps, qu’elle ne désirait plus aborder le rôle. Puis quelques semaines seulement avant la première Anja Kampe déclarait forfait et c’est Evelyn Herlitzius qui a pris la relève. Herlitzius reste une interprète remarquable et pleine d’engagement mais sa voix n’est pour le moment certainement pas idéale pour Isolde et son chant souvent presque hurlé. Pas étonnant que la fureur d’Isolde lui réussisse mieux que son « Liebestod ». De plus, il est très difficile de comprendre ce qu’elle chante. Christa Mayer était une Brangäne très humaine, soucieuse et peureuse à la voix chaude et au chant expressif et Iain Paterson un Kurwenal fidèle et loyal au baryton de bronze. Georg Zeppenfeld donnait autorité et cruauté (grâce à Katharina) au Roi Marke avec une voix ferme et noble. Bonne prestation aussi de Raimund Nolte (Melot) et des chanteurs des rôles secondaires.
Katharina Wagner a déclaré qu’elle voyait « Tristan und Isolde » comme une action de deux personnes dont la réalité n’a ni perspective ni solution. Ils sont conscients de leur dilemme et en acceptent les conséquences. Ils n’ont pas besoin d’un filtre et en effet Katharina Wagner nous montre, dès le début, que Tristan et Isolde s’aiment et s’embrassent passionnément et, de ce fait, déversent le filtre sans même y mettre les lèvres. Cela se passe dans un décor (Frank Philipp Schlössmann et Matthias Lippert) inspiré des œuvres de Piranesi, une construction mouvante d’escaliers qu’on monte et descend sans réelle interaction. Au deuxième acte Isolde et Brangäne et puis Tristan et Kurwenal sont jetés dans une sorte de chambre de torture, surveillés par les hommes de Marke et le roi lui-même qui les suivent avec des phares. Tristan et Isolde se réfugient d’abord sous une tente improvisée, illuminée par de petites étoiles pendant que Kurwenal essaie vainement de grimper les murs et Brangäne se cache dans le pénombre. Tristan et Isolde commencent « O sink hernieder Nacht » les dos tournés au public et puis sont entourés d’une cage de métal. Finalement Tristan, les yeux bandés, est poignardé dans le dos par Melot pendant que Marke entraîne Isolde. Le Roi Marke a clairement l’intention de clamer Isolde comme étant son épouse car à la fin de l’opéra il lui laisse bien dire adieux à Tristan en chantant « Mild und leise » mais l’entraine de nouveau, laissant Tristan incliné sur une sorte de chaise longue où les hommes de Marke l’ont disposé. Au commencement de l’acte, Tristan, couché par terre, est entouré de Kurwenal et quelques fidèles (qui ont déjà préparé une croix et des fleurs pour sa dépouille mortelle) assis dans un coin de la scène vide. Pendant son délire, Tristan voit apparaître Isolde sous différentes formes (plusieurs figures suspendues dans des pyramides illuminées), un procédé pas vraiment réussi. Finalement, on peut dire que la deuxième mise en scène de Katharina Wagner à Bayreuth s’est heureusement concentrée autour d’un thème en évitant la surabondance d’idées, souvent saugrenues, qu’elle avait infligée aux «  Meistersinger » . Mais ce n’est vraiment une réussite. La production sera reprise l’année prochaine mais avec Petra Lang en Isolde.
Erna Metdepenninghen
Bayreuth, le 23 août 2015

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