Le génie au féminin

par

Fanny HENSEL (1805-1847)
28 mélodies sur des poèmes de Goethe
Tobias BERNDT (baryton), Alexander FLEISCHER (piano)
2015-DDD- 64'44- présentation en allemand et anglais- textes en allemand-chanté en allemand-VKJK 1509

Passons vite sur une présentation et une pochette ridicules pour nous enchanter de l'art de Frau Hensel sur laquelle on aurait aimé en savoir plus. Née à Hambourg (le 14 novembre 1805, quinze jours avant Austerlitz!) morte à Berlin (le 14 mai 1847), elle fut une merveilleuse artiste à l'instar de son frère (Félix Mendelssohn!) et qui, à Berlin, organisait presque chaque semaine ces fameux Sonntagsmusiken (concerts du dimanche) très fréquentés et où elle produisait nombre d’œuvres de son frère, de ses ami(e)s, d'elle-même (plus de 400 pièces) relevant de tous les genres – ou presque : si elle compose un oratorio, elle dédaigne l'opéra mais, pour la voix, nous laisse quelques 60 mélodies dont un tiers seulement a été imprimé.
Fanny Hensel (Hensel était le nom de son mari, peintre) dont la grâce se prête parfois à d'imperceptibles facilités littéraires ou stylistique (exquis effets d'échos imitatifs du cor dans « Jägers Abendlied »!) se révèle dans ces 28 poèmes de Goethe regroupés ici, comme un auteur de Lieder de premier ordre. Remarquablement écrits, ils évoquent fugitivement au détour d'un thème, d'une modulation, aussi bien l'univers de Schubert ( « Der Fischer »), que celui de son célèbre frère Félix ou parfois celui de Schumann (« Neue Liebe, neues Leben »). Les deux versions d'« Erster Verlust » composées à trois ans d'intervalle, montrent un approfondissement des contrastes, un élan, une véhémence plus affirmés tandis qu’apparaît une dynamique cyclique déjà en germe dans le choix fréquent de répétitions d'un ou plusieurs vers. Ainsi, « Traur'ich um's verlorne Glück » est répété trois fois dans la seconde version en une interrogation dramatique conclue par une petite phrase pianistique. C'est que le piano et la voix participent indissolublement au charme - comme un couple de danseurs, l'élan de l'un relançant celui de l'autre. L'ornementation d'une syllabe (« Sonne » ) succédant à une transition cascadante toute emperlée au piano (« Gegenwart »), la versatilité des humeurs - de l'héroïsme passant à la contemplation- se fondent en un geste musical toujours fluide, allusif, jamais redondant. En dépit de leur propension au narcissisme, les deux interprètes d'élite du présent enregistrement se coulent dans ce répertoire avec une simplicité expressive, une élégance du phrasé et une science de l'art du Lied tout simplement admirables. Leurs moyens naturels – timbre rond, chaud, diction exceptionnelle, longueur du souffle, intelligence mélodique de l'un, fluidité, présence, réactivité de l'autre- sans compter une technique totalement dominée mise en valeur par une prise de son précise, naturelle et chaleureuse, sont mis au service d'une musicienne de génie qu'ils aiment et nous font aimer.
Bénédicte Palaux Simonnet

Son 10 - Livret 3- Répertoire 10 – Interprétation 10

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