Un florilège des mélodies de Roger Quilter

par

Roger QUILTER (1877-1953) : Three Pastoral Songs ; From « The Arnold Book of old Songs ». Charlotte de Rothschild, soprano ; Nathan Vale, ténor ; Adrian Farmer, piano. 2020. Livret en anglais. 64.37. Nimbus NI 5983.

Infatigable Charlotte de Rothschild ! Cette descendante de l’illustre famille a passé son enfance dans les jardins Exbury, dans le Hampshire, lieu appartenant à la branche anglaise de la lignée. Cet espace forestier, considéré comme l’un des plus beaux du Royaume-Uni, est célèbre par ses rhododendrons, ses azalées et ses camélias. Charlotte de Rothschild a été honorée dans ce lieu rustique par un rhododendron (qui signifie en grec « arbre à roses ») qui porte désormais son nom. Elle a appris le chant au Mozarteum de Salzbourg et au Royal College de Music de Londres. Elle s’est spécialisée dans les récitals qu’elle partage la plupart du temps avec son partenaire Adrian Farmer au piano. Parmi les CD gravés, on trouve Schumann ou Fauré, mais aussi un grand nombre de mélodies du Japon, où elle est très célèbre. Elle s’est penchée sur des compositeurs anglais, comme Cyril Scot, ou moins fréquentés, comme Miriam Hyde, Gary Higginson ou Norman Peterkin, ainsi que sur des œuvres composées par des membres de la famille Rothschild. Pour Nimbus, elle vient de signer un troisième volume de mélodies de Roger Quilter ; dans les deux premiers, on trouvait des airs inspirés par des poèmes de William Blake ou de William Shakespeare.

 

Né à Brighton en 1877 dans une famille aisée (son père était agent de change, mais aussi un homme d’affaires habile), Roger Quilter a bénéficié tout au long de son existence de cette situation privilégiée. Souvent malade, il a aussi vécu les affres de son homosexualité dans un monde où celle-ci était considérée comme illégale ; selon certaines sources, il aurait même été victime de chantage. C’est en dilettante que Quilter a abordé la musique, après des études au collège d’Eton, puis en Allemagne, à Francfort, auprès d’Iwan Knorr, célèbre pédagogue qui compta aussi parmi ses élèves Ernest Bloch ou Hans Pfitzner, ainsi que Cyril Scot ou Percy Grainger. Quilter a laissé un nombre limité de partitions, dont une musique de scène sur As You Like It de Shakespeare, un opéra léger, une œuvre pour solistes, chœur et orchestre et un grand nombre de mélodies. C’est parmi là que Charlotte de Rothschild a puisé pour composer un éventail représentatif qui, au bout des trois CD Nimbus signalés, donne accès à une petite centaines de compositions, ce qui semble correspondre aux deux tiers de la production de Quilter dans le domaine. 

 

Le CD qui forme le troisième volume est un panorama qui s’étend sur une cinquantaine d’années, de 1897 à 1952. Il montre la diversité d’un créateur qui se révèle tour à tour, comme le dit avec justesse la notice très complète de Valérie Langfield, auteure d’une biographie de Quilter, « légère, exubérante, éphémère, narrative, pensive, mais toujours mélodique ». On trouve notamment dans cet ensemble de vingt-six pièces des extraits d’un recueil intitulé The Arnold Book of old songs, composé de 1921 à 1947. Un neveu de Quilter, prénommé Arnold, possédait une jolie voix de ténor léger ; c’était un être sensible, fin musicien, attiré par les jardins, comme la mère de Quilter qui avait inculqué à ce dernier l’amour des fleurs et des plantes. C’était le filleul et l’héritier désigné du compositeur, qui commença au début des années 1920 à écrire pour lui une série de mélodies sur des poèmes de Burns, Moore, Bennett, Hopper, Shelley ou Irvine (le célèbre My Lady Greensleeves). Mais Arnold fut exécuté après une tentative d’évasion d’un camp de prisonniers de guerre en 1943. Quilter n’apprit la nouvelle qu’en 1945 ce qui, au moment où il devait par ailleurs subir une opération, entraîna chez lui un choc qui nécessita six mois d’hospitalisation. Lorsque les mélodies furent publiées, elles le furent « à la mémoire d’Arnold Guy Vivian ». Onze d’entre elles figurent sur le CD. 

Charlotte de Rotschild est une interprète idéale pour ce florilège délicat, souvent en demi-teinte, où l’élégance, le raffinement et la tendresse sont de mise. La soprano aura 65 ans en novembre 2020 ; sa voix a conservé une belle fraîcheur et un équilibre dans la projection même si de temps à autre, l’une ou l’autre note aiguë échappe à sa maîtrise, mais c’est si fugace que l’on est conquis par le métier qu’elle déploie alors. Les inflexions sont étudiées avec soin et les nuances ont ce parfum que l’on aime retrouver dans les jardins anglais. Elle partage cet ensemble de mélodies avec le ténor Nathan Vale, qui a étudié notamment à la Britten International Opera School et s’est produit dans Bach, Haendel, Mendelssohn ou Ravel, mais aussi au service de ses compatriotes Finzi, Ireland ou Venables. Il était déjà de la partie dans le deuxième volume consacré à Quilter par Nimbus, où figuraient les mélodies inspirées par Shakespeare. Il rend lui aussi avec justesse et subtilité l’atmosphère de ces airs poétiques. Quant au pianiste Adrian Farmer, complice habituel de Charlotte de Rothschild, qui figure sur maints CD Nimbus, il sait comment mettre en valeur ses partenaires, auxquels il apporte le climat qui convient.

Son : 8  Livret : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.