Victoire belge !

par

Concours International de Chant-Piano Nadia et Lili Boulanger
Le Concours de Chant-Piano Nadia et Lili Boulanger présente la particularité de distinguer un duo piano-voix, en proposant un répertoire rare de mélodies et Lieder allant de Bach à Hersant sans négliger le plaisir de réunir tous les 2 ans la fine fleur de l'art vocal et pianistique franco-germanique c'est à dire européen à l'image d'un Jury 2013 composé deWolfgang Holzmair, Helmut Deutsch, Kevin Murphy, Anne Queffelec, Jean Paul Sevilla, Mireille Delunsch, Jennifer Smith, José van Dam présidé par le chef d'orchestre Ronald Zollman.
Native de Louvain, vivant en Suisse, Chiara Skerath (26 ans) évoque aussi l'Italie par son prénom! En étroite osmose avec la pianiste nantaise Mary Olivon, la jeune soprano aux yeux de chat a remporté le prix haut la main dès la demi-finale. Un programme habilement construit où la sorcière de Schumann (Waldesgesprächt) faisait place à un «Traüme» (Wiegenlied) de Richard Strauss ineffable de beauté vocale, caressant à pleurer avant une mélodie incandescente de Respighi (Nebbie). La finale devenait ainsi simple confirmation pour ces deux artistes déjà expérimentées, l'une chez IMG présente sur de nombreuses scènes, l'autre chef de chant et pianiste auprès de Malcolm Walker notamment. Sachant se couler dans chaque univers stylistique, les jeunes femmes maîtrisent des moyens enchanteurs avec une constante musicalité.
Tout aussi naturellement le Prix de Lied revenait au baryton allemand (23 ans) Samuel Hasselhorn et au pianiste français Pierre-Yves Hodique (25 ans) déjà tous deux récompensés par nombre de distinctions (dont le prix d'accompagnement piano au concours Tchaïkovski!). L'un de fière allure, aux moyens vocaux impressionnants en pleine expansion (encore une légère tension dans les crescendos en français), l'autre, elfe vif au jeu coloré, offraient des moments d'émotion et de pure musicalité que l'on n'oubliera pas. Ces beiden Grenadiere de Schumann- admirables- faisaient froid dans le dos tandis que le morceau obligé de Bach se métamorphosait en paradis sonore. Et lorsque l'un suspendait et fondait sa dernière note dans la résonance exacte du piano de l'autre, on n'osait plus respirer. Barber, Duparc et Fauré dans une diction irréprochable avaient là de superlatifs interprètes.
Cette année les seconds prix n'était plus dissociés entre chanteur et pianiste mais attribués par genre. Restait donc le prix de mélodie. La discipline avantage évidemment les dictions idiomatiques et un certain type de personnalité. C'est sans doute ce qui a fait préférer au jury la gouaille de Clémentine Decouture associée au piano sans arrière-pensées de Nicolas Chevereau plutôt que l'élégance préraphaélite d'Heather Newhouse avec sa subtile pianiste Naoko Jo. Ces dernières, pourtant très émouvantes se voyaient pénalisées par un choix de programme manquant de contrastes tandis que la coréenne Anna Sohn et sa chaleureuse pianiste russe Valeria Suchkova-Monfort confondaient récital Mozart, beaux phrasés alanguis avec les nécessaires aspérités, jeux d'aplats, «understatement» qu'exige le répertoire mélodique.
Autres jeunes musiciens à retenir: la pianiste canadienne Justine Pelletier dont l'expressivité souple, enveloppante, poétique mit nombre de ses collègues pianistes en extase ou encore le duo de la lumineuse Norma Nahoun (splendide C de Poulenc mais peu rodée à l'épure ravelienne) et François Lambret au toucher élégant et agile. Ils avaient d'autant plus de mérite que l'acoustique la plus belle de Paris est désormais assourdie par une désolante invasion de moquette. Les tenues des chanteuses (flots de mousseline gris pintade, justaucorps rouge cirque, violet épiscopal, soie sauvage bleu ciel et boléro reine des neiges, dessins africains …) parvenaient toujours à étonner.
Imposée aux 5 finalistes la commande faite à Philippe Hersant intitulée Nachtlied laissait dubitatif. Choix d'un poème de Georg Trakl (1887-1914) dit en allemand et dont on préférait ne pas comprendre la traduction française aussi obtuse qu'alambiquée. Ligne vocale décousue, gracile, en hiatus avec des foucades pianistiques où les élans exacerbés, les motifs répétés avec pédale obsédante succédaient à des espaces dépouillés et des vides abrupts. Quant à la mélodie obligatoire de la première épreuve: Sonnet de Pierre de Ronsard mis en musique par Paul Dukas alors âgé de 59 ans, on devine que cette dernière œuvre publiée a été arrachée à sa lassitude, par les circonstances d'une commémoration. Le beau poème s'avère impossible de prosodie sur une musique aux frottements hautement inconfortables. Les 25 auditions successives rendaient ces allusions «renaissance» éprouvantes pour les candidats autant que pour le public.
Cette 7 ème édition qui célébrait le centenaire du Prix de Rome de Lili Boulanger et la mémoire du pianiste Noël Lee, faisait vraiment honneur à ses dédicataires autant qu'à l'art du chant-piano.
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, les 7, 8, 9 et 10 novembre 2013

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