Aller à l’essentiel :  The Story of Billy Budd, Sailor »,

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Avec leur adaptation du Billy Budd de Benjamin Britten, Olivier Leith et Ted Huffman ont voulu aller à l’essentiel de l’œuvre. Un défi qu’ils relèvent brillamment dans le plus grand respect de cette œuvre.

On pourrait même aller jusqu’à écrire que, ce faisant, ils accomplissent en quelque sorte les intentions du compositeur : celui-ci crée d’abord un opéra en quatre actes (1951), inspiré d’un petit roman d’Herman Melville, qu’il réduit ensuite à deux actes en 1960 (version radiodiffusée, créée scéniquement en 1964).

Même dans cette version réduite, c’est une œuvre orchestralement assez monumentale. Avec son prologue, ses deux actes et son épilogue, elle dure plus ou moins deux heures trois-quarts. Et voilà que le duo Leith-Huffman nous en propose une version ramassée d’une heure trois-quarts. Tout est dit et bien dit. Une réussite.

Ils s’inscrivent ainsi dans la démarche d’un Peter Brook, avec ses « Tragédie de Carmen » et « Une Flûte enchantée ». Il s’agissait alors de se débarrasser de tout le fatras encombrant deux chefs-d’œuvre, les anecdotisant, les étouffant en quelque sorte. Il s’agissait d’en retrouver les structures et les réalités profondes, celles qui justifient leur pérennité, qui expliquent leurs interpellations perpétuées.

Le capitaine Edward Fairfax Vere, très âgé, revient sur un événement qui l’a marqué à jamais. C’était en 1797, il commandait alors le vaisseau L’Indomptable, engagé dans la lutte contre les révolutionnaires français. Parmi des marins recrutés de force, Billy Budd, jeune, fort et beau, généreux, très vite désireux de se faire sa place à bord. Voilà qui suscite la jalousie vengeresse du capitaine d’armes John Claggart. Il accuse Billy de préparer une mutinerie. Lors de la confrontation, Billy, ne pouvant contrôler un bégaiement qui le handicape régulièrement depuis toujours, ne peut faire valoir ses arguments et s’en prend violemment à son accusateur ; il le tue. Il sera pendu. Vere, qui appliqua alors la justice, est obsédé par son rôle dans cette affaire. 

Aller à l’essentiel, c’est se focaliser sans digression sur un système d’organisation bafouant les droits humains (recrutement de force, exploitation, discipline impitoyable), sur des états d’âme nationalistes (Ah ! ces Français !), mais c’est aussi et surtout mettre en évidence des problématiques plus profondes : l’affrontement sans fin du bien et du mal, la haine jalouse et vengeresse contre la beauté, contre la bonté ; le triomphe du mal quand il se revêt des atours de la justification légale ; et aussi, incontestable, une dimension sexuelle : l’attirance affirmée ou déniée, refoulée, et qui peut alors aller jusqu’à la destruction de qui la suscite.

La scénographie va à l’essentiel : quelques praticables et une grande voile hissée ou rabaissée au fond du plateau disant le vaisseau, une table et des chaises, quelques pièces de vêtements suffisent pour caractériser le lieu, les personnages et les situations. Quelques effets de lumière (Bertrand Couderc) et de brume. Voilà, comme aurait dit Peter Brook, « l’espace vide » de la représentation, si propice à toutes les intensifications. La mise en scène de Ted Huffmann, dans ses mouvements d’ensemble comme dans ses si nombreux détails expressifs, est toute de lisibilité et de fluidité.

Ce qui fascine, envoûte, emporte et subjugue, c’est l’adaptation musicale d’Olivier Leith. Le grand orchestre a laissé la place à un tout petit ensemble installé sur le plateau : trois claviers (Finnegan Downie Dear – qui dirige l’ensemble -, Richard Gowers et Siwan Rhys), des percussions (George Barton). La partition, ainsi réinventée en une « étrangeté familière », multiplie les atmosphères sonores et suscite tant et tant d’échos. Elle nous dit à sa façon ce qui se rêve, ce qui s’ourdit, ce qui se célèbre, ce qui (se) trahit, ce qui condamne, ce qui interpelle.  

Quant aux interprètes, exclusivement masculins, ils excellent, en deux rôles souvent : Hugo Brady, Noam Heinz, Thomas Chenhall. Avec une mention toute particulière pour Joshua Bloom (John Claggart), Christopher Sokolowski (le capitaine Vere) et surtout, le Billy Budd si intensément incarné dans sa présence et sa voix de Ian Rucker.

Sensations, émotions, réflexions, toutes si intenses, oui, Olivier Leith et Ted Huffman se sont emparés du « Billy Budd » de Benjamin Britten, mais dans une appropriation créatrice, révélatrice. Bonheur.

Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de Paume, 7 juillet

Crédits photographiques : Jean-Louis Fernandez

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