Un éventail de Préludes américains du XXe siècle pour le piano du Brésilien Allán Manhas
American Preludes. Heitor Villa-Lobos (1887-1959) : Cinq Préludes pour guitare, arrangement pour le piano par José Vieira Brandão. Manuel M. Ponce (1882-1948) : Preludios encadenados. Alberto Ginastera (1916-1983) : Doce Preludios americanos op. 12. Jean Coulthard (1908-2000) : Preludes for piano. Allán Manhas, piano. 2024. Notice en anglais. 71’ 05’’. Da Vinci Classics C00991.
Le Brésil, le Mexique, l’Argentine et le Canada ont été choisis par le pianiste brésilien Allán Manhas, basé en Allemagne où il a occupé des postes dans l’enseignement, pour illustrer la forme libre du prélude dans la littérature pianistique américaine du XXe siècle. Manhas a fait ses études à l’Université de São Paulo dans la classe de Fernando Corvisier, avant de se perfectionner en Allemagne où il a obtenu un master en direction d’orchestre, puis en Belgique, à la Fondation Bell’Arte-ICPA, en Brabant wallon, sous la direction de l’Argentin Nelson Delle-Vigne.
Le programme débute par un arrangement pour piano, réalisé par le Brésilien José Vieira Brandão (1911-2002), ami et interprète réputé de son compatriote Villa-Lobos, des Cinq Préludes pour guitare de ce dernier, composés au cours de l’été 1940. Les thèmes en sont variés : le climat semi-aride du sertão brésilien, l’art martial afro-brésilien de la capoeira, la culture indigène et la vie sociale active de Rio de Janeiro, ainsi qu’un hommage à Bach, qui mélange le style baroque et le style local. Ces pages, les dernières destinées à la guitare seule par Villa-Lobos qui les dédia à Andrés Segovia, allient la beauté formelle du langage harmonique d’un cycle qui n’est pas homogène à un lyrisme intense, dont la transcription pour le piano de l’ami du compositeur retrouve la liberté expressive.
La grande passion pour les voyages du Mexicain Manuel M. Ponce le conduisit à Paris, où il séjourna plusieurs années au début du XXe siècle et où il fut influencé par l’art de Paul Dukas et par les tendances nouvelles. Ses quatre brefs Preludios encadenados, enchaînés comme l’intitulé l’indique, datent de cette période ; ils témoignent d’une virtuosité d’inspiration libre, comme improvisée.
Les très brefs douze Preludios americanos op. 12 de l’Argentin Ginastera, composés en 1944, font plutôt penser à des études et contiennent plusieurs hommages à des compositeurs sud-américains du temps : Morillo, Castro ou Villa-Lobos, mais aussi à Copland. Dans son ouvrage La musique de piano (Laffont/Bouquins, 1998), Guy Sacre en fait une synthèse : […] Ginastera donne un condensé de son art ; tantôt le rythme roboratif, la joyeuse énergie d’une danse ou d’une étude ; tantôt une veine intime et tendre, pour de simples chansons cueillies aux branches d’un arbre du pays. On ajoutera à ces précisions le charme subtil qui se dégage de l’ensemble.
Manhas a pris l’excellente initiative de conclure son programme par les treize Préludes pour piano, pages concises signées par la compositrice canadienne Jean Coulthard, qui a été une figure marquante de la musique dans le Canada du XXe siècle. Originaire de Vancouver, où elle décédera, elle a étudié dans sa ville natale avec sa mère, avant d’être, pendant deux ans (1928-30), une élève de Vaughan Williams à Londres, et, plus tard, de retour au pays natal, d’Arthur Benjamin pour la composition. Elle sera soutenue par Aaron Copland. Jean Coulthard a dirigé plusieurs institutions musicales de son pays et laissé un catalogue varié et abondant de près de 350 œuvres. Les préludes ici proposés datent de la fin des années 1950. La notice de la pianiste et musicologue turinoise Chiara Bertoglio cite des propos de la compositrice, qui les décrivait comme étant d’un lyrisme pétillant et d’une introspection mûrie. Les titres (Pensée, Aubade, Introspection, Innocence, Parodie, Illumination…) dévoilent un art allusif, intime et poétique, qui s’inscrit résolument dans la tradition, avec des teintes debussystes.
Allán Manhas joue cet éventail américain avec une chaleur communicative, dès sa lecture des pages de Villa-Lobos. On sent qu’il aime ces œuvres ; il nous touche par un jeu subtil, sans recherche d’effets, souvent libre et comme improvisé, mais toujours investi, ce qui convient très bien à l’ensemble, auquel il confère une saveur indéniable.
Son : 8,5 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix