Clérambault, une intégrale artisane et intimiste de l’œuvre d’orgue et clavecin

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Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749)  : Première et deuxième Suites pour clavecin en do majeur, en do mineur. Suites pour orgue du premier et du deuxième tons. Michel Louet, clavecin, orgue de la collégiale de Levroux. Livret en français. Octobre 2023, juin 2024. 65’38’’. Ctésibios CTE080

Au temps du microsillon, il était aisé de constituer un plein et cohérent album consacré à l’œuvre d’orgue de Clérambault, puisque celui-ci se limite à deux Suites d’une demi-heure environ, qui chacune pouvaient se loger sur une face du vinyle. On se souviendra ainsi d’André Marchal à la Cathédrale d’Auch (Erato, 1962), Kenneth Gilbert à l’Oratoire Saint-Joseph de Montréal (Harmonia Mundi, 1970), Gillian Weir (Argo, 1973) et Heiner Kühner (Philips, 1975) tous deux à la St. Leonhardskirche de Bâle, Gaston Litaize à Caudebec-en-Caux (Emi, 1974), Bernard Foccroulle à Houdan (Musica Magna, 1978). Ou encore Michel Jordan à l’abbatiale de Romainmôtier (Gallo, couplé avec une Battaglia de Diego Jimenez). D’autres enregistrements trouvèrent l’espace pour inclure d’autres pages pour tuyaux du Grand Siècle. Ainsi en 1967 pour Erato, Marie-Claire Alain adjoignait deux des six Suites de François Dagincour (1684-1758) à la Cathédrale Saint-Théodorit d'Uzès. En juin 1970 à Saint-Pierre de Poitiers (Valois), Michel Chapuis ralliait Pierre Du Mage (1674-1751)

À l’ère du CD s’aiguisa évidemment la question du couplage. La durée élargie du support permit d’embarquer l’unique Livre de clavecin du même compositeur, lui-aussi structuré en deux Suites. Encore faut-il qu’un même interprète puisse animer tuyaux et plectres avec la même adresse. En octobre 1978, Jean-Patrice Brosse réussissait déjà à réunir pour un vinyle Emi les quatre Suites, à Saint-Bertrand de Comminges et sur un Kroll du Château de Belbèze. Ce que fit encore Christine Gall en juin 1998 pour Coriolan, à Sainte-Croix de Bordeaux et sur un instrument de Philippe Humeau. Sous étiquette Ligia (mars-avril 1999), Olivier Vernet à Seurre et Catherine Latzarus pour les pièces pour clavecin, se partageaient le programme.

Michel Louet vient donc ajouter son nom à la liste, peu fournie, de ceux qui rassemblèrent pièces de clavecin et d’orgue sur une même parution. Non sans logique, non sans pertinence, il a retenu l’instrument dont il est titulaire à Levroux, abrité dans un antique buffet de 1502, et reconstruit sous l’égide de Jean-Loup Boisseau en 1977-78 dans l'esprit du Classicisme français. Grâce à un financement octroyé par les recettes d’un disque Guilain/Marchand en 2000, un troisième clavier s’octroya deux jeux de Récit empruntés au Cornet V du clavier principal, ajoutant un plan à cette console de quelque 25 jeux. Même si la Messe et les Hymnes de Grigny (1672-1703) confiés à Jean Boyer y furent captés pour le label Stil sitôt la construction, cet orgue qui fêtera bientôt son cinquantenaire n’a pas connu une excessive faveur des micros, au point que ce choix constitue l’un des attraits de cette publication.

La courte réverbération, l’acoustique sculpturale traduisent les pièces avec clarté et cisèlent l’ornementation en toute lisibilité. Ce qui autorise à aborder la Fugue non sur les anches attendues mais sur les Fonds, moelleux sans nuire à l’articulation. On n’espérera pas l’ampleur ou la majesté de tribunes comme Poitiers ou Saint-Maximin, où respectivement Michel Chapuis et Pierre Bardon (Les organistes du Roy soleil, 1978) conserveront le suffrage des adeptes du panache. À défaut d’éblouir et édifier dans les Dialogue ou Caprice conclusifs, lisibilité, retenue et projection sont plutôt les atouts de la lecture de Michel Louet, sur le versant analytique. Pour autant, la gravité du ton de chapelle, la plaintive suavité des Flûtes, l’expressivité du Récit de Nazard éviteront l’écueil de l’aridité. Globalement, une approche volontiers da camera, mais l’auteur en sa préface n’avait-il pas prévu que l’on puisse aborder son recueil sur un modeste cabinet d’orgue de salon ?

Dans la même esthétique, on appréciera une exploration délicate et intimiste du Livre de clavecin, parcourue sur un instrument d’Alain Anselm (trois jeux dont deux 8’) dans l’esprit français de la fin du XVIIe siècle. Les danses vives s’entendent tantôt contraintes (Gavotte) tantôt élancées (Gigues). Élégance et finesse font moins défaut que la loquacité (Courantes). Michel Louet a optimisé l’accordage pour chacune des Suites, selon des considérations explicitées dans la notice. On doit hélas mentionner que la typographie du livret, petits caractères sur fond gris, n’est pas des mieux discernables… Dommage car la valorisation éditoriale est exemplaire, y compris l’iconographie et les renseignements techniques quant à la prise de son. Même si la discographie procure des alternatives plus ouvertement séduisantes de ces quatre cahiers, mieux révélatrices des italianismes de l’affable Clérambault, on n’hésitera pas à recommander cette réalisation soignée sous tous aspects.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9 (hormis le graphisme) – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 8,5

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