Napoléon au Louvre
Heureusement, le patrimoine musical français n’est pas menacé par les voleurs de bijoux. Il n’en est pas moins précieux comme le démontre ce concert du Louvre, intitulé « Un opéra pour Napoléon » . On a assez répété que l’Empereur aimait autant la musique qu’il la chantait mal mais on a peu mis en valeur l’importance qu’il lui accorda toute sa vie. C’est le mérite de cette série de 5 concerts et une conférence regroupées sous le titre « Une révolution en musique ! » en lien avec l’exposition consacrée au peintre « Jacques-Louis David » (1748-1825).
Les compositeurs, sculpteurs, peintres et même tragédiens comme Talma se tournent vers l’Antiquité classique néo- romaine. Le Premier Consul va y ajouter son goût pour l’Italie et les poèmes du barde Ossian ; ces derniers alimenteront le courant gothique-historique, l’une des sources du Grand Opéra Français. Les Bardes de Lesueur, La Vestale et Fernand Cortez de Spontini témoignent sur la scène de l’Opéra de l’influence impériale.
La Vestale de Spontini dont deux airs figurent au programme remporte un succès phénoménal dès sa création en 1807 et marque d’une pierre blanche l’histoire de l’opéra.
L’exacerbation de sentiments dans un contexte de grandeur morale est devenue la règle. Autant sur scène qu’ à l’orchestre, les effectifs doivent être énormes, puissants et la scénographie spectaculaire (défilés militaires, chœurs pléthoriques jusqu’à éruption finale du Vésuve). Le Triomphe de Trajan (1807) métaphore de celui de l’Empereur, commandé à Lesueur poussera même à l’extrême « la magnificence extraordinaire du spectacle » écrit le critique Suard.
Le peintre David, de son côté, représente « Napoléon franchissant le le Grand-Saint-Bernard » sur un cheval d’apparat cabré dans la neige bientôt suivi du monumental «Sacre ».
Dans ces conditions, on pouvait craindre que la réduction orchestrale pour quatuor à cordes ne sonne un peu étriqué. Effectivement, la formation constituée des Solistes du Concert de la Loge dirigée par Julien Chavin convient à l’aimable pré-romantisme du Quatuor en la mineur op.3 n°3 (1796) de Jadin. Elle prête au Larghetto extrait du Quatuor en si mineur op. 34 n°1 (1823) du violoniste virtuose et pédagogue, Pierre Baillot, des sonorités brillantes et soyeuses. Mais pour accéder à une dimension opératique il faut tout le talent de la soprano hollandaise Judith van Wanroij. La plénitude de la voix portée par un instinct empreint de noblesse – elle semble née pour chanter ce répertoire ! - fait honneur comme l’aurait dit Mozart aux extraits de Gluck, Salieri, Cherubini, Lesueur, Méhul et Piccini. L’articulation claire du texte français sert aussi bien les récitatifs que le galbe du phrasé ; le timbre rond et lumineux se prête à toutes les nuances dans le souci de l’expression juste. Elle passe ainsi de la délicate tendresse de Phèdre « Il va venir » (Jean Baptiste Lemoyne) à la véhémence de Didon (Piccini) « Non, ce n’est plus pour moi... Hélas !». « Toi que je laisse » extrait de La Vestale se pare d’une superbe messa di voce. Le dramatisme des airs d’Antigone « Dieux ! Ce n’est pas pour moi » de Sacchini ou celui de Valentine « Vaillant guerrier, chère et noble victime » de Méhul (extrait de Valentine de Milan), appelleraient le soutien de l’orchestre. Enfin, « O désinfortunée » en bis (extrait également de La Vestale) et « Par les larmes » que Salieri composa pour son opéra les Danaïdes touchent infiniment. Révolutions et conquêtes laissent ici la place aux larmes… à méditer.
Paris, Auditorium du Louvre, 22 octobre
Bénédicte Palaux Simonnet