Une corbeille de raretés pour basse soliste dans le Baroque sacré allemand
Wie der Hirsch schreiet. Œuvres de Sebastian Knüpfer (1633-1676), Julius Johann Weiland (c1625-1663), Christoph Bernhard (1628-1692), Bonifacio Graziani (1604-1664), Johann Caspar Horn (1636-1722), Christian Andreas Schulze (c1655-1699), Giovanni Antonio Rigatti (1613-1648), Crato Bütner (1616-1679), Morits Edelmann ( ?-1680), Wolfgang Carl Briegel (1626-1715), Johann Caspar Kerll (1627-1693), Johann Rosenmüller (1619-1684). Dominik Wörner, basse. Kirchheimer Dübenconsort. Joanna Huszcza, Johannes Frisch, violon. Frauke Hess, Julian Laake, viole de gambe. Matthias Müller, violone. Jérémie Papasergio, douçaine. Elias Conrad, chitarrone. Jörg-Andreas Bötticher, orgue, direction. 2024. Livret en allemand, anglais ; paroles non traduites. 82’38’’. Passacaille PAS 1160
La musique allemande connut alors une résurrection, un bouillonnement dont ce disque entend se faire l’écho : des rares Geistliche Konzerte émanés de Saxe, de Thuringe dans le second XVIIe siècle, sous l’influence du motet italien. Le programme tire son titre du Psaume 42 (Quemadmodum desiderat cervus, « Comme une biche soupire après des courants d’eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu ! », dans la traduction de Louis Segond) : support du choral luthérien Freu dich sehr o meine Seele, qui connut une large postérité à l’ère baroque (D. Buxtehude, J.S. Bach, M.R. Delalande, M.A. Charpentier) et romantique (F. Mendelssohn).
Nous l’entendons ici illustré par Sebastian Knüpfer, par Wolfgang Carl Briegel puis dans la décennie 1680 par Christian Andreas Schulze, qui orna la forme strophique d’un ritornello. On observera, dans cette mouture tardive, l’émouvante introduction en mezza voce. Autre moment fort avec Stürmet, all ihr WInde où Johann Rosenmüller, qui avait séjourné à Venise, stimule des affects en stile concitato et semble s’imprégner du madrigal.
Tant par l’ambitus (des sauts de douzième !) que par la rapidité des traits, Dedit abyssus vocem suam de Bonifacio Graziani s’apparente plutôt à la cantate virtuose : il dresse un saisissant tableau qui, pour la liturgie du Vendredi Saint, remue la Terre et les Cieux. Tout aussi impressionnant, Heut triumphieret Gottes Sohn où la gloire du Christ ressuscité inspire à Crato Bütner une théâtralité d’allure martiale vigoureusement rythmée. Elle apparait comme « Bataglia spiritualis » dans le manuscrit dont le traitement strophique élude la mélodie traditionnellement associée à l’hymne pascale.
En guise d’intermèdes instrumentaux : une Suite en ré de Christoph Bernhard, limitée à trois danses de cour (Allemande, Courante, Sarabande), une Sonata à 3 de Julius Johann Weiland. Mais aussi une autre sonate anonyme, extraite du recueil Partiturbuch Ludwig de 1662 auquel l’ensemble Harmonie Universelle de Florian Deuter avait déjà consacré un plein album (Accent, mai 2010). Figure encore une Canzone de Johann Caspar Kerll, acquise à Ratisbonne pour Wilhelm VI, où le compositeur fréquentait vraisemblablement des confrères de la Cour impériale de Vienne. Outre les archets et les cordes pincées, on notera dans ces pages le recours aux anches de la douçaine.
Ce généreux programme de plus d’une heure vingt rassemble des œuvres toutes enregistrées pour la première fois, présentées par la notice de Peter Wollny, d’autant précieuse que la plupart des auteurs restent méconnus. Les expertes recherches de ce musicologue ont permis de considérer un Jubilate gaudete, retrouvé à l’église Michaeliskirche d’Erfurt, comme un arrangement pour basse réalisé par Rosenmüller à partir d’un original de Giovanni Antonio Rigatti.
Fort d’une longue et éminente expérience (plus de 80 CD et DVD), le chant de Dominik Wörner est ici méticuleusement accompagné par l’équipe de Jörg-Andreas Bötticher. Les amateurs de ce répertoire germanique, en plein renouveau après la terrible Guerre de Trente Ans, se pencheront avec intérêt sur cette corbeille d’inédits discographiques.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8,5