À Liverpool, Andrew Manze illustre Job, de Vaughan Williams. Avec brio ! 

par

Ralph Vaughan Williams (1872-1958) : Job. A Masque for dancing ; Old King Cole, ballet pour orchestre ; The Running Set, danses traditionnelles pour orchestre. Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, direction Andrew Manze. 2022/23. Notice en anglais et en allemand. 75’ 15’’. Onyx 4240.

Le poète, peintre et graveur préromantique William Blake (1757-1827), auteur de visions bibliques à caractère prophétique, se consacra entre 1823 et 1826 à de magnifiques Illustrations du Livre de Job qui, dans l’Ancien Testament, se penche sur le problème du mal. L’histoire est connue : avec la bénédiction de Dieu, Satan met à l’épreuve la foi de Job, archétype du Juste. Celui-ci va perdre sa prospérité, sa famille et sa santé, mais ne reniera pas Dieu. Après de multiples péripéties, tout lui sera restitué. A l’occasion du centenaire de la disparition de Blake, le chirurgien Geoffrey Keynes (1887-1985), frère du fameux économiste et spécialiste de l’artiste, veut faire vivre cette aventure biblique ; il en choisit huit épisodes en vue d’un ballet. La musique est demandée à Vaughan Williams, et le projet est soumis à Serge de Diaghilev pour les Ballets russes. Mais ce dernier n’est pas intéressé, ce qui réjouit le compositeur, peu emballé par les spectacles de l’impresario. Vaughan Williams tient aussi à ce que la réalisation s’inscrive dans la perspective de l’Angleterre du XVIIe siècle en ce qui concerne les danses, et intitule son œuvre « masque », à la manière du genre baroque qui incluait tous les arts. Il en tire une vaste partition symphonique de 45 minutes, dont il assure lui-même la première à Norwich en octobre 1930, la création scénique ayant lieu l’année suivante à Londres, dans une version à effectif réduit, revue par Constant Lambert. 

La version symphonique comporte neuf scènes, Vaughan Williams en ayant scindé deux dans le projet initial de Keynes, et élargi son inspiration à un plus grand nombre d’illustrations de l’ouvrage de Blake. Cet orchestrateur hors pair, dont le catalogue, aux abords de la soixantaine, compte de nombreuses pages orchestrales, dont trois symphonies, écrit une partition foisonnante et contrastée, hautement inspirée, avec des cuivres épanouis et des trouvailles instrumentales : le xylophone pour la danse de triomphe de Satan, l’orgue pour les visions du même, le violon solo pour la lumière émanant de Dieu…  Job est sans doute l’œuvre donnant de Vaughan Williams l’idée la plus complète : sérénité pastorale, éruptions de violence, danses ou mélodies populaires bien rythmées ou non, harmonies agressives, orchestre transparent ou massif, grandes mélodies diatoniques, écrit Marc Vignal dans la biographie qu’il consacre au compositeur (Bleu nuit, 2015, p. 72). 

L’œuvre consacre le talent d’un créateur qui proposera bientôt sa remarquable Symphonie n° 4, dont l’instrumentation aux lignes épurées doit beaucoup à la réalisation de Job. Trop peu joué si l’on tient compte de ses qualités intrinsèques, ce « masque for dancing » a tenté des chefs anglais comme Vernon Handley, Sir Mark Elder, Richard Hickox ou David Lloyd-Jones. Mais la palme revient à Sir Adrian Boult (réédition Decca Eloquence, 2013), un proche de Vaughan Williams, qui en a souligné toute l’énergie lyrique avec le London Philharmonic Orchestra. On pourra aussi découvrir un rare concert par les mêmes à Londres le 12 octobre 1972, lors de la célébration du centenaire de la naissance de Vaughan Williams (Intaglio, 1992), ainsi qu’une version de 1971 pour EMI avec le London Symphony. 

Avec la Philharmonie de Liverpool, le chef anglais Andrew Manze (°1965), qui a déjà enregistré pour Onyx plusieurs albums consacrés à Vaughan Williams, dont une intégrale des symphonies, montre ses affinités complices avec le compositeur. Le geste est large et ample, les atmosphères bien définies, les contrastes abondamment travaillés. La formation de Liverpool, rodée au langage du compositeur, fait valoir la qualité de ses pupitres qui assument toutes les subtilités et toutes les souplesses, comme les élans et les fuites en avant. La violoniste Thelma Handy se charge avec émotion de la partie de violon solo.

Les compléments à cette vaste fresque biblique sont choisis à bon escient ; tous deux font référence à des pages folkloriques populaires. Le ballet d’inspiration postromantique Old King Cole (1923) était destiné aux membres d’une société anglaise de danses ; il se présente comme une pochade (Marc Vignal) divertissante, sur un fond pseudo-historique situé à l’époque romaine. Ici aussi, le compositeur a introduit un violon solo, ainsi qu’une allusion au chant traditionnel Dives and Lazarus, issu de la parabole de Saint-Luc, qu’il utilisera à plusieurs reprises, notamment en 1935 pour une œuvre plus élaborée. Une brillante et courte danse de 1933, The Running Set, clôture le programme. Les curieux tendront l’oreille vers les labels Pearl et Dutton, qui ont publié un enregistrement de 1925 d’Old King Cole dirigé par Vaughan Williams lui-même. Sir Adrian Boult a gravé ce ballet à plusieurs reprises au fil de sa longue carrière. Pour Onyx, Andrew Manze en souligne toute la légèreté débordante, la violoniste islandaise Eva Thorarinsdottir assurant avec aisance ses interventions. Un album qui fait belle figure dans la discographie de Vaughan Williams, pour son programme et pour la qualité de ses interprètes.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10 

Jean Lacroix

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