Antonio Pappano, le legs romain
Antonio Pappano, Complete Symphonic, Concertante & Sacred Music. Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia, direction : Antonio Pappano. 2005-2022. Livret en anglais, allemand et français. 27 CD. Warner Classics. 5 054197 793073
A l’occasion de son départ de la direction musicale de l’Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Warner remet en coffret l”intégralité du legs d’Antonio Pappano au pupitre de son orchestre romain.
Arrivé en 2005 à ce poste, le chef d’orchestre britannique a pu pleinement déployer l’orchestre depuis sa base du Parco della musica, vaste complexe culturel dessiné par Renzo Piano. On rappellera que pour Pappano, il s’agissait alors de son premier mandat à la tête d’un orchestre purement symphonique pour ce chef qui est l’un des derniers à exceller autant dans la fosse que sur le podium. Au fil des tournées et des enregistrements Antonio Pappano a inscrit le nom de l’Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia aux sommets de la musique classique, travail couronné par des concerts de légende comme une incroyable Symphonie n°8 de Bruckner donnée à Dresde en 2015, des Respighi dont les murs de Carnegie Hall (2017) tremblent encore et, en apothéose, la récente résidence au Festival de Pâques de Salzbourg 2024. Certes, l’histoire de la phalange romaine est prestigieuse et des grands noms de la musique y ont été associés : Franco Ferrara, Igor Markevitch, Thomas Schippers, Leonard Bernstein, Giuseppe Sinopoli, Daniele Gatti, Myung-Whun Chung, mais manquait sans doute à l’orchestre la force d’un tandem artistique qui donne une direction et galvanise les forces instrumentales sur le longs terme. Grâce à Warner Classics, le travail d’Antonio Pappano fut ainsi documenté et il reparaît aujourd’hui dans ce beau coffret de 27 disques qui comprend un inédit une superbe Symphonie n°8 de Bruckner. Notons juste que ce coffret ne reprend que les enregistrements de musique symphonique, concertante et sacrée et fait l’impasse sur les gravures lyriques.
Au niveau du répertoire, il y a certes de grandes oeuvres italiennes de Rossini à Verdi et l’inévitable triptyque romain de Respighi mais aussi beaucoup de répertoire international : Dvořák et sa Symphonie n°9 du Nouveau monde ; Tchaïkovski et ses 3 dernières symphonies, Mahler et sa Symphonie n°6 ; Rachmaninov et sa Symphonie n°2 ; Britten et son War Requiem ; Strauss et sa Vie de Héros. De ces dernières gravures, on se rappelle, au début des années 2000, d’une forme d’arrogance envers ces enregistrements latins, pourtant Pappano avait pour dessein de hisser le niveau de ses musiciens et de montrer au monde à quel point ils pouvaient être bons, à quel point cet orchestre peut être flexible. Car, en 2024, il faut sans nul doute compter l’Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia comme l’un des plus grands orchestres du monde.
Nous ne reprendrons pas ici une analyse détaillée de chaque parution qui avaient été présentées, souvent très positivement, dans ces colonnes. Nous nous limiterons au deux lignes de force de ce coffret: la musique italienne et le répertoire international.
Bien sûr, dans sa musique nationale, ce tandem casse la baraque. Difficile de ne pas considérer toutes ces gravures comme des références à commencer par la Trilogie romaine de Respighi complétée par le superbe Il Tramonto avec la mezzo-soprano Christine Rice ou les ouvertures de Rossini qui pétillent comme il faut, comme une effusion de Prosecco. Du côté choral, Rossini et Verdi sont très bien servis avec des grands tubes comme la Petite Messe Solennelle ou le Requiem mais la plus rare Messa di Gloria, l’un des plus formidables albums de ces dernières années.

Du côté répertoire international, on ne se lasse pas des Symphonies de Bernstein, magnifiées par des solistes et des forces chorales grandioses, sans doute la grande référence dans ces œuvres après les gravures de Bernstein lui-même (Sony et DGG). Toutes les œuvres proposées sont taillées sur mesure pour la perfection technique de la phalange romaine, mais à réécouter ces gravures on découvre la logique de l'approche du chef : de la musique sans jamais forcer ou surjouer. Certes on peut trouver des lectures plus acérées, cursives ou démonstratives de la Vie de Héros de Strauss ou de la Symphonie n°6 de Mahler, mais Pappano, en chef lyrique, ne cherche jamais à couvrir le dialogue musical. S’appuyant sur des pupitres de haut vol, il peut presque caresser le son, mettant à jour des nuances et des couleurs car la gamme des dynamiques et la précision de ses musiciens lui permettent de jouer de l’orchestre. Du côté des couleurs de la phalange, on s'éloigne de la sonorité ronde, puissante et tranchante des formations de culture allemande ou anglo-saxonne, pour découvrir une culture du son plus fine et transparente qui fait par exemple de la Vie de Héros une expérience unique. On aime particulièrement ce son élégant, classe et racé. Dès lors, il faut savourer ces Tchaïkovski, Rachmaninov, Dvořák, Saint-Saens, Britten, Rimsky-Korsakov…
Le côté concertant n’est pas tant représenté, si on passe rapidement sur un fort oubliable album “Romance” avec la violoncelliste Han-Na Chang et le sympathique mais peu déterminant disque de musiques de film avec Alexandre Tharaud, il faut saluer le Concerto pour violoncelle de Dvořák avec Mario Brunello en soliste mais surtout la Burlesque de Richard Strauss avec Bertrand Chamayou et le disque qui s’associe le Concerto n°1 de Tchaïkovski et le n°2 de Prokofiev avec Beatrice Rana.
Dès lors, on thésauriser ce coffret de haut vol qui consacre la réussite du tandem composé Antonio Pappano et des musiciens de l’Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : Musacchio, Ianniello & Pasqualini