Ariodante : et Garnier se remit au vert

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Après deux premières représentations avortées sur fond de conflit social, la production de Robert Carsen, transposant une cour de roi d’Écosse médiévale dans un Balmoral fantasmé, initialement créée en 2021, revient enfin sur la scène du Palais Garnier. Classicisme visuel et qualité musicale forment une alliance de bon ton pour conquérir le plus grand nombre avec cet opera seria ; grâce à un rendu consensuel où les lumières signées Carsen et Van Prêt rappellent que l’on peut allier finesse et expressivité dans cinquante nuances de froid.

Dans la fosse, Raphaël Pichon et « ses » Pygmalion succèdent à Harry Bicket et à l’English Concert. Si l’on ne peut que regretter la portion microscopique des chœurs — six minutes sur trois heures vingt d’opéra — au vu des talents du maestro pour leur direction, on ne peut que se réjouir que l’Opéra national de Paris fasse désormais appel à des formations musicales spécialisées pour les ouvrages baroques. Dès l’ouverture, la phalange donne le ton de la soirée avec un rendu tout en souplesse et en nervosité. Là où l’English Concert livrait un rendu sage, au flegme somme toute bien britannique, porté par un cor et un violon solo de gala, les Pygmalion apportent quant à eux une souplesse et une nervosité des cordes conférant au lyrisme de Haendel une universalité dramatique des plus appréciées ; avec une mention particulière tant pour le théorbe et les deux gambistes que pour le violoncelle solo et les pupitres de violon dans leur globalité. On doit aux pupitres des vents une pulsation bienvenue au vu de l’intensité théâtrale immanente à cette interprétation.

Cecilia Molinari campe un Ariodante aux sublimes piani ; remarquable tant dans la gestion des phrases longues que dans leur expressivité. La technique est agile et la rythmique bien en place. Le premier duo avec Ginevra permet de livrer un rendu aux harmonies tout en équilibre. Plus crédible scéniquement dans le désespoir de Scherza infida que dans la rage aveugle de “Preparati a morire”, elle n’en est pas moins convaincante dans ses velléités vengeresses au troisième acte.

En Ginevra, Jacquelyn Stucker déploie une tessiture lyrique portée par un timbre rond et légèrement voilé lors de son "Vezzi, lusinghe e brio", impactant légèrement la clarté de la prononciation. Son physique altier, pour ne pas dire princier, sied remarquablement au rôle et les longues phrases sont l’occasion de dévoiler une très bonne longueur de souffle, quand bien même la projection s’allège un peu trop lors de certains mouvements en fond de plateau. Par la suite, le voile se dissipe au profit d’un velours du caro particulièrement à propos dans l’interprétation des "lamenti, Il mio crudel martoro" en premier lieu.

Sabine Devieilhe campe une Dalinda aux moults superlatifs. La tessiture colorature et la diction sont particulièrement remarquées, mais c’est surtout le cristallin du timbre, l’aisance insolente des aigus ainsi que la remarquable présence scénique — en témoigne son Se tanto piace al cor, serti d’un remarquable relief des phrases musicales — qui marquent durablement l’oreille. Par moments à la limite de la friture vocale dans l’extrême grave d’un des récitatifs, le rendu, impeccable y compris dans les piani grâce aux harmoniques aigus, atteint un niveau d’excellence rarement constaté ces dernières années sur la scène du Palais Garnier.

Seuls vétérans de la distribution originel’e, avec l’Odoardo d’Enrico Casari, Christophe Dumeaux confère à Polinesso une truculence théâtrale ainsi qu’une projection tout à fait correcte, sauf en fin de vocalise. La largesse de timbre ainsi que l’intensité dramatique confèrent à ses arias des aspects récitatifs. Pas toujours impeccable de justesse dans certaines vocalises des plus périlleuses, la mise en place rythmique est en revanche impeccable. En roi d’Écosse, Luca Tittoto déploie un timbre clair, au cuivre mis en exergue. Les récitatifs sont particulièrement remarqués et la gestion des phrases longues est fort bonne. La projection est toujours fort bien calibrée, y compris dans l’extrême grave de l’ambitus, et la technique est bien maîtrisée, même si cette dernière vacille à une ou deux reprises en fin de phrase longue.

Finalement, Ru Charlesworth dévoile avec le personnage de Lurcanio une tessiture lyrique au vibrato intense. Le timbre, clair malgré la présence marquée du caro, est mis en valeur par une articulation impeccable. La grande douceur dans les attaques aiguës et la musicalité, y compris dans les phrases longues, sont particulièrement appréciées.

Paris, Opéra Garnier, 24 septembre 2026

Crédits photographiques : Guergana Damianova/OnP

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