Interviews
La mezzo-soprano franco-suisse Eve-Maud Hubeaux, s’est imposée comme l’une des grandes chanteuses de notre temps, passant avec aisance du répertoire baroque à Wagner, sans perdre de vue les grands rôles verdiens. Alors qu’elle vient de triompher dans Aïda à l’Opéra de Paris, elle s’apprête à chanter Fricka dans Die Walküre, également sur la scène de l’ONP
Nous avons pu vous voir à l’Opéra national de Paris dans un panel de rôles assez large, de Doña Prouheze (dans Le Soulier de satin de Dalbavie) à la Grande Vestale (dans La Vestale de Spontini), en passant par Gertrude (dans Hamlet de Thomas), Amneris (dans Aïda de Verdi) ou encore Fricka (dans Rheingold et Walküre de Wagner). Qu’est-ce qui a motivé cette pluralité à ce stade de votre carrière ?
Effectivement, je fête mes dix ans à l’Opéra de Paris cette saison. Je ne trouve pas que cela soit si divers que cela ; cela pourrait l’être davantage au regard du répertoire que je chante. À titre d’exemple, après La Walkyrie, je serai dans une production de Castor et Pollux à Genève, ce qui sort du répertoire du XIXᵉ siècle. La création contemporaine m’intéresse également beaucoup.
L’éclectisme vient peut-être du fait que j’aime cultiver cette pluralité, qui me semble saine vocalement, notamment dans le répertoire classique et baroque, car il permet de ne pas trop alourdir la voix. En outre, cette diversité permet aussi d’aborder des rôles différents, car l’on observe tout de même une dramaturgie assez typée selon les époques.
Forcément, plus la carrière avance, plus les rôles se resserrent, car l’on finit par être demandée dans certains répertoires particuliers. Mais j’ai toujours à cœur de cultiver cette pluralité, et je m’efforce, avec mon agence, de la conserver chaque saison, en maintenant un équilibre entre les rôles romantiques — souvent assez lourds — du XIXᵉ siècle, et le reste : on met une Carmen, une Amneris et une Eboli maximum, puis l’on complète avec des choses plus légères. J’ai également beaucoup de plaisir à interpréter des rôles comiques, qui m’amusent énormément.
Un rôle ou un opéra qui vous ferait rêver ?
Je n’ai pas vraiment de rôle ou de maison d’opéra où je rêverais de chanter. Mon but est surtout de profiter de mon ascension pour m’enrichir artistiquement des gens avec qui je travaille.
La chance, lorsque l’on est dans de grandes maisons lyriques, réside aussi dans le fait que l’on est entouré de collègues chanteurs de haut niveau, ce qui crée une belle émulation technique et vocale, mais aussi de metteurs en scène ayant une certaine radicalité dans leurs points de vue — même si ce n’est pas toujours évident pour le public.
J’ai fait une rencontre incroyable avec Krzysztof Warlikowski à Paris sur Hamlet. En tant que femme, indépendamment de ma vie d’artiste, cela a été bouleversant dans les discussions que nous avons eues ; et je me dis qu’il y a peu de métiers où l’on peut vivre un pareil enrichissement. C’est certainement cela que je recherche dans ma vie, au-delà de la musique. En réalité, j’ai énormément de chance, car j’ai globalement déjà réalisé tous mes rêves.
L’OPRL et le Grand Théâtre de Provence ont décidé d’unir leurs forces pour la création de la dernière œuvre de Camille Pépin, La nuit n’est jamais complète d’après un poème de Paul Eluard. Pour l’occasion, Renaud Capuçon, qui avait déjà créé son concerto pour violon, Le soleil a pris ton empreinte, dirigera l’orchestre liégeois dans un concert qui associe la suite d’Intermezzo de Richard Strauss, la Siegfried-Idylle de Wagner et le 4e concerto de Mozart qu’il dirigera du violon.
Camille Pépin a connu une carrière jalonnée de prix : Sacem et Ile de création en 2015, Prix de l’académie des Beaux-Arts en 2017, Victoire de la musique classique en 2020 et Grand Prix Sacem de la musique contemporaine en 2024.Aix-en-Provence l’a découvert lors du festival Nouveaux horizons 2023 où Guillaume Bellom et Renaud Capuçon ont créé Si je te quitte nous nous souviendrons, sa pièce pour violon et piano. Carrefour de l’impressionnisme et du répétitif américain, son œuvre s’inspire de la nature et de la peinture, ses compositions portant des titres poétiques, empruntés ou inventés. Elle écrit elle-même des notices très précises sur ses œuvres, véritables clés pour l’audition.
Une méditation sur la nuit et la lumière
Pour Camille Pépin, il existe une lumière au fond de la nuit : c’est ce message d’espoir qu’elle veut nous communiquer. La partition comporte deux parties, la traversée de moments sombres et la possibilité d’une main tendue. L’œuvre commence dans la rumeur des cordes où circulent de fugitives lueurs des vents et des percussions. Insensiblement, une motricité se met en place, discrète ou violente mais implacablement présente comme si une force secrète traversait l’œuvre. Une lutte s’installe entre la tempête du désespoir et l’espérance d’une main tendue. De grands climax, parfois tragiquement ténébreux s’imposent avant que le climat ne retombe dans une douceur où percent de fugitifs instants de lumière. De ce quasi silence nait au début de la seconde partie, un rêve doux et lumineux marqué par le retour des vents. Le vibraphone inexorable marque la pulsation Le motif obstiné de la tempête intérieure réapparait mais, après un dernier tutti, la matière s’apaise jusqu’au retour progressif de l’atmosphère douce et fragile du début. La texture brumeuse des cordes s’efface en une longue tenue énigmatique : la nuit n’est jamais vraiment complète et on peut croire en une lumière dans la nuit.
Comme tel, l’œuvre semble correspondre à un vécu précis. Dans une interview réalisée à Liège, au cœur des répétitions, Camille Pépin s’en explique tout en nous révélant les composants de son travail de composition.