Dans l'esprit de Chostakovitch

par

WARTIME CONSOLATIONS
Karl Amadeus HARTMANN (1905 - 1963)

Concerto funèbre pour violon et orchestre
Mieczyslaw WEINBERG (1919 - 1996)
Concertino op. 42 - Rhapsody on Moldavien Themes op. 47 n°3 (arr. Nowicka)
Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906 - 1975)
Unfinished Sonata (1945) for violin and piano
Linus Roth (violon), Württemberg Chamber Orchestra Heilbronn, dir.: Ruben Gazarian, José Gallardo
2015-55'28''-Textes de présentation en anglais et en allemand-Challenge Classics CC72680

Alors que la pièce de Chostakovitch est la moins gourmande sur ce CD, c'est le compositeur qui fédère ici par l'esprit deux compositeurs trop méconnus du 20e siècle : Karl Amadeus Hartmann et Moïse Weinberg. Si le premier a travaillé avec Webern et fut ami de Schönberg, il ne fut pas un disciple aveugle du culte des douze sons mais plutôt un compositeur dans la lignée de Szymanowski ou Zimmermann. Son oeuvre la plus jouée est sans nul doute son Concerto funèbre écrit dans une période sombre, 1939, et remarqué par Hermann Scherchen qui le créa à Munich en octobre 1945. Jusque là, le compositeur, resté en Allemagne, refusa qu'on y joua ses oeuvres. Le premier mouvement est un long solo de violon ponctué par de brèves réponses de l'orchestre, un message d'espoir sous forme de détermination. Suit un épisode d'angoisse nerveuse alternant colère et futilité qui se prolonge par de macabres rictus à la manière de Chostakovitch dans le troisième mouvement et se poursuit dans le quatrième sous forme de choral basé sur une marche funèbre pour les victimes de la révolution russe. Un concerto "funèbre" tant par la toute puissance hitlérienne que stalinienne. Si le Concertino op. 42 de Weinberg est de touche plus légère par sa richesse mélodique et l'élégance de son geste, le souvenir des pogroms dont fut victime sa famille reste en filigrane de la pièce suivie de la Rhapsodie sur des thèmes moldaves, titre trompeur pour déguiser l'inspiration juive qui traverse l'oeuvre écrite dans un premier temps pour orchestre, pour violon et orchestre, et violon et piano ensuite et qui fut créée par David Oistrakh en février 1953 pour l'inclure ensuite dans ses "bis". La version proposée ici est une version remaniée pour orchestre de chambre de la main de Ewelina Nowicka. Si on parle ici de "titre trompeur", c'est parce que Weinberg, ami intime de Chostakovitch, n'échappa pas aux foudres staliniennes et évita la mort de justesse par la mort du tyran en 1953. De Chostakovitch, les interprètes proposent la double exposition du premier mouvement d'une sonate inachevée pour violon et piano datée de juin 1945, de peu antérieure à la 9e Symphonie et dont on retrouve les deux thèmes dans la 10e Symphonie, une esquisse qui n'est pas sans rappeler la Sonate pour violoncelle et piano de 1934. La raison de son inachèvement ? Selon Alfred Schnittke, le développement des deux thèmes prendrait des proportions symphoniques qui n'ont pas lieu en musique de chambre. Le Württemberg Chamber Orchestra Heilbronn et Linus Roth trouvent le ton juste pour ces pièces totalement habitées du sombre climat de guerre, d'angoisse et de mélancolique espoir. Une écoute dont on ne sort pas indemne et convaincante quant à l'exploration de l'oeuvre de deux compositeurs encore trop méconnus du siècle dernier.
Bernadette Beyne

Son 10 - Livret 8 - Répertoire 9 - Interprétation 10

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