Beaux Arts Trio 60

par

0126_JOKERMais quel magnifique cadeau nous fait là Philips avec ce coffret de 60 CD reprenant tous les enregistrements de l'Ensemble ! 60, un nombre magique : il y a 60 ans que le Beaux-Arts Trio donna son premier concert à Tanglewood en remplacement du Trio Alberini ; 60 ans que naissait le premier trio constitué qui allait rendre au genre toute sa noblesse.

Jusque-là, on avait connu un ensemble d'enfants particulièrement doués qui s'était produit à travers le monde mais dont on n'eut plus trace ensuite. Et voilà qu'émigré aux Etats-Unis où il fonda son quatuor et dirigea le Toscanini's NBC Orchestra, Daniel Guilet, Guilevitch de naissance, recherche deux musiciens pour enregistrer les Trios à clavier de Mozart. Nous sommes en 1954. Son choix se porte sur le pianiste Menahem Pressler qui, depuis son premier prix au Concours International Debussy à San Francisco en 1926 , multiplie les récitals et les concerts avec l'Orchestre de Philadelphie dirigé par Eugene Ormandy, et le violoncelliste Bernard Greenhouse, un protégé de Pablo Casals. L'enregistrement n'aura pas lieu mais l'étincelle a surgi. Le violoniste a 55 ans, le pianiste 31 et le violoncelliste 38. Le 13 juillet 1956, un premier concert au lieu béni de Tanglewood avec trois Trios à clavier de Beethoven à l'époque où Charles Munch y était chef en résidence avec le Boston Symphony Orchestra. Révélation, consécration. 80 concerts pour la seule saison 1955-56.
Mais New-York n'est pas encore acquis. Les débuts y seront discrets à la Frick Collection le 22 janvier 1956. Le Trio à clavier est encore un genre méconnu et donc peu apprécié. Lors du premier concert à Londres le 22 janvier 1956, on compte 150 personnes dans la salle. Un Wigmore Hall rempli trois ans plus tard après une prestation remarquée au Festival d'Edimbourg. Au répertoire : Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Brahms, Dvorak, Tchaïkovski et un emblématique de l'Ensemble, Ravel, soit une histoire du genre depuis ses débuts en tant que Sonate pour piano avec violon et violoncelle où l'instrument harmonique est roi, au Trio à clavier où l'homogénéité est reine. Il faut dire que les trois musiciens portent ensemble tout ce que la tradition pouvait alors apporter : Daniel Guilet avec connu Fauré et joué de très nombreuses fois avec Maurice Ravel au cours de sa vie à Paris avant l'émigration ; Menahem Pressler avait travaillé avec un élève de Busoni et suivi les cours d'Egon Petri et Eduard Steuermann aux Etats-Unis ; Bernard Greenhouse avait travaillé avec Felix Salmond, Emanuel Steuermann et Pablo Casals.
En 1969, Daniel Guilet, âgé de 70 ans, se retire. Pour le remplacer, Pressler et Greenhouse choisissent Isidore Cohen (47 ans), un élève de Galamian qui avait fait partie des Quatuors Schneider et Juilliard. Le répertoire s'élargit aux Quatuors et Quintettes à clavier avec le violoniste Bruno Giuranna et l'altiste Samuel Rhodes. En 1987, âgé de 71 ans, Greenhouse se retire et en 1992 Isidore Cohen se retire à son tour à l'âge de 70 ans. On pourrait penser que la septantaine est l'âge du retrait du valeureux trio. Il n'en est rien : Menahem Pressler reste fidèle au poste. La violoniste Ida Kavafian et le violoncelliste Peter Wiley le rejoignent, suivis par le violoniste Daniel Hope et le violoncelliste Antonio Meneses. Mais la carrière des deux jeunes artistes les monopolise trop pour poursuivre les tournées en Trio. En 2008, le Trio constitué se dissout... Pressler continue. On l'a vu en novembre 2013 à la Salle Pleyel où il fêtait ses 90 ans avec le Quatuor Ebène et Christoph Pregardien, en 2011, il recut le ICMA Lifetime Achievement Award à Tampere, en Finlande, où il jouait un Concerto de Mozart. En soliste, en musique de chambre, en master-classes, il ne cesse d'apporter son art.
Dans ce coffret de 60 CD, 9 sont consacrés à une intégrale des Trios à clavier de Haydn (43 opus enregistrés entre 1969 et 1978), 4 à Mozart, l'intégrale des six Trios auxquels s'ajoutent les Quatuors K. 478 et 493 avec Bruno Giuranna, 9 aux onze opus beethovéniens auxquels s'ajoutent le « Gassenhauer Trio » avec George Pieterson à la clarinette et l'emblématique Triple Concerto enregistré une première fois avec le London Philharmonic Orchestra dirigé par Bernard Haitink (1977) et une deuxième avec le Gewandhaus de Leipzig dirigé par Kurt Masur auquel s'ajoute la Fantaisie avec choeur (1992-95). Cinq CD sont consacrés aux deux opus de Schubert ainsi qu'à la Sonate en un mouvement D. 28 et Notturno ; plus inattendus, 5 Trios de Johann Nepomuk Hummel. Cinq CD sont consacrés aux trois Trios de Schumann et aux deux Trios de Mendelssohn auxquels se joint l'opus 15 de Smetana enregistré en 1990. Bien sûr, nous retrouvons les trois Trios de Brahms et le Trio avec clarinette op. 114, et puis... Chopin, Tchaikovsky, Arensky, Dvorak, Fauré, Saint-Saëns, Turina, Granados, Ravel, Ives, Chostakovitch, Korngold, Zemslinsky, Rachmaninov, Ned Rorem, David N. Baker, G. Rochberg... et un CD « bonus » Ravel, Fauré, Haydn... Bref, personne ne semble oublié, si ce n'est un ou deux opus de l'un ou l'autre compositeur ; par exemple, on ne trouve que le 2e Trio de Chostakovitch...
L'éditeur a eu la riche idée de proposer pour la plupart des oeuvres les versions du Beaux Arts Trio dans leurs diverses configurations (Guilet – Greenhouse, Cohen – Greenhouse, Cohen – Wiley) avec toujours, évidemment, Menahem Pressler, pilier infatigable de l'ensemble.
Un précieux joyau à écouter, réécouter, comparer la fougue communicative de Greenhouse et le ton plus retenu de Wiley, la chaleur du son extraverti de Guilet et celui plus intérieur de Cohen... On n'en pas pas fini... Saluons aussi la qualité de remastérisation de l'ensemble.
Bernadette Beyne

Son 10 – Livret 8 – Répertoire 10 – Interprétation 10

Les commentaires sont clos.