Émouvante Norma

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Vers l'an 50 avant Jésus-Christ, dans la forêt gauloise, la druidesse Norma célèbre le culte d'Irminsul. Inspiré d'une tragédie en 5 actes d'Alexandre Soumet -« Norma ou l'infanticide », le livret prend des libertés avec l'histoire : car ce sont, en réalité, des Saxons et non des Gaulois qui adorent le tronc sacré « Irminsul » (au surplus Clotilde, la nourrice des enfants est chrétienne avant l'heure !). L'action se noue lorsque le proconsul romain Pollione délaisse Norma séduite en secret, au profit d'une jeune gauloise, Adalgisa. La grande prêtresse envisage de sacrifier ses propres enfants, puis l'infidèle amant. En définitive, très chrétiennement, Norma s'offre elle même en sacrifice suivie de Pollione repenti. Ils montent unis sur le bûcher, annonçant ainsi la grande immolation de « la Juive » d'Halévy. Ces éléments composites se retrouvent dans la musique de Bellini qui sut toucher aussi bien la sensibilité belcantiste de Chopin que le romantique Wagner. La mise en scène de Stéphane Brunschweig a, elle, choisi l'uniformité : robes de chambre grises, lumières grises, mur gris qui pivote (avec un lit), un bonzaï à l'avant-scène (on aurait pu croire à une mesure d'économie, mais ce n'est pas le cas puisque l'arbre apparaît en entier au deuxième acte!), un gong côté cour. Pendant l'invocation à la lune, le bonzaï est éclairé en ombre chinoise faisant office d'arbre sacré : pour signifier l'obscurantisme de toute religion ? Des groupes statiques -les Romains en complet-vestons gris- de temps en temps agités de soubresauts. Une conception triste, fausse et statufiée de la tragédie classique. La direction musicale reste aussi terne et prudente que la scénographie. Et pourtant... l'essentiel est là, tangible : l'émotion musicale. Celle d'une partition au génie mélodique permanent, caressant d'une douceur indicible l'horreur des pulsions criminelles ; et cette véritable « liturgie » de sacrifice humain transfiguré par la noblesse du pardon et de l'amour. Emotion des voix qui se déploient, amples, souples, habiles, expressives, planant sur la crête d'une orchestration aux sonorités fluides. Leurs couleurs, leur grain, leurs défauts au lieu de les desservir, les humanisent un peu plus. Grande triomphatrice dans ce rôle si marqué par la Callas, Maria Agresta permet d'entendre l'étendue d'un soprano dramatique au timbre personnel, capable de superbes pianissimi comme d'accents véhéments. Son « Casta Diva » aussi lunaire et sensible qu'onctueux régénère une invocation trop galvaudée. Adalgise (Sonia Ganassi) évoluant dans la même tessiture, n'offre pas le contraste d'une mezzo plus corsée comme c'était devenu la tradition (à l'origine, le compositeur voulait le contraste inverse -une mezzo pour le rôle titre et une voix plus claire pour Adalgise) et se présente plutôt comme un double, en miroir. Évoluant dans la même stratosphère, c'est le côté fraternel des deux rôles qui ressort, offrant une sublime interprétation des non-moins sublimes duos que Bellini s'est plu à enlacer pour elles (« Mira, O Norma » notamment). Marco Berti plus inégal d'homogénéité et de style fait preuve d'une vigueur et d'une clarté d'élocution appréciables dans le rôle impossible de Pollione. Tandis que le digne Oroveso (Ricardo Zanellato) dresse un sobre portrait du père de Norma. Remarquable d'énergie, de cohérence et de nuances, le Choeur de Radio France donne un bel exemple (que celui de l'Opéra ferait bien d'imiter) et contribue à créer, par ses contrastes, le climat émotionnel d'une œuvre si singulière. Loué soit Irminsul et ses prêtresses ! Loué soit Bellini !
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, Théâtre des Champs Elysées, le 11 décembre 2015

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