Biber par Gunar Letzbor, réédition d’une sage intégrale des Sonatæ violono solo

par

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Sonatæ violono solo en la majeur, ré mineur, fa majeur, ré majeur, mi mineur, do mineur, sol mineur, sol majeur C. 138-145 [Nuremberg, 1681]. Sonata Representativa C. 146. Ars Antiqua Austria. Gunar Letzbor, violon. Lorenz Duftschmid, viole de gambe, violone. Michael Oman, viole de gambe. Roberto Sensi, violone. Axel Wolf, théorbe, luth. Wolfgang Zerer, orgue, clavecin. Juin 1994, rééd. 2025. Livret en allemand, anglais. Deux CDs 53’10 + 47’03. Christophorus CHE 0236-2

Édité à Nuremberg en 1681, dédié à l'archevêque Maximilien Gandolph, ce recueil resta longtemps ignoré au disque et au concert, dans l’ombre des emblématiques « Sonates du Rosaire ». Cette rareté est rappelée par la notice, précisant que les sessions recoururent à une photocopie d’un exemplaire original, conservé à l’abbaye de Kremsmünster. On commémorait en 1994 le trois-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Biber : un stimulus qui pourrait expliquer l’apparition concomitante de plusieurs enregistrements complets de ces huit sonates.

Initialement parue chez le label bolognais Symphonia, la version de Gunar Letzbor se confronta alors aux double-albums de Marianne Rônez (Cavalli Records), et surtout d’Andrew Manze (Harmonia Mundi) dont le témoignage alors salué par la critique fait toujours référence. Les anthologies de Carol Liebermann (Centaur) et Monica Huggett (ASV) précédèrent une nouvelle intégrale, par John Holloway en 2002 (ECM). Plus récemment captés, en octobre 2021 chez Glossa, Lina Tur Bonet et sa troupe Musica Alchemica proposèrent un florilège soulignant le « goût très vif pour les effets sonores audacieux et extravagants ». Toute l’équipe enflammait ce fantasque univers, autour de la virtuose espagnole, son incandescent archet au service d’une déclamation parfois suffocante.

Bien différemment de ce brûlant pathos, l’interprétation de Gunar Letzbor illustre plutôt le classicisme de la facture, le calme lyrisme du melos, la délicatesse de l’articulation, la somptueuse moire des polyphonies. La notice signée de sa main montre certes combien le violoniste autrichien maîtrise les ingrédients techniques, stylistiques de ces œuvres. Mais leur réalisation semble toutefois se cantonner à une éloquence prudente. N’y souhaiterait-on, si ce n’est moins d’élégance, davantage de fougue ?

Sans décevoir mais sans enthousiasmer, une telle modération n’exacerbe guère la rhétorique de ces cahiers. La subtilité du continuo se montre à l’avenant de cette lecture châtiée, rarement surprenante, d’où le contraste bienvenu de la Variatio finale de la Sonate III, hérissée par un furieux violone (3’57). Mentionnons qu’en janvier 2023, pour les micros de Pan Classics, Gunar Letzbor s’est à nouveau penché sur ce recueil, mais en recourant à un autre écrin instrumental de cordes pincées, conformément à la praxis salzbourgeoise d’époque (Hubert Hoffmann, Daniel Oman, Jakub Mitrik aux théorbe, luth, colascione, chitarra attiorbata).

En complément du présent CD, la Sonata Representativa cultive une veine figurative prisée par l’évêque d’Olmütz, au service duquel Biber était employé depuis 1668 (et non 1688 comme indiqué par erreur dans la traduction anglaise page 5). On s’y amuse des imitations de chants d’oiseaux, de cris d’animaux, tels que rossignol, coucou, grenouille, caille, chat, et autres volailles de basse-cour. Coassantes dissonances du batracien (plage 17), assauts percussifs de la marche des mousquetaires : l’accompagnement ne rechigne pas à certaines licences. Mais là encore, la veine descriptive reste sage, en comparaison d’Andrew Manze, ou Reinhard Goebel (Archiv, octobre 1987).

Signalons enfin que la prise de son, au demeurant agréable, ne procure pas la même transparence ni le même relief que le sublime album D’Amor Ragionando de l’ensemble Mala Punica (Arcana), enregistré lui aussi à l’Eremo di Ronzano, le même mois de juin 1994.

Christophe Steyne

Son : 8 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 7,5

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