Cantates de Bach : trois parutions dont se dégage une réédition de 2008

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Oratorio Lobet Gott in seinen Reichen BWV 11. Cantates Sie werden euch in den Bann tun BWV 44 ; Wahrlich, wahrlich, ich sage euch BWV 86 ; Es ist euch gut, dass ich hingehe BWV 108. Siri Thornhill, soprano. Petra Noskaiova, contralto. Christoph Genz, ténor. Jan Van der Crabben, basse. La Petite Bande, Sigiswald Kuijken. Avril-mai 2008, rééd. 2023. Livret en anglais et allemand (paroles des cantates traduites en anglais). TT 73’23. Accent ACC 25321

Bach Kantaten n°43. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Brich dem hungrige dein Brot BWV 39 ; Was soll ich aus dir machen, Ephraim BWV 89 ; Warum betrübst du dich, mein Herz BWV 138. Ulrike Hofbauer, Nuria Rial , Julia Sophie Wagner, soprano. Delphine Galou, alto. Markus Forster, Alex Potter, altus. Raphael Höhn, Makoto Sakurada, ténor. Matthias Helm, Dominik Wörner, Wolf Matthias Friedrich, basse. Chœur et orchestre de la J.S. Bach-Stiftung, direction Rudolf Lutz. Septembre 2010, octobre 2013, mars 2022. Livret en allemand et anglais (paroles des cantates en allemand non traduit). TT 49’33. J.S. Bach-Stiftung n°43

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates Bleib bei uns, den es will Abend werden BWV 6 ; Was Gott tut, das is wohlgetan BWV 99 ; Herz und Mund und Tat und Leben BWV 147. Dorothee Mields, soprano. Alex Potter, altus. Guy Cutting, ténor. Peter Kooij, basse. Collegium Vocale de Gand, Philippe Herreweghe. Janvier 2023. Livret en anglais, français et allemand (paroles des cantates traduites en anglais et français). TT 62’13. Phi LPH041

Accent réédite un album capté en 2008, initialement paru en SACD, dans le cadre d’une série d’une vingtaine organisée selon l’année liturgique. Le programme s’articule autour de l’Himmelfahrts-Oratorium, que Sigiswald Kuijken avait déjà enregistré en 2004 à la Nikolaikirche de Leipzig, avec des forces chorales en large effectif, qu’il réduit ici à un quatuor vocal, tout comme Andrew Parrott chez Virgin en avril 1989 (ou presque, Evelyn Tub et Emma Kikby se partageaient le soprano). D’autres cantates sur le thème de l’Ascension auraient pu compléter ce disque (Wer da gläubet und getauft wird, der wird selig werden BWV 37, Auf Christi Himmelfahrt allein BWV 128, Gott fähret auf mit Jauchzen BWV 43), à l’instar du CD de John Eliot Gardiner enregistré dans les années 1990 chez Archiv Produktion. Mais la sélection inclut ici des cantates connexes dans le calendrier du Chrétien, conçues pour les quatrième (BWV 108), cinquième (BWV 86) et sixième (BWV 44) dimanches après Pâques, et voisines de la montée du Christ aux cieux, qui se fête entre la Rogate et l’Exaudi.

Les lecteurs anglophones ou germanophones se réfèreront à la notice signée de Sigiswald Kuijken, aussi vaste que fouillée et vulgarisatrice : un modèle du genre qui pourra être thésaurisé pour qui s’intéresse à ces œuvres. Dans l’option à une voix par partie, on a rarement fait mieux que cette interprétation, tant pour le plateau de chanteurs (Siri Thornhill, Petra Noskaiova, Christoph Genz, Jan Van der Crabben) que pour l’accompagnement orchestral, aussi ductile que savoureux. On goûtera l’agile archet du Konzertmeister dans les Ich will doch wohl Rosen brechen et Mich kann kein Zweifel stören ; la volupté des hautbois (Patrick Beaugiraud, Vinciane Bauduin) dans le Und was der ewig gütig Gott ; le satin des flûtes (Marc Hantaï, Yifen Chen) dans le radieux Lobet Gott in seiner Reichen que les trompettes (Jean-François Madeuf, Joël Lahens, Graham Nicholson) illuminent avec douceur. Chaste et délicat dans la ponctuation du Ach bleibe doch, mein liebstes Leben, l’orgue d’Ewald Demeyere contribue à l’onction collective, que magnifie une somptueuse captation à la Predikherenkerk de Louvain.

La J.S. Bach-Stiftung poursuit l'enregistrement et la diffusion sur support audio et vidéo de l'intégrale des cantates, prévue pour s'achever en 2027. Le programme en inclut trois, écrites lors des premier (BWV 89, 138) et quatrième (BWV 39) cycles annuels de Leipzig, et qu’aucun lien thématique ne relie, conformément à l'échantillonnage diversitaire de ce projet éditorial mené sous l'égide de la Fondation de Saint-Gall. Captés en trois sessions entre 2010 et l'an dernier, les concerts affichent des solistes complètement différents, et diversement inspirés doit-on avouer. Le trait souple et incisif de l'accompagnement instrumental reste cependant une constante qui cimente ces trois témoignages.

En rapport avec la cantate Partage ton pain avec celui qui a faim, que l'on a parfois anachroniquement associée à un mouvement de compassion du compositeur envers les Protestants réfugiés après leur expulsion de la catholique Salzbourg en 1731, le livret inclut une intéressante présentation de la charité et de la pratique de l'aumône dans l'Allemagne de l'époque. La notice bilingue reproduit également une analyse de l’imposant chœur introductif, sous la plume de Rudolf Lutz. Malgré un effectif d'une vingtaine de chanteurs, le plateau s'y acquitte avec une lisibilité d'autant méritoire que le tempo choisi pour les deuxième et troisième sections est relativement enlevé, et suggère une articulation particulièrement vivante même si elle ne relève pas toujours d’un modèle de coordination polyphonique. La douce onction des flûtistes (Yukiko Yaita, Kiichi Suganuma) est en soi un gage de générosité qu’appelle ce texte de l’Ancien Testament, extrait du Livre d'Isaïe. Le récitatif de Matthias Helm s’avère moins sobre que dans la version Herreweghe (Virgin, 1993). Delphine Galou en fait beaucoup dans le Seinem Schöpfer noch auf Erden. Mais globalement l'équipe convainc par sa limpidité.

Dans la BWV 138, qui exploite une mélodie d’un Meistersinger de Nuremberg, que l’on prête à Hans Sachs, on saluera le timbre lumineux et franc de Nuria Rial (Ach wie ?), et l’autoritaire projection de Wolf Matthias Friedrich dans un impétueux Auf Gott steht meine Zuversicht, qui ne lésine pas sur les effets. En revanche, on se montrera plus réservé envers la distribution de la brève et chambriste Was soll ich aus dir machen, Ephraim, où s'exprime la rage d'Israël à préserver l'intégrité de ses Commandements, selon la notice d'Anselm Hartinger.

Y déçoivent la voix chenue et la neutralité du ton de Dominik Wörner dans son aria liminaire qui doit pourtant exprimer le tourment divin partagé entre sévérité et indulgence. Y déçoit la manière anecdotique et dénervée de Markus Forster pour invoquer la perspective du Jugement dernier, dans un dialogue dont les flottements sont parfois désynchronisés du violoncelle. On succombera toutefois de bonne grâce à la plasticité du chœur final, certes ici réduit à quatre solistes (avec la fugace contribution du ténor Raphael Höhn), et on saluera l'éloquente scansion du vers final (« Tod, Teufel, Höll und Sünde »). Les deux cantates dont l'interprétation nous semble la plus réussie occupent heureusement la majeure partie du disque, au sein d'un album toutefois court (moins de cinquante minutes), ce qui en relativise l'attrait.

Aucun lien ne fédère les trois cantates (BWV 6, 99, 147) de cette nouvelle parution sous étiquette Phi, si ce n’est qu’elles abondent le vaste lot des cantates gravées par Philippe Herreweghe, fondateur du Collegium vocale il y a plus d’un demi-siècle. Un catalogue qui s’initia, sauf erreur, en novembre 1987 avec l’enregistrement de la Trauer-Ode (à la tessiture basse, le vétéran Peter Kooij était déjà de l’aventure !), et qui compte désormais une trentaine d’albums, principalement réalisés pour Harmonia Mundi, Virgin, ou le propre label du maestro flamand.

Qu’on apprécie ou pas son style peaufiné, musicalement et émotionnellement peu contrasté, où le texte s’exprime autant par la pureté du dessin que par l’uniformité du ton, cette esthétique reste sinon une boussole du moins un rassurant jalon dans la discographie. Un chœur à quatre par partie d’où émergent des solistes peu typés mais remarquablement harmonisés au plateau, un orchestre décanté nous valent une interprétation probe et équilibrée. Laquelle rayonne dans l’introduction du Herz und Mund und Tat und Leben, comme une subtile marquèterie. Cependant, le geste reste timide dans les célébrissimes volets conclusifs, ces Wohl mir, dass ich Jesum habe et Jesus bleibet meine Freude, et dans le Ach bleib bei uns, Herr Jesu Christ intégré aux « chorals Schübler » pour orgue, ici orné au violoncelle piccolo par Ageet Zweistra. Et festonné par les tuyaux de Maude Gratton, qui pétillent par ailleurs dans le Hilf, Jesu, hilf du diptyque BWV 147.

Signe caractéristique, les hautbois semblent ici plus maussades que chez Sigiswald Kuijken. La trame instrumentale comme vocale méticuleusement tissée par Philippe Herreweghe s’avère blafarde face à la prestation de son confrère flamand, même ciselée dans l’acoustique de l’Arsenal de Metz. Le résultat apparaît globalement comme une élégante frise de maigre intensité. « Le ciel musical des cantates » dont parle le livret du CD épouse ici les nuances du gris, sous une direction austère qui a fait ses preuves : un certain académisme du bas-relief à son plus haut degré d’accomplissement.

Christophe Steyne

Accent = Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Bach Stiftung = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 6 (BWV 89) à 9

Phi = Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

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