Des archives de Bronislaw Gimpel

par

0126_JOKER
Oeuvres de Sibelius, Szymanowski, Wienawski, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Janacek, Tartini et Rathaus
Bronislaw GIMPEL (violon), Martin KRAUSE (piano), Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin, dir.: Fritz LEHMANN, Arthur ROTHER, Alfred GOHLKE
1954-1957-ADD-73'44, 59'50 et 47'47-Textes de présentation en allemand et anglais-Audite 21.418 (3 cd)
Qui se souvient encore de Bronislaw Gimpel? Ce violoniste de confession juive né à Lviv (anciennement Lemberg) en Ukraine en 1919 et mort en 1979 est issu d'une famille polonaise de musiciens. En particulier, son frère Jakob sera un pianiste de renom, accompagnateur des grands violonistes du 20ème siècle: Huberman, Morini, Milstein. Bronislaw eut le privilège de bénéficier de l'enseignement d'un grand nom de l'école allemande de violon: Joseph Wolfstahl. Enfant prodige, il se produisit en concert dans le concerto de Mendelssohn dès l'âge de 8 ans et continua ses études avec le propre professeur de Isaac Stern, Robert Pollack. A 14 ans, il eut pour partenaire rien moins que le Philharmonique de Vienne dans une interprétation du concerto de Goldmark qui fit grand bruit à l'époque. Surnommé Bronislaw II, par référence au grand Huberman, polonais d'origine comme lui, il eut la chance de jouer un magnifique Guarnerius del Gesu de 1743, conservé actuellement à Gênes, et de se produire tant devant le pape Pie XI que sur tous les continents. Il eut également la chance de recevoir l'enseignement du grand maître Carl Flesch en 1928 à Berlin qui le poussa à gagner en expérience en intégrant un orchestre. Ce qu'il fit, en occupant tout d'abord le poste de second violon principal de l'orchestre de Königsberg, alors sous la baguette de Hermann Scherchen. Il fut ensuite Konzertmeister à Göteborg, puis à Los Angeles où Klemperer le prit sous son aile. Au concours Wienawski de 1935, il termina 9ème face à une très forte concurrence. Cette année-là, la gagnante de cette compétition fut une frêle jeune fille de 16 ans: une certaine Ginette Neveu! David Oistrakh lui-même ne s'y était pas trompé en saluant en lui un « merveilleux violoniste ». Réfugié aux Etats-Unis pendant la guerre, il y fonda le Hollywood Youth Symphony Orchestra et diversifia ses activités en ajoutant à sa carrière de soliste des activités de chef et de premier violon au sein de l'American Artist String Quartet. Après guerre, il créa un trio avec Leopold Mannes et Luigi Silva, avec lesquels il réalisa quelques-uns de ses rares disques. Si l'Amérique le bouda ensuite, il n'en fut pas de même de l'Europe qui l'accueillit à bras ouverts bien qu'elle ne lui accorda jamais le statut qu'elle réserva à Menuhin ou Francescatti, par exemple. Il n'empêche que ses titres de gloire furent nombreux, notamment la création de la version révisée du concerto de Britten en compagnie de Thomas Beecham. Il créa aussi le concerto de Roberto Gerhard sous la direction de Rudolf Schwarz en 1958 et se produisit avec des artistes de la stature de Eugen Jochum ou Günter Wand. Dans ses dernièrs années, il fut professeur à l'Université du Connecticut. S'il est aujourd'hui tombé dans l'oubli, la faute en incombe avant tout aux firmes de disques qui ne s'intéressèrent guère à lui. Ses témoignages officiels demeurèrent donc rares et ne furent guère distribués. C'est dire si ces trois très beaux cd, issus des archives de la radio de Berlin étaient les bienvenus. Le concerto de Sibelius est prodigieux. Avec le soutien simplement parfait de Fritz Lehmann (un autre grand oublié, lui aussi, heureusement ressuscité récemment par Forgotten Records), il nous propose une lecture aristocratique, d'une élégance rare, d'une passion à la fois très présente et pourtant corsetée, qui n'est pas sans rappeler le geste de... Ginette Neveu. Le son n'a pas l'ampleur ni la beauté de celui de Oistrakh ni le charme de Milstein mais cette lecture reste pourtant l'une des plus passionnantes qu'il m'ait été donné d'entendre. Rareté à l'époque, le second concerto de Szymanowski est peut-être plus réussi encore. Arthur Rother y est très efficace et offre à son soliste un soutien idéal. Le violoniste joue dans son arbre généalogique et son lyrisme incandescent s'épanouit avec un naturel confondant. Un 2ème concerto de Wienawski tout en aisance, qui baigne dans une atmosphère simple et chaleureuse, vient conclure la partie concertante du programme. Le deuxième disque est consacré à des sonates romantiques et le violoniste s'y montre très convaincant également et même davantage, peut-être. Une sonate D. 574 de Schubert toute simple et si émouvante, une sonate opus 4 de Mendelssohn juvénile à souhait ne paraissent être que des apéritifs pour une sonate opus 105 de Schumann qui me semble bien ne pas avoir de concurrence dans la discographie, tant cette version frôle la perfection. Le dernier cd est très précieux, lui aussi. L'admirable sonate de Janacek est ici servie avec un art consommé et se révèle d'un bout à l'autre passionnante. La sonate Didone abbandonata de Tartini trahit bien sûr la connaissance musicologique embryonnaire que l'on pouvait posséder de cette musique à cette époque mais la munificence du jeu n'est pas en cause. Enfin, la Pastorale et Danse de Karol Rathaus est une rareté servie avec brio par le compatriote de ce compositeur dont l'écriture pouvait paraître passéiste de son vivant déjà. En tout état de cause, une redécouverte à ne pas manquer.
Bernard Postiau

Son 8 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Les commentaires sont clos.