Die Lullysten, par El Gran Teatro del Mundo
L’Ensemble « El Gran Teatro del Mundo » a été couronné avec un Diapason d’Or en 2021 pour son disque intitulé Die Lullysten qui reflète l’énorme influence du compositeur franco-italien Lully et plus largement de la musique, de l’architecture et de toute la culture française sur les compositeurs et les artistes d’Outre-Rhin. Et qui explique simplement le chemin qui mena J. S. Bach à écrire ses « Suites Françaises » et autres Ouvertures ou pièces d’influence hexagonale. Georg Muffat, Johann Caspar Ferdinand Fischer et Georg-Philipp Teleman, aux côtés d’un obscur prédécesseur nommé Johan Sigmund Kusser, ont introduit en Allemagne le modèle de la Suite de Danses comme archétype de composition à plusieurs mouvements contrastés, issus des danses de cour ou populaires. Et ils l’ont fait avec un tel talent et une telle conviction qu’ils nous ont légué un répertoire aussi vaste qu’extrêmement attractif. Le paradoxe étant qu’un groupe basé à Madrid et largement intégré par des instrumentistes espagnols se soit spécialisé dans la musique baroque française et ses influences européennes. Alors que la langue française a cessé d’être le véhicule de culture qu’il fut autrefois : Francisco de Goya, Mariano José de Larra, Pérez Galdós, Leopoldo A. Clarín, ou Antonio Machado avaient comme point de référence intellectuelle la langue et la pensée du nord des Pyrénées malgré le trauma des invasions napoléoniennes de 1808. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui : la présence de cette langue dans la culture espagnole est devenue extrêmement marginale même si une importante population francophone habite l’Espagne.
Découvrir en directe ce groupe, conduit par ce consciencieux et brillant claveciniste qu’est Julio Caballero, a été un choc par l’incommensurable niveau de virtuosité de ses membres, bien sûr, mais surtout par leur manière tellement spontanée et frétillante de faire de la musique, donnant une vie intense à des œuvres qu’on avait trop souvent entendues comme des reliques de musée, sans âme ou sans la fabuleuse énergie rythmique dont son capables ces musiciens. Après, lorsqu’on va rechercher un peu dans la biographie des artistes, on s’aperçoit qu’il s’agit parfois de musiciens très expérimentés, avec des carrières déconcertantes par leur diversité et éclectisme, comme celle du virtuose de la flûte à bec Michael Form -l’un des professeurs de Caballero- qui mène une double vie comme chef d’orchestre de « El Sistema » vénézuélien, très attentif au répertoire des XXème et XXIème siècles. Ensemble avec le brillant hautbois de Miriam Jorde, une Castillane formée à Santander et en Suisse, ils ont été l’un des points forts du groupe par leur savoir-faire, leur engagement et leur sens aigu des différents caractères et des « affects » des pièces. Sans la moindre mésestime pour les autres solistes du groupe : au four et à mesure des nouvelles interventions en solo, on a entendu un violon d’incomparable élégance joué par Alice Julien-Laferrière, une fascinante taille de violon de la main de Ricardo Gil, une saisissante viole de gambe entre les mains du Catalan Marc de la Linde et ainsi de suite. Pour couronner le tout avec ce fantastique prélude improvisé par Caballero précédant le dernier Aria de l’Ouverture en Mi bémol Majeur de Telemann qui a conclu le concert.
Pedro Calderón de la Barca, dans sa pièce intitulée El Gran Teatro del Mundo, faisait référence à ce concept de ce grand « théâtre de la vie » où chacun de nous jouerait un rôle social que le Créateur nous aurait attribué en particulier. La musique devenant donc moteur et raison d’être de toute notre existence avec ses vicissitudes, misères ou joies. Longue vie et longs succès à cet ensemble qui devient incontournable dans le panorama, pour ne pas dire le firmament actuel du grand monde de la musique ancienne !
nnsbrucker Festwochen der Alten Musik, Château Ambras, le 23 août 2025
Xavier Rivera
Crédits photographiques : Felix Pirker