Don Quichotte à Lyon, dont une superbe redécouverte de l’ibère Chevalier errant d’Ibert

par

Richard Strauss (1864-1949) : Don Quixote, Op. 35, variations fantastiques sur un thème de caractère chevaleresque. Jacques Ibert (1890-1962) : Le Chevalier errant, chorédrame (Suite). Amihai Grosz, alto. Jian Wang, violoncelle. Orchestre national de Lyon, direction : Nikolaj Szeps-Znaider. 2023. Livret en français, anglais, allemand. 72’18’’. Channel Classics CCS-45424 

Don Quixote connut son tout premier enregistrement voilà bientôt un siècle, en avril 1932 par Thomas Beecham au Carnegie Hall de New York. Même si la partition intègre un soliste sans appeler au vedettariat, les plus grands violoncellistes l’épinglèrent à leur répertoire : Enrico Mainardi, Emanuel Feuermann, Gregor Piatigorsky, Mstislav Rostropovich, Yo-Yo Ma, Lynn Harrell, Heinrich Schiff, Steven Isserlis, Truls Mørk… N’oublions pas de prestigieux récidivistes de l’école française, comme Paul Tortelier et Pierre Fournier. Des chefs parmi les plus aguerris à la machinerie straussienne gravèrent cet opus, parfois à plusieurs reprises au cours de leur carrière, parallèlement aux fameux poèmes symphoniques. Autant dire que le catalogue offre l’embarras du choix, même à s’en tenir à une décennie alignant quatre versions de référence : Rudolf Kempe à Berlin (avec Paul Tortelier, HMV, juin 1958, avant le remake de juin 1973), Fritz Reiner (Antonio Janigro, RCA, avril 1959), Eugene Ormandy (CBS, février 1961), Karajan (Pierre Fournier, DG, décembre 1965). Tant pour les prestations que pour les opulentes captations de l’orée stéréophonique, ce quarté suffirait au bonheur du mélomane.

Après ces vénérables balises nous parvient cette honorable prestation, dirigée par Nikolaj Szeps-Znaider nommé en 2020 à la tête de la phalange lyonnaise, pour un mandat amené à courir jusque 2027. Admiré pour ses nombreux disques concertants ou chambristes, principalement parus chez les majors Emi et RCA, la baguette du violoniste danois propose une approche claire et objective, dans la lignée de David Zinman à Zurich (Arte Nova, 2003) et de plusieurs témoignages récents (François-Xavier Roth chez Hänssler en 2013, Paavo Järvi à Tokyo chez RCA en 2016, Vasily Petrenko chez Lawo en 2017).

Flatté par les micros, le soliste chinois investit la trame narrative, ce qui permet de saisir une composante essentielle de l’œuvre : l’évolution des états d’âme du héros au gré des péripéties et illusions qui le mèneront finalement à son ultime prise de conscience. L’interprétation peut ainsi se percevoir comme une fable initiatique. Les volets descriptifs sont illustrés avec le dramatisme nécessaire : rencontre avec les pénitents, équipée dans les airs, naufrage. Sans céder au pathos, le lyrisme est contenu à juste proportion dans le dialogue avec Sancho Pança, la veillée d’armes, le mirage de Dulcinée. Le traitement du somptueux matériau musical renonce toutefois aux excès pittoresques comme aux séductions doucereuses hier caressées par Lorin Maazel à Vienne (Decca, avril 1968) ou le remake DDD de Karajan (DG, janvier 1986). Évacuer la tentation cinématographique, favoriser la distanciation impose un regard analytique et volontiers désabusé.

Plutôt qu’un couplage, souvent pratiqué, avec Don Juan ou un concerto pour violoncelle, le programme invite une œuvre tirée de la même thématique puisée au roman de Cervantès : la Suite en quatre parties dérivée en 1952 du chorédrame Le Chevalier errant que Jacques Ibert écrivit au milieu des années 1930. Contrairement au Don Quixote de Strauss, la discographie reste on ne peut plus clairsemée. On se rappelle le vinyle de Georges Tzipine avec récitant, chanteurs, les Chœurs et l’Orchestre National de la Radiodiffusion Française (Pathé, 1955). Et Jacques Mercier et sa philharmonie lorraine pour le regretté label Timpani (2015). Ni Louis Frémaux ni Jean Martinon ni Charles Dutoit ni Neeme Järvi, dans le cadre de leurs anthologies dédiées à Ibert, n’abordèrent cette fresque ibérique. On se réjouit donc de la suggestive lecture de Nikolaj Szeps-Znaider et de ses éloquents pupitres : les scènes de combat, de liesse villageoise, les zestes de couleur locale (intrusion flamenco de la guitare), le paysage idéalisé et méditatif de L’Âge d’or, conquièrent un relief des plus convaincants. Rien que cette redécouverte vaut qu’on se penche sur cet album.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 8 à 10 – Interprétation : 8 à 10 (Ibert)

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