El Bohemio : un album tout droit sorti d’un film
“El Bohemio” selon Thibaut Garcia
Œuvres d’Augustín Barrios (1885-1944) ; Frédéric Chopin (1810-1849) ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) ; Robert Schumann (1810-1856). Thibaut Garcia, guitare. Augustín Barrios. 2023. Livret en français, anglais, allemand. 80’ 48”. Warner Classics 5054197726170.
Un film, un album. C’est après avoir visionné « Mangoré, por amor al arte » (2015), film qui retrace la vie du compositeur Augustín Barrios, que Thibaut Garcia décide de dédier un disque à celui qui se surnommait « Le Paganini des jungles du Paraguay ». Lauréat de plusieurs prix et fondateur de l’association Toulouse Guitare qui organise des concerts depuis 2018, Thibaut Garcia est également récompensé en 2019 aux Victoires de la musique classique.
Le squelette de ce nouvel album est construit selon une formule alternant les œuvres et les arrangements de Barrios, invitant de la sorte les oreilles -parfois peu initiées- à comprendre davantage la musique d’un compositeur qui n’a probablement pas assez le vent en poupe. Dès les premières secondes de la pièce ouvrant ce disque, intitulée Un sueño en la floresta, nous remarquons une acoustique vivante, dépourvue de tout signe de stérilité : les respires se font entendre, les voûtes dorées de la Chapelle Corneille de Rouen se laissent imaginer, et la musique naît. Pendant ces huit premières minutes, Garcia nous offre une interprétation exquise d’une œuvre qui transpire le charme et la douceur. Les notes répétées, parfaitement exécutées, dessinent un paysage somptueux qui n’est pas sans rappeler les origines du compositeur. Le morceau se termine par un arpège qui laisse planer pendant plus de 15 secondes (!) un silence ouvrant avec pudeur la prochaine pièce, et qui permet de facto au rythme plus tumultueux de Aire de zamba de s’installer. Cette ouverture se conclut par la Mazurka appassionata.
Vient ensuite le 20e prélude pour piano de Frédéric Chopin qui, sous les doigts du guitariste français, nous semble quelque peu dépourvu de son caractère initial. Répertoire peu adapté ou choix assumé, il n’en reste pas moins que l’arrangement de Barrios nous laisse sur notre faim en nous offrant un prélude mielleux, intimiste, loin de toute la grandiosité que l’on peut par exemple retrouver dans l’arrangement d’Auguste Franchomme (violoncelle). Cela étant, et en restant dans ce registre, Garcia nous livre une interprétation, et c’est à souligner, divine du premier mouvement de la Sonate n°14 de Beethoven. Remplie de finesse et d’élégance, la pièce nous transporte dans un univers aux apparences feutrées, loin de l’agitation de l’Aire de zamba que nous pouvons retrouver dans l’ouverture de l’album. Quant à la dernière transcription signée Barrios, Träumerei de Robert Schumann, le précédent commentaire peut également s’y rapporter.
Pour clôturer l’album, Thibaut Garcia nous glisse l’interprétation de La Catedral, mais cette fois-ci, signée Barrios. Sans doute l’une de ses œuvres les plus appréciées, elle se fond remarquablement avec les morceaux précédemment cités. Acoustique initiale ou prouesses lors du mixage, nous ne pouvons ignorer les qualités esthétiques de ce potentiel parti pris artistique. L’espace d’un instant, nous voyageons dans le temps à la recherche de la cathédrale de Montevideo qui ne se tarde de se dresser devant nous.
Mêlant romantisme proche d’un Frédéric Chopin et caractéristiques de la musique populaire sud-américaine, la musique de Barrios peut surprendre, mais Thibaut Garcia nous rassure. Nous relèverons les silences appuyés qui, à la fin de chaque morceau, évoquent l’atmosphère d’un concert en se distanciant de la frénésie des enregistrements digitaux. Un album tout à fait réussi qui, aux portes de l’automne, s’annonce prometteur.
Parution de cet album le 22/09 prochain.
Note globale : 8/10
Clément Bellenger
Chronique réalisée sur base de l’édition numérique.