Elisabeth Brauß au Piano aux Jacobins : une musicalité en devenir

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Avec ses 46 éditions cette année, Piano aux Jacobins est l’un des festivals les plus anciens de France. Mêlant grands maîtres et jeunes talents, la programmation s’attache également à présenter des pianistes qui mènent ou s’apprêtent à mener une carrière internationale, mais encore peu connus en France.

Elisabeth Brauß, née à Hanovre en 1995, fait partie de cette génération prometteuse. Lauréate de plusieurs distinctions importantes — Grand Prix Tonali à Hambourg en 2013, premier prix au Kissinger Klavierolymp en 2016 — elle a aussi été membre du BBC New Generation Artist Scheme (2018-2020) avant de recevoir en 2021 le prix Terence Judd-Hallé, décerné dans le cadre du partenariat entre la BBC et le Hallé Orchestra.

Pour son premier récital en France, elle avait choisi d’ouvrir son programme par J. S. Bach. Dès les premières notes du Caprice sur le départ de son frère bien-aimé BWV 992, on remarque la rondeur et la douceur de sonorité. Chaque partie est soigneusement pensée, l’expression cherchant à correspondre aux indications de la partition. La sensibilité d’Elisabeth Brauß, l’un de ses atouts, se manifeste avec évidence. Pourtant, plutôt qu’une effusion de sentiments, on aurait pu souhaiter une approche plus simple, plus directe, comme on en trouve dans les gravures de genre de l’époque : ces petites scènes naïves, représentant un jeune homme qui se sépare de sa famille pour un voyage. Les brèves descriptions que Bach a laissées en guise de titres peuvent d’ailleurs se lire comme les légendes d’une telle série d’images. Ici, ce n’est donc pas le souffle romantique d’un Casper David Friedrich que l’on attend, mais plutôt la délicatesse familière d’une représentation intime.

Dans les Variations sérieuses de Mendelssohn, cette orientation romantique semble plus en adéquation avec l’esprit de l’œuvre, même si l’ombre de Bach, très présente dans le contrepoint, appelle une rigueur que la pianiste choisit d’aborder davantage par contrastes expressifs que par une architecture globale. Avec Liszt (Variations sur un thème de Bach), elle semble trouver un terrain qui lui convient davantage. Dans la virtuosité que le compositeur déploie à partir du choral Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen, Elisabeth Brauß paraît plus à l’aise : son jeu se libère, elle se laisse guider par l’élan de la musique. La tension dramatique et l’exubérance pianistique y trouvent un écho naturel dans son tempérament, donnant à cette partie la plus réussie du récital.

Au cours de la deuxième partie, dans les Quatre pièces op. 119 de Brahms, la poésie et la finesse de son jeu sont indéniables, mais on a parfois du mal à entrer pleinement dans son univers — peut-être par excès de retenue, ou par une conception encore en devenir. Enfin, dans la Septième sonate de Prokofiev, c’est le mouvement lent qui retient l’attention, par la manière dont elle étire le temps et par le sens du chant que la pianiste y déploie. Les mouvements rapides, eux, gagneraient sans doute à davantage de mordant et de vigueur.

En somme, Elisabeth Brauß a montré une artiste déjà très attentive à la couleur et à l’émotion, mais encore en quête d’équilibre entre spontanéité et architecture.

Concert du 16 septembre 2025 au Cloître des Jacobins.

Victoria Okada

Crédit photographique : Felix Broede

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