Exhumation des Leçons de Ténèbres d’Alexandre de Villeneuve, par l’ensemble Vedado

par

Tenebris. Alexandre de Villeneuve (1677-1756) : Leçons de Ténèbres du Troisième Jour ; Miserere [Livre de musique d’église]. Répons [Processionnal pour l’Abbaye royale de Chelles]. Conversations en manière de Sonates (extraits). Ensemble Vedado. Ronald Martin Alonso, viole de gambe. Dagmar Šašková, mezzo-soprano. Damien Pouvreau, théorbe. Laurent Stewart, orgue, clavecin. 2023. Livret en français, anglais. 59’38’’. Paraty 2025001

Pour sa toute première apparition à la Chapelle Royale de Versailles, en janvier 2023, l’Ensemble Vedado avait choisi un compositeur aussi rare au disque qu’au concert. Issu de l’ancienne noblesse provençale, enfant de chœur puis maître de chapelle à Arles, ordonné prêtre, Alexandre de Villeneuve rejoignit Paris en 1706. Ses fonctions musicales auprès des Jésuites rue Saint-Jacques lui firent probablement fréquenter Jean-Philippe Rameau, qui venait de s’y voir confier les orgues. Moins de quinze ans plus tard, il publia un Livre de musique d’Église dédiée à Marie-Louise Adélaïde d’Orléans, fille du Régent du royaume, et tout juste nommée à la tête de l’abbaye de Chelles. Jamais republié depuis sa parution en 1719 et archivé à la Bibliothèque Nationale de France, ce recueil inclut six motets, des Leçons de Ténèbres pour le triduum pascal, et un Miserere.

« Ces pièces à la fois austères et sophistiquées associent la virtuosité propre à l’air de cour, caractérisée par l’ornementation de la mélodie avec des mélismes, en alternant avec une déclamation syllabique très proche du récitatif » estime Ronald Martin Alonso dans sa notice au sujet de ces Leçons, qui suivent de peu celles de François Couperin. Soulignant aussi la brièveté des versets, la fluidité de l’ensemble, sa richesse harmonique et dramatique. Pour sa part, le musicologue américain James Raymond Anthony (1922-2001), spécialiste du Baroque français, nuançait plus péjorativement : « on perd le sens de la spiritualité à cause des mélismes trop longs et virtuoses et des récits eux-mêmes surchargés d’agréments » (Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Fayard, 1992).

Le présent enregistrement propose l’intégralité des trois Leçons pour le Vendredi Saint, complétées par des Répons tirés d’un Processionnal du même auteur (publié en 1726). Des extraits des Conversations en manière de Sonates (1733) préludent et servent d’intermèdes instrumentaux à cette anthologie sacrée. Diplômée du Centre de Musique Baroque de Versailles, Dagmar Šašková aborde ces pages avec franchise. Accompagnée par une équipe attentive et appliquée, la voix ouverte, agile et claire de la mezzo tchèque, au vibrato bien dosé, apporte la limpidité propice à un chaste recueillement.

L’acoustique congrue de l’église luthérienne Saint-Pierre de Paris procure un écrin intimiste et ajusté, certes un peu sec pour les Répons chantés a capella, comme le veut l’usage. Dans le genre alors très couru de l’office des Ténèbres, initié par Michel Lambert dans les années 1660 et qui culminera en ce premier quart du XVIIIe siècle, ces Lamentations de Villeneuve attendaient qu’on les sorte dignement de l’oubli : mission accomplie par cet enregistrement qui pose un méritoire jalon dans cette redécouverte.

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 9

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